Lorsque j'avais assisté, à la Fête du livre de Bron, à un entretien avec
Santiago H. Amigorena, j'avais été très marquée par la façon dont l'auteur avait évoqué avec beaucoup d'émotion et d'intensité sa douloureuse histoire familiale sur trois générations : celle de ses grands-parents durement éprouvée par le nazisme, celle de ses parents obligés de fuir la dictature militaire en Argentine et la sienne, enfant d'un exil forcé en France.
J'avais donc une très forte attente par rapport au roman qu'il venait présenter :
le ghetto intérieur qui relate l'histoire de son grand-père Vincente Rosenberg, émigré en Argentine en 1928 et qui va vivre toutes les années de la Seconde guerre mondiale, loin de sa famille restée en Pologne et soumise aux persécutions nazies. le roman retrace le périple de cet homme qui s'enfermera progressivement dans le silence faute de pouvoir secourir les siens. Un silence dont il ne sortira pas jusqu'à la fin de ses jours... Une problématique poignante, douloureuse, qui aurait dû me happer du début jusqu'à la fin.
Mais cela n'a pas été le cas. Je reconnais que l'auteur a su passer au scalpel toutes les étapes de cette lente descente aux Enfers. le silence de Vincente sera d'abord le refus des pensées obsessionnelles qui le hantent et des mots qui leur donnent vie. Puis petit à petit viendra le désir de parvenir à un vide intérieur intégral : un rempart contre les rumeurs assourdissantes du monde extérieur sur la terrible tragédie en train de se jouer, mais aussi et surtout le choix de se murer dans une sorte de "ghetto intérieur" qui, pense-t-il - sauf dans ses cauchemars - va le préserver de sa mauvais conscience.
Mais en 1945, Vincente ne va plus pouvoir "ne pas savoir". La tragédie de l'Holocauste éclate au grand jour et Vincente ne peut plus ignorer que sa mère est morte à Treblinka. Alors il va vivre une autre horreur, "celle d'une vie coupable, où la culpabilité le rongerait jour après jour, l'horreur d'avoir fui, d'avoir abandonné sa mère...". Et Vincente va se taire jusqu'à sa mort, s'infligeant le supplice d'une auto-punition sans fin... et refusant de partager sa peine avec sa famille.
Une trajectoire tragique à laquelle je n'ai pas vraiment accroché , faute d'avoir pu la vivre corps et âme avec le personnage de Vincente qui, pour moi, est resté très lointain. Pas ou peu de monologues intérieurs, une analyse certes brillante, mais très distanciée de ses états d'âme, m'a empêché de partager la tragédie vécue par cet homme.
Je n'ai en fait trouver la "petite musique intérieure" qui fait vibrer la lectrice que je suis qu'à la fin du roman lorsque l'auteur se met en scène et devient narrateur. Les dernières pages du roman m'ont émue par leurs questionnement apaisés et leur forte densité émotionnelle : un hommage vibrant à la force de l'enracinement transgénérationnel et à la saveur douce amer du souvenir...
Mais dommage c'était la fin !