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sur 971 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Le ghetto intérieur est un ouvrage, poignant, lancinant, déchirant, pudique et splendide. Une histoire de recherche d'identité mais surtout de culpabilité.
Les tourments de Vicente l'obsèdent au point de l'enfermer dans un ghetto qui le ronge de l'intérieur. le mot ghetto est sciemment choisi, il fait écho au ghetto de Varsovie. Vicente est un émigré polonais qui a quitté son pays pour l'Argentine en 1928. Pouvait-il savoir en 1928 ce qu'il adviendrait de la Pologne 12 ans plus tard? Il est parti laissant sa mère et sa famille à Varsovie. Vincente portera toute sa vie durant, la culpabilité d'être en vie alors que sa famille est morte dans le Camp de Treblinka.
Ce livre est écrit par le petit-fils de Vicente pour la terrible histoire de Vicente continue à vivre à travers lui.
J'ai relevé quelques pages pédagogiques très instructives sur la terminologie, le sens des mots génocide, Holocauste, Shoah, solution finale. (pages 123-126 éditions folio, 2021).
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Il part. En 1928, il quitte la Pologne pour l'Argentine, Varsovie pour Buenos Aires, laissant sa mère, son frère et sa soeur à des milliers de kilomètres derrière lui. Il part et a le sentiment de se libérer enfin de l'emprise maternelle, il souhaite respirer un peu et se lancer dans une nouvelle vie, faire fortune peut-être, loin de la vieille Europe, loin d'une famille étouffante, loin d'une mère juive qui l'empêche presque d'être lui-même.
« Les Juifs me font chier. Ils m'ont toujours fait chier. C'est lorsque j'ai compris que ma mère allait devenir aussi juive et chiante que la sienne que j'ai décidé de partir. »
Le jeune et beau Vicente Rosenberg (double du grand-père de l'auteur) se marie, a des enfants. Il oublie le yiddish, parle espagnol, apprend à danser le tango. La vie lui sourit et Vicente Rosenberg aurait dû être un homme heureux. Mais il ne le sera pas : au même moment, de l'autre côté de l'Atlantique, le pire s'abat sur l'Europe. Il a pour nom nazisme et pour conséquence le meurtre de six millions de Juifs.
L'impensable.
L'innommable.
L'insensé.
La Shoah.
Si à son arrivée,Vicente Rosenberg propose à sa mère de venir le rejoindre à Buenos Aires, il ne fait pas l'effort de retraverser l'Atlantique pour aller la chercher et il faut bien l'avouer, il lit d'un oeil assez distrait les premières lettres qu'il reçoit d'elle et ne lui répond que lorsqu'il en a le temps. Mais très vite, il sent que quelque chose est en train de basculer, là-bas, en Europe. Et il sent aussi que sa mère se trouve dans l'oeil du cyclone et qu'enfermée dans le ghetto de Varsovie, elle ne s'en sortira peut-être pas.
Et ça, Vicente Rosenberg ne pourra jamais le concevoir.
Il est parti et maintenant c'est trop tard. Il a abandonné les siens, sa mère, son frère, sa soeur mais aussi d'une certaine façon, les autres Juifs d'Europe. Il ne s'est pas trouvé là où il aurait dû être. Il n'a pas vécu l'enfer que les autres ont subi. Il a honte. Écrasé par une douleur extrême et un sentiment de culpabilité immense, Vicente s'enferme petit à petit dans un mutisme absolu. Que dire en effet quand tout paraît vain ou dérisoire ? de quoi parler quand plus rien n'a de sens et que les hommes sont devenus fous ? Comment vivre en sachant que sa mère souffre et vit le pire ? Comment ne pas se réfugier dans le silence quand les mots n'ont plus de sens et qu'il n'en existe aucun pour exprimer le pire ?
N'étant plus que l'ombre de lui-même, il ne lui reste plus qu'à s'isoler dans un ghetto intérieur dont il aura bien du mal à s'extraire… si c'est possible.
« Il aspirait à un silence si fort, si continu, si insistant, si acharné, que tout deviendrait lointain, invisible, inaudible - un silence si tenace que tout se perdrait dans un brouillard de neige. »
Comme vous l'aurez compris, le sujet abordé ici par Santiago H. Amigorena est extrêmement douloureux et je sens qu'il va falloir que je fasse un effort pour rester objective afin de parler de l'oeuvre elle-même sans être emportée par l'émotion (et avec une telle thématique, c'est difficile.)
Bon, disons-le, j'ai un avis plutôt positif sur ce roman (certains aspects m'ont beaucoup plu) mais j'ai tout de même quelques réserves.
Des livres sur la Shoah, nous en avons tous beaucoup lu. Or, le Ghetto intérieur a ceci d'original qu'il fait le portrait d'un homme qui n'est pas sur le lieu même où les crimes sont commis. En effet, Vicente reçoit des bribes d'information et a bien du mal à appréhender la vérité. On comprend que les journaux ont parlé finalement (et pour différentes raisons) assez tardivement de tout ce qui se passait dans les camps de la mort. L'information circulait mal. Et puis, comment admettre l'impensable, comment considérer comme vrai ce qui dépasse l'entendement ?
« Vicente, comme le reste de l'humanité, pouvait savoir mais ne pouvait pas savoir. Il ne pouvait mettre aucune image sur ce qui se passait à douze mille kilomètres de distance de là où se déroulait son drame personnel. Il ne pouvait mettre aucune image ni l'appeler d'aucun nom.»
Cette distance géographique et donc physique va être très mal vécue par le narrateur qui a le sentiment de ne pas être à sa place. Un sentiment d'impuissance s'empare donc de lui. Il comprend qu'il est fondamentalement attaché à ceux dont il s'est éloigné : à sa famille mais aussi aux Juifs d'Europe. Lui qui avait plus ou moins rejeté son appartenance à toute forme de judéité se sent être fondamentalement juif, appartenir à une famille, une communauté qu'il avait délaissée. C'est donc en s'éloignant qu'il devient ce qu'il fuyait. J'ai trouvé passionnantes toutes les analyses tournant autour de cet écart géographique et ses conséquences sur l'évolution psychologique du personnage principal.
M'ont aussi beaucoup intéressée les réflexions sur les mots permettant de désigner l'innommable : dire « Shoah » ou « Holocauste », mettre une majuscule ou pas, parler d' « événement » ou de « catastrophe », d' « apocalypse » ou de « génocide », cela n'a pas le même sens, ne sous-entend pas la même chose… Les mots ont ici une importance capitale car ce sont eux qui vont exprimer les faits, dire ce que beaucoup renonceront à dire, c'est par eux que sera révélée et transmise la vérité, celle que tout le monde doit savoir.
Enfin, le questionnement sur l'identité juive est aussi passionnante d'autant que les réflexions ont lieu dans une langue assez simple qui pourrait être celle d'un jeune homme comme Vicente : il essaie en effet de comprendre qui il est, quel est le sens de cette identité unique qu'il n'a pas choisie (et que les nazis ont imposée aux gens qu'ils voulaient assassiner), pourquoi il serait plus juif que polonais, argentin, danseur de tango, joueur de football ou vendeur de meubles, il se demande si on peut avoir une identité qui nous définisse toute une vie, si ce mot a du sens pour lui et l'on assiste vraiment ici, notamment grâce au discours direct, à l'évolution de sa réflexion, un peu naïve dans sa formulation et donc très touchante :
« - Oui, oui, c'est ça ! C'est exactement ça ! On est différents. On est différents de tout, on est différents de tous. On est différents de quoi que ce soit. C'est la seule chose qui compte. On est le seul peuple sans armée, sans État. Et on a été élus, mais on n'a jamais vraiment su pourquoi on avait été élus. On a été élus seulement pour se poser la question de pourquoi on a été élus !C'est ça ! On est juifs. Je suis juif. Mais on ne sait pas ce que c'est. On ne sait absolument pas ce que c'est. Et le plus beau et le plus triste à la fois, c'est qu'on n'arrêtera jamais de se le demander, et qu'on ne le saura jamais. »
La simplicité des mots et des tournures de phrases confère une vraie force au propos. Et l'on sent soudain que l'on touche à l'essentiel, à quelque chose qui a à voir avec une forme de tragique et c'est beau à pleurer….
Mon bémol réside finalement dans le récit lui-même que j'ai trouvé parfois (et notamment à la fin) très répétitif et trop long, d'autant que souvent, ce sont les mêmes expressions, les mêmes mots qui sont employés pour exprimer le quotidien de Vicente, ses sorties en ville, les cafés, les jeux, le désespoir de sa femme et son enfermement intérieur… Un livre sur un tel sujet supporte mal les longueurs. Certains passages manquent de rythme et les redites finales, trop nombreuses, alourdissent inutilement le récit.
Il me semble aussi que l'auteur aurait pu donner encore plus de force au personnage de Vicente en exprimant peut-être de façon un peu plus progressive (plus nuancée?) sa lente plongée dans le silence. J'ai le sentiment qu'on y arrive trop vite, trop tôt dans le roman (p 52, son ami Ariel le trouve déjà « plus taiseux qu'il ne l'était depuis le début de la guerre »), ce qui oblige ensuite l'auteur à jouer sur le ressassement, la répétition tout le long des 140 pages restantes. Je pense qu'il y a ici un manque d'équilibre dans l'organisation romanesque et ce au détriment du personnage principal dont le portrait aurait, je pense, pu être plus affiné, plus fouillé.
J'ai trouvé enfin qu'il y avait comme une distance entre le personnage de Vicente et le lecteur (moi-même en l'occurrence) : est-ce lié au récit à la 3e personne - mais comment faire autrement? ou à une certaine économie de moyens dans l'écriture (une certaine froideur) ?, ou bien aux références historiques assez nombreuses (et pas franchement nécessaires à mon avis) qui empêchent, me semble-t-il, la partie romanesque de se déployer véritablement? Je ne sais pas vraiment, en tout cas, cette distance a un peu retenu chez moi l'empathie voire l'émotion (qui auraient dû être là, présentes et immenses, dès les premiers mots). J'ose l'avouer, le personnage de Vicente ne m'a pas vraiment touchée (sauf quand il parle de sa mère - quel beau livre d'ailleurs sur les relations mère/fils...)
Et pourtant, il aurait dû me bouleverser. Je trouve que quelque chose ne fonctionne pas vraiment dans le dispositif romanesque. Pourquoi ? I don't know. En tout cas, il m'a fallu attendre la fin pour que je me sente émue. (D'ailleurs, quand je dis que je n'ai pas été touchée plus que ça par Vicente, je ne l'ai pas été non plus par sa femme et ses enfants…) Je les ai vus comme de loin…

Bon, allez, j'arrête là. le Ghetto intérieur reste incontestablement un texte marquant et il ne faut pas vous fier à l'avis d'une vieille grincheuse au coeur de pierre !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Quand j'ai ouvert ce roman, et malgré les avis unanimement élogieux qui entouraient cet ouvrage, je ne m'imaginais pas qu'en 177 pages seulement, l'auteur parviendrait à me plonger ainsi dans l'émotion, la révolte, la tristesse, l'interrogation.

Vincente vit à Buenos Aires.
Il est marié, a deux enfants et fait prospérer l'usine de meubles de son beau-père.
Tout va bien pour lui.
Du moins en apparence.
Car nous sommes en 1940.
Et Vincente est juif.
Si lui a décidé de partir pour Buenos Aires, sa mère et son frère sont restés en Europe, en Pologne.

Peu à peu, la peur et la culpabilité rongent Vincente.
Que deviennent les siens dans cette Europe à feu et à sang ?
Pourquoi a t il fui ?
Pourquoi ne pas avoir insisté davantage pour embarquer avec lui sa mère et son frère ?
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Alors que des nouvelles toujours plus alarmantes lui parviennent de l'Europe, que les conditions de vie de sa mère dans le ghetto de Varsovie deviennent intolérables et que les premières informations sur l'existence de camps d'extermination se répandent, Vincente dévasté, tétanisé par la peur, l'effroi et la culpabilité s'enferme peu à peu dans son propre ghetto intérieur.

Un roman bouleversant qui au-delà de la question de la Shoah, interroge sur l'identité et l'exil.

Un roman essentiel. Nécessaire.

A lire absolument

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Le narrateur petit-fils de Vicente va nous conter son histoire, ce roman me fait tellement penser à un récit que je suis un peu perturbée de voir « roman » sur la couverture. La plume de l'auteur est pleine de pudeur comme les silence de Vicente. Face à sa culpabilité, celle de ne pas être avec sa mère et son frère, celle de ne pas avoir fait le nécessaire pour les faire venir en Argentine quand il était encore temps, Vicente va choisir de se taire, de garde cela pour lui et donc de se retrouver dans son Ghetto Intérieur. Cet homme qui a choisi de partir pour vivre sa vie, loin de sa mère envahissante va réussir à se faire sa place, se marier avoir des enfants, une belle vie qui va basculer progressivement en même temps que la vie de ses proches devient un cauchemar.

En parallèle de la vie de notre protagoniste, des moments clés de la Shoah nous sont rappelés. Les différentes formes de massacre qu'on subit les Juifs, la ghettoïsation, puis les camps et l'extermination. Tout ce que Vicente ignore sur le moment et qu'il découvrira petit-à-petit pour comprendre que son imagination était en dessous la douloureuse réalité.

L'auteur aborde avec subtilité l'inquiétude grandissante de Vicente, mais aussi la culpabilité du survivant et le poids de cet héritage sur les générations suivantes. Sans oublier la question de l'origine et de ce qui nous définit en tant que personne.

Ce n'est pas énième livre sur la Shoah, celui-ci a le mérite d'aborder un angle différent. Et de toute façon peu importe le nombre d'écrits sur le sujet, les témoins un jour ne seront plus là alors que les écrits resteront car il ne faut surtout pas oublier et surtout que les générations à venir connaissent cette atroce vérité. Alors je ne peux que vous conseiller la lecture de ce roman.
Lien : https://leslecturesdemamanna..
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Un récit avec beaucoup de poésie mais aussi assez sombre, l'auteur nous raconte via son passé familial comment son arrière-grand-mère fut déporté en Pologne, au camp de Treblinka II. Si le sujet n'est pas joyeux, ce n'est pas pour autant qu'il est triste, Santiago Amigorena arrive à nous faire ressentir de la joie à travers les lettres qu'elle envoie à Vicente. Ce n'est pas vraiment un témoignage, plutôt un roman qui se base sur l'Histoire et sur l'histoire de l'auteur, à l'origine du silence familial.
A Buenos-Aires en 1940, des amis juifs se retrouvent au café en se demandant ce qu'il se passe en Europe, qu'ils ont quittés quelques années plus tôt. A travers des lettres que sa mère lui envoi, Vincente pense à elle et à son destin tragique. le roman est bien écrit, réaliste, touchant, et le thème du silence, du drame qui se passe de génération en génération, confronte l'Histoire de l'holocauste et des dégâts qu'il fait sur toute cette famille. L'auteur y exprime avec des sentiments justes, ce qui créé ce silence qu'il cherche à rompre à travers ce roman.
Même si je n'ai pas accroché immédiatement au livre, j'ai quand même réussi à entrer dans ce roman singulier, qui cherche à briser un tabou, qui veut aussi ouvrir la plaie pour que les générations futures ne subissent plus et que le traumatisme ne se transmette plus.
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Santiago H. Amigorena évoque avec "Le ghetto intérieur" l'impuissance face à l'horreur et le traumatisme qui en résulte.

Vicente Rosenberg a 38 ans. Il vit depuis douze ans à Buenos Aires, où il a émigré en 1928, quittant sa Pologne natale, son statut de juif l'empêchait d'y être considéré comme un citoyen à part entière, malgré son engagement aux côtés du Maréchal Józef Piłsudski pour libérer la Pologne des russes en 1920. Marié, et père de trois enfants, il tient un magasin où il vend les meubles que fabrique son beau-père, et mène une existence paisible et confortable, ne se préoccupant guère de son identité. Jeune juif, jeune polonais, ou jeune argentin ?... Il serait bien en peine de se définir... Il se sent en tous cas détaché de tout sentiment d'appartenance à une communauté juive dont il considère avec condescendance certaines habitudes culturelles.

Mais bientôt, la rumeur de la menace nazie en Europe se concrétise. Et contrairement à celle de ses amis, la famille de Vincent vit toujours sur le vieux continent, notamment sa mère et son frère, restés à Varsovie. Les lettres maternelles le tiennent informé (parfois avec des mois de retard) d'une situation qui se dégrade, de la mise en place du ghetto de Varsovie, de la faim, du danger de mort croissant. Bientôt il ne reçoit plus de nouvelles.

C'est seul qu'il porte l'insoutenable poids de ce traumatisme rendu presque absurde par l'absence de ce qui le provoque et l'ignorance de ce qui se passe vraiment, refusant par ailleurs que sa femme et ses enfants vivent dans "la cruauté inutile de la mémoire". L'éloignement, la culpabilité et l'incertitude le rongent, le plongent dans un mutisme grandissant, le silence devenant sa seule arme pour survivre. Il se renferme sur lui-même, avec l'inconsciente illusion qu'en se taisant, il vivra le moins intensément possible, et anesthésiera la souffrance. En espérant qu'en se taisant, il cessera de penser. En vain. Obsédé par l'idée de la détresse que subit probablement sa mère, pendant que lui vit dans la sécurité et le confort -et qu'il doit bien continuer, pour ses proches, à vivre "normalement"-, est un insupportable paradoxe.

Et comment mettre des mots sur ce qui est si douloureux qu'il en est indicible, comment évoquer une horreur qui ne peut s'appuyer sur aucune logique, aucune explication, tant elle est inimaginable ?

Le drame qui se joue à des milliers de kilomètres, et dont il ignore les détails, si ce n'est par quelques colonnes dans les pages intérieures de journaux argentins qui peinant à croire à l'ampleur de l'horreur, la minimisent, le transforme. D'individu ordinaire et serein, il devient celui qui n'était pas où il aurait dû être, celui qui n'a pas insisté pour faire venir sa mère en Argentine lorsqu'il était encore temps. La vague réticence d'un fils à faire venir une mère qu'il craignait de voir bouleverser son indépendance a ainsi des conséquences disproportionnées, absurdement cruelles. Il se sent lâche, se considère comme un traître, un fugitif.

Et c'est comme si, soudain, on l'obligeait à se sentir juif, en lui faisant porter le poids des persécutions d'un peuple défini par la systématisation avec laquelle on le stigmatise et le tyrannise...

Bouleversant.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Ce roman vient s'imbriquer dans la vaste entreprise autobiographique du romancier, qu'il a nommée "Le Dernier Livre" et révèle un nouveau pan de son histoire. Evoquant la tragédie de la Shoah sous un angle original, il démontre de façon sublime la mécanique d'une transmission transgénérationnelle.

La narration se concentre sur le poids de l'exil du grand-père maternel du romancier. Vicente Rosenberg quitte la Pologne en 1928 pour s'installer en Argentine. Un exil qui lui permet, quinze ans plus tard, d'échapper au destin tragique des juifs restés au pays mais qui, dans le même temps, le précipite dans un abîme où tous ses repères volent en éclat.

Dès 1940, il assiste, impuissant, à la dégradation de la situation en Europe, voit les murs du ghetto de Varsovie se refermer sur sa mère, l'arrière-grand-mère de l'auteur. A mesure que les lettres de cette dernière disent et révèlent l'horreur, la conscience de Vicente, marié à Rosita et père de trois enfants désormais, se paralyse. Il se vide de ses mots.

Le silence est désormais la seule traduction possible de l'irreprésentable, de la culpabilité et de son identité rétrécie. Vicente devient incapable de se situer, de faire "un" et de trouver du sens à ses différentes appartenances, mari, père, fils, et sa judéité. Avec force et une délicate pudeur, Santiago H. Amigorena nous fait entrer au plus près de l'intimité de Vicente. Il redonne une voix et des mots à son silence. On en perçoit la densité et ce qui se débat derrière ses murs intérieurs, et le processus - terrible - de l'effondrement de soi qui est en cours.

Nous suivons, tout aussi impuissants, le quotidien de Vicente et de sa famille, quasi caméra à l'épaule, jusqu'aux dernières pages, poignantes, où le romancier réapparaît et reconnecte l'histoire de Vicente à la sienne. Nous sommes alors les témoins du lien ultime qu'il établit entre le silence de son grand-père et celui qu'il a reçu en héritage. Et par là-même, qui réinscrit ce roman au sein d'une histoire tenant de l'universel.
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C'est d'un point de vue intimiste que ce roman aborde la catastrophe qu'a été la Shoah; mais aussi d'une façon indirecte puisque cette catastrophe est vécue par quelqu'un qui y a échappé; qui a eu l'intuition de fuir son pays d'origine, en abandonnant culture, langue et famille pour y échapper. Et c'est là le noeud de son drame personnel. il a fui, peut-être avec l'intuition de la menace imminente, mais aussi pour se libérer de l'emprise de sa mère. Lorsqu'il comprend, sans vouloir se l'imaginer précisément ni même vouloir en acquérir la certitude, l'horreur du ghetto de Varsovie où est contrainte de vivre sa famille — et particulièrement sa mère, lorsqu'il sait sans même se l'avouer le sort inéluctable des Juifs dans la réalité de « La solution finale », il s'enferme dans le ghetto intérieur du mutisme et du jeu où il s'efforce de tout perdre, dans ce qu'on qualifiait aujourd'hui de dépression.
Ce roman est extrêmement touchant, d'autant plus qu'on le sait d'inspiration autobiographique, le protagoniste de cette histoire Wincenty/Vicente étant le grand-père maternel de l'auteur. L'ironie du sort, ou plutôt sa cruauté, a fait que l'auteur répète malgré lui le vécu de son grand-père ayant dû, lui-même, fuir son pays d'origine, abandonner sa culture et sa langue maternelle pour échapper aux exactions d'une autre dictature…
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Court roman nous entraînant à Buenos Aires en 1940. Vicente, juif polonais s'est exilé en Amérique du Sud. Il y a fondé une famille.

Son autre famille – sa mère, son frère – sont restés à Varsovie.

Les murs du ghetto se referment sur ces derniers, ce ne sont plus que de rares lettres de sa mère qui parviennent jusqu'à Vicente.

Cependant, dans son pays d'accueil, en paix, un autre ghetto se construit, petit à petit- celui du jeune homme, victime indirecte de l'horreur nazie.

Roman dépeignant la culpabilité écrasante d'un homme exilé. Un jeune homme qui a fui sa famille pour mieux se trouver. Qui ne pouvait pas savoir qu'il allait ainsi assurer sa survie. Assister, aussi, au martyr des siens.

D'un homme qui se confronte à ses petites lâchetés d'apparence si anodine. Les demandes faites à sa mère, sans grande conviction, de le rejoindre, loin des pogroms.

Sa punition sera abominable. Celle de lire entre les lignes des lettres de sa mère bien aimée, toutes les souffrances pudiquement tues même si parfois l'horreur est telle qu'elle transpire des mots écrits.

Présente et en même temps si absente, la mère est là. La pensée divague sur ce qu'elle a vécu, sur ces lettres qu'elle tentent de rendre moins terribles. Était-elle soulagée de savoir son fils en sûreté ? Dévastée par son propre destin ?

Ce roman questionne aussi l'identité. Celle d'un homme qui s'est d'abord considéré comme polonais puis argentin et que le nazisme va définir comme juif.

Beaucoup de choses sont évoquées en moins de 200 pages, rendant cette lecture émouvante et intéressante. Un bel hommage rendu par l'auteur à son grand-père. Un roman en lice pour le Goncourt 2019.
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Dans ce roman, nous suivons Vicente qui vit en Argentine tout en ignorons les tragiques événements que connaît l'Europe à cause de la montée du fascisme et du nazisme. L'auteur nous offre un récit d'exil qui nous montre la vie mélancolique de cet homme qui essaie de s'adapter à la vie a l'étranger pour surmonter la destruction de sa famille.
Un récit très poignant et bouleversant qui nous raconte l'histoire vraie des grands parents de l'auteur.
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