Que racontent «
Les Lisières » ? Paul Steiner, écrivain breton neurasthénique, quitté par sa femme, en manque atroce de ses enfants, doit retourner dans sa banlieue d'origine pour veiller sur sa mère malade et tenir la maison du père mutique mais agressif.
Paralysé par l'épreuve, désoeuvré et mélancolique, il retrouve ses copains d'avant. S'ensuit une mosaïque de personnages narrant leurs destins prédéterminés : chômage, séparation, violence conjugale, banalité pavillonnaire, ennui résidentiel, barres HLM, travail annihilant, pauvreté, inculture, médiocrité moyenne, et j'en passe un max... Misère, misère, aucun espoir, c'est foutu. Et pour les générations à suivre, ce sera pire.
Consterné, Paul revisite ses souvenirs et découvre une photographie lui révélant le secret de famille qui le détermine.
Sincèrement, Olivier, tu conviendras que la lecture d'un tract nationaliste, accoudée au bar du Progrès, à déguster un viandox-oeufs durs en attendant mon RER serait moins affligeante pour mon moral que cette litanie désolante à m'en couper l'appétit et me rendre malade moi aussi.
Cependant. Cependant j'en conviens, c'est MAGNIFIQUEMENT écrit. L'écriture revient sans arrêt sur elle-même, tel ce ressac qui t'est cher, et de ces marées humaines, désemparées mais dignes, il nous reste en fond de gorge un sentiment d'abandon, un chagrin profond, qui nous font envier tes plages bretonnes, tes bains de mer nocturnes, ta chance d'y avoir échappé.
Par ailleurs, cet ailleurs qui parfois t'affermit, le roman trouve son envol dans le mélange de l'intime et du communautaire, et nous ne pouvons rester indifférents à ces destins défaits.
Nous les écoutons en confidence, en larmes de fond. On les prendrait bien dans nos bras tes vieux potes, tes désamours manqués.
La prouesse réside dans l'alliance du morne, de l'ennui, et l'émergence au fil des pages d'une émotion lancinante, d'un attachement pour ces personnages et assez curieusement pour toi aussi, Paul ou Olivier, je ne sais plus. Les scènes de déchirement familial sont magistrales, et la douleur du narrateur s'agissant d'amours perdues nous roule dans un incessant reflux houleux, dont nous émergeons noyés mais bouleversés.
Le talent du Adam, et c'est bien à ceci que nous reconnaissons les grands auteurs, se résume en deux points majeurs : l'écriture déferlante mais endiguée, épouse la forme de ce qui est raconté, et la lecture, longuement ardue, trouve sa récompense sur le dernier tiers du roman.
Un beau roman, morose pour ne pas dire noir.