Les jeunes poètes long chevelus, qui évoluaient dans le rayonnement projeté par la gloire de son père, l’intéressaient davantage ; mais pour la plupart ils avaient, d’eux-mêmes, une estime si manifeste, qu’elle voyait leurs ridicules autant que leur talent.
Aussi, ni aux uns ni aux autres, elle n’accordait une place dans l’existence qu’elle souhaitait se créer par l’art et le travail, n’en désirant nulle autre, dans la ferveur de ses dix-huit ans, que l’amour n’avait pas encore effleurés. Se suffire à elle-même, acquérir une indépendance qu’elle devrait à elle seule, c’était son rêve juvénile, et elle en poursuivait discrètement la réalisation avec une indomptable volonté.
Elle l’avait tant aimée, cette sœur aînée, pour elle si tendrement maternelle, dont l’affection avait été la joie de sa jeunesse de petite fille ; qu’elle avait si désespérément pleurée tout bas, quand le mariage la lui avait enlevée. Alors, la seule pensée du bonheur de Marguerite avait pu consoler un peu sa détresse silencieuse.
Elle avait grandi dans un milieu où elle entendait parler devant elle de toutes choses, discuter comme des thèses ou des questions d’art les sujets les plus délicats, même les problèmes psychologiques les plus osés. Presque fillette, à la suite de ses sœurs aînées, elle avait été lancée dans le monde où, très intelligente, le regard autant que l’oreille et l’esprit toujours en éveil, elle avait vite discerné toute sorte de vérités décevantes qui avaient trop tôt mûri sa pensée, mais en même temps lui jetaient au cœur un âpre mépris pour les vilenies, pour les grandes et pour les petites lâchetés mondaines.
Je me sens tout à fait stupide, devant elle, comme devant son père… J’aime mieux m’entretenir avec sa mère. C’est une très aimable personne, fort élégante. Vraiment, ces trois dames sont toujours si parfaitement mises, que je ne peux pas croire qu’elles soient sans fortune, comme les mauvaises langues le prétendent… Leur appartement est très confortable, un peu bizarrement arrangé à mon goût.
Elle estimait que les hommes illustres ne doivent pas être jugés à la mesure des simples mortels et que leurs dons supérieurs leur donnent des privilèges spéciaux. D’autant, et cela c’était son opinion de petite fille très moderne, qu’il est inutile de demander grande sagesse aux hommes, même à ceux qui n’ont pas leur gloire pour excuser leurs faiblesses.