Petit poème des poissons de la mer (1926)
Je me suis penché sur la mer
Pour communiquer mon message
Aux poissons :
« Voilà ce que je cherche et que je veux savoir. »
Les petits poissons argentés
Du fond des mers sont remontés
Répondre à ce que je voulais.
La réponse des petits poissons était :
« Nous ne pouvons pas vous le dire
Monsieur
PARCE QUE »
Là la mer les a arrêtés.
Alors j’ai écarté la mer
Pour les mieux fixer au visage
Et leur ai redit mon message :
« Vaut-il mieux être que d’obéir ? »
Je le leur redis une fois, je leur dis une seconde
Mais j’eus beau crier à la ronde
Ils n’ont pas voulu entendre raison !
Je pris une bouilloire neuve
Excellente pour cette épreuve
Où la mer allait obéir.
Mon cœur fit hamp, mon cœur fit hump
Pendant que j’actionnais la pompe
À eau douce, pour les punir.
Un, qui mit la tête dehors
Me dit : « Les petits poissons sont tous morts. »
« C’est pour voir si tu les réveilles,
Lui criai-je en plein dans l’oreille,
Va rejoindre le fond de la mer. »
Dodu Mafflu haussa la voix jusqu’à hurler en déclamant ces trois derniers vers,
et Alice pensa avec un frisson : « Pour rien au monde je n’aurai voulu être ce messager ! »
Celui qui n’est pas ne sait pas
L’obéissant ne souffre pas.
C’est à celui qui est à savoir
Pourquoi l’obéissance entière
Est ce qui n’a jamais souffert
Lorsque l’être est ce qui s’effrite
Comme la masse de la mer.
Jamais plus tu ne seras quitte,
Ils vont au but et tu t’agites.
Ton destin est le plus amer.
Les poissons de la mer sont morts
Parce qu’ils ont préféré à être
D’aller au but sans rien connaître
De ce que tu appelles obéir.
Dieu seul est ce qui n’obéit pas,
Tous les autres êtres ne sont pas
Encore, et ils souffrent.
Ils souffrent ni vivants ni morts.
Pourquoi ?
Mais enfin les obéissants vivent,
On ne peut pas dire qu’ils ne sont pas.
Ils vivent et n’existent pas.
Pourquoi ?
Pourquoi ? Il faut faire tomber la porte
Qui sépare l’Être d’obéir !
L’Être est celui qui s’imagine être
Être assez pour se dispenser
D’apprendre ce que veut la mer…
Mais tout petit poisson le sait !
Il y eut une longue pause.
« Est-ce là tout ? demanda Alice timidement.
TRIC TRAC DU CIEL
ROMANCE
La musique sort des fenêtres
Dissolvez-vous moelles de nos os
La ville entière se renverse
Dans un spasme délicieux
Dans la ville noire le bruit
Que font quelles orgues obscures
À coups de manivelle dure
Gagne, gagne à chaque cahot
Ah la ville en a plein les os
De cette liqueur sans pareille
Qui l'inonde par les oreilles
Et la perce de ses cristaux
Un silence réside au fond
De la mélodie enivrante
Que toute la ville en attente
Puise au cœur de l'orgue profond
Et l'attente se réitère
Dans l'espace de chaque ressaut
Que la manivelle au cœur faux
Imprime à la musique claire
Quelle Arabie ou quelle Afrique
Tient le refrain que nous cherchons
Brise les glaces de nos fronts
O musique, blessante musique
p.352
TRIC TRAC DU CIEL
LA TRAPPE
La trappe, la trappe roule le ciel
Frère porcher tu t'extravases
Tes cochons en état de grâce
Se révèlent emmanuels
Un esprit souffle sur les bouses
Un vent venu on ne sait d'où
Où se transfigurent les choux
Du petit jardin sans pelouses
Au travers des palais terreux
De leur humilité plénière
Les moines couchent leurs poussières
Ils sont vils, ils sont lumineux
L'ordure enferme le secret
De la membrane planétaire
Où se ramasse la matière
De leurs rêves outrepassés
Voici venir l'hyper-espace
Le béquillard sanctifié
La ribaude en état de grâce
Et la veuve au ventre gelé
p.351
TRIC TRAC DU CIEL
ORGUE ALLEMAND
L'orgue allemand excite le singe
Sur la place aux pavés étroits
Et la foire qui les assiège
Comme une bannière se déploie
La vieille foire borde le ciel
Aux marges de la ville en pointe
Et l'orgue explose à chaque seconde
Avec le bruit des orgues du ciel
D'Elle, de nous, ou de cette âme
Que nous assîmes au banquet
Dites-nous quel est le trompé
O inspirateur des infâmes
Celle qui couche dans mon lit
Et partage l'air de ma chambre
Peut jouer aux dés sur la table
Le ciel même dans mon esprit
p.350-351
DEUXIÈME PARTIE
TEXTES ET POÈMES INÉDITS/BILBOQUET
LA NUIT OPÈRE
Extrait 2
Le Verbe pousse du sommeil
comme une fleur ou comme un verre
plein de formes et de fumées.
Le verre et le ventre se heurtent,
la vie est claire
dans les crânes vitrifiés.
L'aréopage ardent des poètes
s'assemble autour du tapis vert
le vide tourne.
La vie traverse la pensée
du poète aux cheveux épais.
Dans la rue rien qu'une fenêtre,
les cartes battent ;
dans la fenêtre la femme au sexe
met son ventre en délibéré.
p.227-228
Antonin ARTAUD – Témoignages (DOCUMENTAIRE with english subtitles, 1993)
Les deux parties du documentaire "La Véritable Histoire d'Artaud le Mômo", par Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, réalisées en 1993. Présences : Luciane Abiet, Jacqueline Adamov, André Berne-Joffroy, Annie Besnard-Faure, Gustav Bolin, Denise Colomb, Pierre Courtens, Alain Gheerbrant, Alfred Kern, Gervais Marchal, Domnine Milliex, Minouche Pastier, Henri Pichette, Marcel Piffret, Rolande Prevel, Marthe Robert, Jany Seiden de Ruy, Paule Thévenin et Henri Thomas.