C'est-à-dire qu'on pourrait commencer ainsi un livre sur l'anthropologie : quand on considère la vie et le comportement des hommes sur la terre, on s'aperçoit qu'ils exécutent en dehors des actes qu'on pourrait appeler animaux, comme l'absorption de nourriture, etc., des actes revêtus d'un caractère spécifique qu'on pourrait appeler des actes rituels.
Mais, cela étant, c'est une absurdité de poursuivre en disant que ces actes se caractérisent par ce ceci qu'ils proviennent de conceptions erronées sur la physique des choses. (C'est ainsi que procède Frazer, lorsqu'il dit que la magie est essentiellement de la physique fausse, ou, selon le cas, de la médecine fausse, de la technique fausse, etc.).
Ce qui est caractéristique de l'acte rituel, au contraire, n'est pas du tout une conception, une opinion, qu'elle soit en l'occurrence juste ou fausse, encore qu'une opinion - une croyance - puisse elle-même être également rituelle, puisqu'elle fait partie du rite.
Si l'on tient pour évident que l'homme tire du plaisir de son imagination, il faut faire attention que cette imagination n'est pas comme une image peinte ou un modèle plastique ; c'est une construction compliquée, composée de parties hétérogènes : des mots et des images. On n'opposera plus alors l'opération qui utilise des signes sonores ou écrits à l'opération qui utilise des "images représentatives" des événements.
Nous devons sillonner tout le champ du langage.
Cessons d'imputer au "fanatisme religieux" le terrorisme irlandais ou la guerre civile algérienne : c'est prendre la partie pour le tout et le pavillon pour la marchandise. Etant respectable par essence, la religion est toute désignée pour servir de couverture à un nationalisme qui s'est bâti autour de la différence religieuse et l'a prise comme drapeau ; c'est lui le vrai responsable. Le fanatisme n'est pas coupable des guerres de Religion au XVIe siècle ; leur véritable enjeu était la construction du sujet, l'image que chacun voulait avoir et donner de lui-même, l'estime de soi. Or, écrit Lucien Febvre, "s'il y avait une chose que les contemporains de Martin Luther repoussaient de toutes leurs forces, c'était l'argument d'autorité" ; ils ne pouvaient plus s'estimer eux-mêmes, si le clergé catholique avec ses "pasteurs" continuait à les traiter en grands enfants, en moutons, en "ouailles". La subjectivité révoltée contre l'autorité pastorale de l'Eglise catholique a fait couler plus de sang que la lutte des classes et le mouvement ouvrier au XIXe siècle, disait Michel Foucault ; la subjectivité, et non la religion, qui en était seulement l'endroit le plus sensible, le plus respectable.
Le germe de religiosité engendre une complaisance à la docilité ; "la religion est naturelle à l'homme", disaient Benjamin Constant et Raymond Aron, qui, apparemment, se considéraient eux-même comme étrangers à l'espèce humaine, puisqu'ils étaient l'un et l'autre incroyants. Mais on comprend trop bien d'où vient le plaisir que avons à prendre au sens fort la docilité complaisante : il provient de notre tendance à prêter anthropormorphiquement une compréhensible à la culture comme à la nature.