AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,25

sur 2431 notes
5
71 avis
4
49 avis
3
15 avis
2
1 avis
1
0 avis
Si La comédie humaine est un des plus imposants et néanmoins somptueux édifices de notre patrimoine littéraire, et consacre Balzac comme l'un des plus brillants tailleurs de pierres, évidemment gravées, que la profession ait eu l'heur de compter, Illusions perdues, dans la cathédrale de ce géant est sans doute un de ses plus beaux vitraux. Il figure au-dessus du porche pour mieux mettre en valeur, de ses feux de lumières aux mille carnations, un chœur puissant cerclé de chapelles toutes plus rayonnantes les unes que les autres. Que d'intelligence, de culture et quel flamboiement constant, du cœur, de l'âme et de l'esprit, tour à tour emportés par les plus touchantes idylles, les plus grandioses sentiments de fraternités, les plus fines observations sur les ressorts de la lutte de chacun contre chacun dans une société d'individus dressés à se combattre plutôt qu'à s'entraider puisque « le succès est la raison suprême de toutes les actions quelles qu'elles soient. Le fait n'est donc plus rien en lui-même, il est tout entier dans l'idée que les autres s'en font ». Là est le fin mot de l'histoire, l'histoire véritable, quoique secrète dit le chanoine Herrera. Là réside la vérité, loin des fadaises de l'histoire officielle. « De-là (…) un second précepte : ayez de beaux dehors ! Cachez l'envers de votre vie et présentez un endroit très brillant » proclame encore le prêtre en guise thèse, expliquant que, à Paris ainsi qu'en province, chez les grands comme chez leurs poursuivants, avec pour premier horizon d'avoir et de le faire savoir, de paraître plutôt que d'être, les énergies se consacrent désormais à médire plus encore qu'à dire (le vrai, le beau, le juste), à défaire bien plus qu'à faire (le bien, l'utile), et à conspirer plus sûrement qu'à œuvrer. Illusions perdues l'illustre avec maestria.
Balzac éclaire son siècle et sa société comme nul autre pareil. Il avait, veut la légende, répondu à qui soulignait son don d'observation, « comment voulez-vous que j'aie le temps d'observer, j'ai à peine celui d'écrire ». Il y avait sans doute là une coquetterie, et peut-être même une farce, car il ne manquait pas d'humour, à laquelle bien des connaisseurs ou faisant profession de leur savoir en littérature se sont faits prendre, plus satisfaits d'être des historiens de l'anecdote que des tâcherons de l’œuvre.
Comment peut-on faire peser du même poids, si ce n'est pour prétendre avoir un avis qui se démarque des apparences, autre manière de paraître plus encore, que Balzac n'est pas réaliste quand, comme ici dans Illusions perdues, il fait la démonstration à longueur de pages maitrisées, de sa connaissance de l'univers de l'imprimerie, de l'édition, du commerce des ouvrages. Il n'en ignore aucun des usages, des valeurs, des mots, des pratiques, des sous-couches culturelles. Il connaît l'histoire des hommes, des idées autant que celle des techniques, des outils et même des matériaux. Et pour chaque classe sociale dont il tire des portraits, c'est avec le même pinceau fin qu'il s'y adonne, soulignant les traits les plus saillants, les expressions caractéristiques, les formules les plus significatives, les habitudes les plus ancrées, restituant les décors et les passés propres à chacune pour mieux donner encore à voir ce que l’œil ne peut pas pénétrer.
Balzac a tout connu, tout vu, tout lu. Il sait tout sur chacun et sur tous. C'est un ogre qui a absorbé le monde puis a eu besoin de se retrancher pour le digérer avant d'en recracher la substantifique moelle, d'en décrire la saveur tragique malgré la comédie que jouent ses contemporains. « Croyez-vous que ce n'est rien que de pénétrer ainsi dans les replis les plus cachés du cœur humain, questionne-t-il, que d'y pénétrer si profondément et de l'avoir ainsi devant soi dans sa nudité ? ». Qu'il ait, pour partager sa clairvoyance et démontrer son savoir, fait appel à une grandiose puissance d'imagination romanesque ne change rien à son réalisme. Qu'il s'attache à faire de ses personnages de idéaux-types ne relativise en rien la précision et la pertinence de son discours, de son intention : tout au contraire. « Penser c'est oublier des différences, c'est généraliser, abstraire » disait Borges. Pour autant, comme dira Taine, son œuvre constitue sans doute le plus grand magasin de documents humains qu'il y ait eu depuis Shakespeare. Et les illusions perdues sont, à soi seul, et plus encore avec Splendeur et misère des courtisanes qui en constitue la suite directe, la plus belle pièce.
Commenter  J’apprécie          192
Un roman De Balzac c'est toujours quelque chose de particulier. Au fond c'est un auteur que je connais peu mais en même temps, j'ai l'impression d'en avoir tellement entendu parler qu'il me semble le connaître. Alors j'ai lu ce livre et je préviens que j'attendais beaucoup, vraiment beaucoup au vu des critiques très enjouées de ce roman, et je n'en suis pas déçu. Car tout est présent dans ce roman, en tout cas tous les éléments d'un bon roman De Balzac.
D'une part les personnages sont incroyablement réalistes, énergiques et variées. le personnage central, Lucien Chardon, se lance dans une carrière ambitieuse de journaliste à Paris. Mais il doit faire face à toute l'hypocrisie et le mépris à son égard. Les trahisons et les humiliations de plus en plus nombreuses le conduisent à une ruine morale et financière ce qui le fait rentrer à Angoulême. Ce personnage est vraiment très intéressant. Il se démène contre un sort impitoyable réservé aux ambitieux. Je ne pensais pas que je pourrai autant ressentir d'émotions pendant la lecture de quelques centaines de pages écrites pas Balzac. Et oui quand j'ai lu le délaissement du Cénacle, de tels esprits, par Lucien, quand j'ai lu les rédacteurs des journaux forçant les journalistes à faire des articles pour l'argent, quand j'ai lu la souffrance de Coralie, j'ai souffert.
Je ne vais pas faire un inventaire détaillé de chaque personnage mais pour tout ceux qui tenteraient la lecture de ce monument de la littérature française du XIXème siècle, je pense qu'il faut savourer comment l'auteur met en relations les personnages et développe leurs états d'âmes, leurs réflexions.
L'apparition de Carlos Herrera alias Vautrin m'a beaucoup surpris. En effet dès que je lis un passage avec Vautrin, tout d'un coup l'ambiance du roman change, on se plonge dans tout autre chose. Et je ne peux m'empêcher de pense au Comte de Monte-Cristo car Vautrin, avec son air de brigand et de protecteur, à tout l'air de ce comte que j'apprécie tant. Alors d'accord on le voit que vers la fin, durant une longue conversation avec Lucien, mais Carlos Herrera est mon personnage préféré du roman.
Balzac met en avant une réflexion incroyable sur le journalisme et l'ascension sociale avec Lucien. Il fait également une critique sévère de la Société et des bourgeois.
C'est très compliqué à lire avec des explications sur l'imprimerie et sur l'économie interminables mais qu'est-ce que c'est intéressant à lire.
A lire et à étudier !
Commenter  J’apprécie          191
Dans la cour d'une imprimerie d'Angoulème, deux amis sont assis sur un banc. Deux poètes, unis dans une même émotion à la lecture des beaux vers d'André Chénier. Lucien a hérité de sa mère la grâce aristocrate des Rubempré et la joliesse des anges ; de son père un bien vilain patronyme, Chardon, qu'il faudrait effacer. Son recueil de poèmes et son roman historique seraient les premières pierres d'une gloire rêvée. Fils d'un ouvrier enrichi, au coeur désséché d'avarice, David s'est ruiné pour racheter à son père cette imprimerie en déclin mais médite une invention brillante pour offrir à son ami les ailes dont il rêve.
Tous deux ont pour eux l'intelligence, le coeur et le talent, mais aucun n'a la tête assez solide pour en tirer profit et échapper aux piège d'une réalité bien éloignée de leurs jeunes illusions.

Grisé par une gloire littéraire locale, Lucien ne tarde pas à abandonner les siens, si dévoués, pour suivre à Paris la belle madame de Bargenton qui n'a pas hésité à se compromettre pour lui. Hélas, à Paris, une dame qui veut tenir sa place dans le Monde ne peut se compromettre avec un petit poétiau provincial du nom de Chardon. A Paris, pour réussir sans protecteurs et sans argent, il faut la constance et l'abnégation d'un héros - ou l'habileté retorse, les louvoiements de l'anguille. Incapable d'héroïsme, Lucien se fera anguille, prostituera son talent pour tenter de parvenir, mais la facilité n'est pas le moindre des pièges que lui tendra la capitale.
Grisé de nobles ambitions, David délaisse les affaires au profit de la recherche, sans comprendre que ses rivaux veulent sa ruine, et saisiront le moindre faux-pas pour le dépouiller de ses idées et de ses derniers biens.
Quelles chances ont-ils, les deux poètes, dans un monde régi par des intérêts sordides qui les dépassent de très loin ? Toutes illusions perdues, il faudra renoncer, périr ou vendre son âme au Diable...

Après ce résumé auquel je me laisse prendre moi-même, j'aurais très envie d'affirmer que c'est là un superbe roman - tant d'ingrédients y concourent ! - mais je suis trop soulagée d'en être enfin venue à bout pour pouvoir me montrer exclusivement enthousiaste. Car si les thèmes sont passionnants, si le destin parallèle de ces deux amis possède l'étoffe des grands drames, elles ont été bien longues, ces 800 pages, en compagnie de personnages m'inspirant aussi peu d'empathie et de compassion.

Victime de son éducation, du décalage entre son caractère, son statut social et les espérances trop grandes que les siens ont placé en lui, l'admiration trop vive qu'ils lui ont trop tôt voué, Lucien a indubitabelement des circonstances atténuantes, mais il apparaît très vite comme un gamin gâté sans consistance, gentil garçon mais un peu fat et vaniteux, pétri de bonnes intentions mais veule et hypocrite. On le dit très beau, gracieux, charmant, mais jamais je n'ai réussi à ressentir ce charme, qui fait une bonne partie de sa puissance et devrait le faire aimer malgré tout. A force de se laisser contredire par ses actes, ses bonnes intentions m'agacent plus qu'elles ne m'incitent à l'indulgence, j'ai bien plus d'estime pour ceux qui font le mal sciemment, volontairement, plutôt que par manque de volonté.
Quant au second poète, David, il est sans doute plus attachant, mais aussi bien moins complexe, trop lisse pour vraiment m'intéresser.
Et puis, au-delà des caractères mêmes, tout est faux, tout est truqué dans cette histoire. La fatalité est en marche, aucun espoir, Balzac ne cesse de nous le laisser entendre. Il vont chuter, se faire broyer. Il ne sont guère que des pantins dont d'autres personnages plus rusés, plus habiles, plus cruels, tirent les fils dans un sens puis dans l'autre. Aucun suspense, et les moyens employés, cet enchevêtrement de magouilles financières et juridiques, m'a souvent perdue en route, comme à chaque fois que 2 et 2 se mettent en tête de faire autre chose que 4.

Restent une peinture vitriolée mais passionnante du monde de l'imprimerie, de l'édition, du journalisme et de la librairie, et une splendide étude de caractères, fine, réaliste, puissante et riche en symboles, dont on pourrait sans doute débattre des heures durant.
Je n'aime pas Lucien, mais lorsqu'à la toute fin il se fait enfin lucide sur lui-même, et d'homme désespéré devient proie délicieuse à saisir, il me touche enfin et me laisse augurer le meilleur pour la suite. Eh ! le meilleur, avec lui, ne peut fatalement naître que du pire - et le pire se profile en l'occurrence dans un de mes personnages balzaciens préférés. Splendeurs et misères des courtisanes m'intrigue plus que jamais - même si je vais avoir besoin d'une pause plus légère avant de m'y lancer.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
Commenter  J’apprécie          193
C'est un peu fâchée contre Balzac depuis « la femme de trente ans » que j'ai été intriguée par « Illusions perdues » et sa récente adaptation sur grand écran. 

N'ayant pas eu l'occasion de voir le film, j'ai donc décidé de me plonger dans le roman. 

Autant le dire dès à présent : voilà une bonne décision car ce roman me réconcilie avec Balzac.

Un court résumé s'impose : Lucien Chardon grandit avec l'âme d'un poète, choyé par une famille pauvre mais aimante, composée de sa mère et de sa soeur, Ève mais aussi d'un frère de coeur : David Séchard.

Notre jeune homme a réussi à séduire une des reines de la bonne société d'Angoulême : Louise de Bargeton. Celle-ci décide de faire reconnaître le talent de son champion auprès de la bonne société provinciale puis parisienne. 

Et c'est à la capitale que le destin de Lucien va se jouer. Paris, source de toutes les tentations et de tous les vices. C'est là que le jeune homme va sacrifier ce qui lui restait de vertu sur l'autel de son ambition.

Nous voilà plongés à la suite de notre personnage principal dans le monde de l'édition mais surtout du journalisme. L'analyse de l'essor de la presse, peuplée d'hommes prêts à prêcher tout et son contraire en fonction de leurs intérêts, est absolument fascinante. Tout comme l'étude des amitiés, purement intéressées, des scandales et des mensonges érigés en vérité à force de répétition. Si l'action se passe au dix-neuvième siècle, l'ensemble du roman frappe par sa persistante actualité. 

La recherche d'une gloire rapide, peu soucieuse des moyens employés, trouve un écho dans notre société connectée où tout est permis pour avoir plus d'abonnés ou de likes que le voisin. 

Les personnages dépeints par Balzac sont très réussis et, à l'exception d'un groupe d'hommes, tous sont tout autant victimes que coupables. En premier lieu, Lucien, coupable de sacrifier ses proches et ses convictions sur l'autel de sa vanité mais victime naïve aussi de machinations qu'il pensait deviner et éviter. 

Ce roman se dévore, l'action et l'analyse se succèdent sans temps morts, et malheureusement les personnages les plus honnêtes ne sont pas toujours récompensés. Pour autant, ce roman n'est pas la fin des aventures de notre héros, qui se retrouve dans « Splendeurs et misères des courtisanes » que je vais certainement lire cette année.

Lien : https://allylit.wordpress.co..
Commenter  J’apprécie          170
Ma première rencontre avec Balzac, il y a de nombreuses années, peut se résumer en un seul mot : fiasco. Une lecture scolaire obligatoire, Les Chouans, à un âge probablement trop précoce pour apprécier le talent de l'auteur et la richesse de ses écrits traversant les décennies.

Il aurait été dommage de rester sur un échec. D'autant qu'avec les années, j'apprécie les écrits qui prennent leur temps, qui peignent les détails d'une époque, qui savent jongler avec l'imparfait du subjonctif. J'avoue aussi que le film récemment sorti sur nos écrans m'avait plu et donné envie de me laisser une seconde chance avec Balzac.

Le verdict est sans appel : nous sommes bien loin du fiasco cette fois ! J'ai beaucoup apprécié cette lecture en forme de montagnes russes, de la misère à la gloire, dans un sens puis dans l'autre.

Dans ce roman, on suit Lucien Chardon, dit de Rubempré, poète, écrivain, artiste qui rêve de noblesse et de renommée. Dans la société provinciale Angoumoisine, Lucien s'attire les grâces de Mme de Bargeton, issue de la noblesse locale, et qui le mène de la Province à Paris.
Lucien est un homme dévoré d'ambition, ébloui par le luxe et les paillettes, étourdi par l'argent et le jeu. Inconstant, facilement influençable, Lucien ira, ainsi que le titre du roman l'annonce, de succès en désillusions.

Balzac dépeint tour à tour la société provinciale puis la société parisienne du début du XIXe siècle. Tout y passe : les apparences et les faux-semblants, les mensonges et les hypocrisies, les ruses et les subterfuges, les opportunismes et les retournements de veste. La noblesse, la bourgeoisie, l'édition, les banquiers, les notaires, la politique et surtout le journalisme. La galerie de portraits, détaillés, ciselés, profonds, est impressionnante. Et peu reluisante. Seuls quelques personnages du Cénacle échappent à ce portrait cynique.

Si l'histoire et les personnages m'ont emportée, j'ai néanmoins eu quelques difficultés avec un style parfois âpre, fastidieux. Par ailleurs, je me suis parfois un peu perdue dans la quantité de personnages et la complexité des stratégies des uns et des autres. J'aurais probablement plus apprécié ce roman avec quelques personnages de moins, des intrigues moins emmêlées, et avec une fin un peu plus morale, récompensant le travail, l'honnêteté et l'abnégation. Mais peut-être suis-je un peu trop fleur bleue pour Balzac...
Commenter  J’apprécie          160
Cela faisait très longtemps que je voulais lire les « Illusions perdues », mais le nombre de pages m'avait fait peur et avait fortement retardé cette lecture ! le confinement aidant, je suis contente d'être arrivée au bout de ce « pavé » de près de mille pages. Malgré des descriptions et des digressions interminables, j'ai beaucoup aimé l'ironie et le cynisme qui se dégagent de l'ensemble du roman. Car tout est le talent De Balzac. Il a le don de brosser de nombreux portraits, souvent moqueurs, avec force et détails.
*
Le personnage principal, Lucien Chardon de Rudempré, est un personnage que j'ai trouvé peu sympathique : vaniteux, naïf et égoïste, il a pour ambition de briller dans la haute société angoulêmoise, puis parisienne. Car Lucien est attiré par la gloire, le pouvoir et l'argent facile. « Lucien est un homme de poésie et non un poète, il rêve et ne pense pas, il s'agite et ne crée pas. » Son caractère le porte « à prendre le chemin le plus court, en apparence le plus agréable, à saisir les moyens décisifs et rapides ».
*
A Paris, il va évoluer dans le milieu du journalisme et de l'aristocratie et comme le papillon attiré par la lumière, il se brûlera les ailes. Car dans ce panier de crabes, il n'aura pas les qualités, les armes, l'expérience et les codes pour reconnaître ses vrais amis, des personnes prêtes à tout pour se glorifier ou s'enrichir à ses dépens.
*

*
Sortent de toute cette mesquinerie, deux personnages émouvants de simplicité, de générosité et de gentillesse : David, l'ami de Lucien et sa femme, la douce et dévouée Eve.
*
Les « Illusions perdues », c'est aussi une description très minutieuse, une critique de la société provinciale et de la vie parisienne du XIXème siècle. L'intrigue, ou plutôt les intrigues, sont bien menées. Un bon moment de lecture, malgré quelques longueurs.

Commenter  J’apprécie          160
« Illusions perdues » est peut-être le meilleur roman De Balzac. En tous cas c'est certainement un des plus « balzaciens ». A travers la destinée de Lucien de Rubempré, un « enfant du siècle », il dépeint, comme personne avant lui, la société de son temps, qu'elle soit provinciale ou parisienne, populaire ou mondaine.
« Illusion perdues » occupe dans la « Comédie humaine » une place centrale, et ce, à plus d'un titre : chronologiquement, le roman (1837-1843) se place 8 ans après « le dernier Chouan » (1829) (premier titre) et 12 ans avant « Les Paysans », (dernier titre). du point de vue littéraire, le roman brasse tous les grands thèmes qui jalonnent la « Comédie humaine » : la destinée d'un personnage, à la fois héros et antihéros, évoluant dans des milieux différents, mais qui chacun représente un microcosme, où se mettent à jour (de façon plus ou moins évidente) les qualités et les défauts, les réussites et les échecs, les ambitions (légitimes ou pas) et les… illusions perdues. Enfin Balzac écrit un roman encore romantique par certains côtés, et déjà réaliste par d'autres, le chaînon entre Musset et Flaubert
« Illusions perdues » se présente comme une trilogie : « Les deux poètes », « Un grand homme de province à Paris » et « Les souffrances de l'inventeur »
A Angoulême, David Séchard et Lucien Chardon rêvent de poésie. Eve, la soeur de Lucien, épouse David qui prend la succession de son père à l'imprimerie familiale. Lucien, à qui un début de succès a tourné la tête, se laisse séduire par Mme de Bargeton et part avec elle à Paris.
Dans la capitale, Lucien de Rubempré (il a pris le nom de sa mère), a du mal à démarrer une carrière littéraire. Il s'essaie au journalisme et apprend la compromission. Tiraillé entre une carrière littéraire pure mais ardue, et une carrière journalistique plus facile mais moins honnête, il se laisse tenter et finit par tout perdre, professionnellement et sentimentalement. Mme Barjeton, déçue l'a quitté. Coralie, une jeune actrice qui l'adore, tombe malade et meurt. Désespéré, ruiné, brouillé avec tout le monde, il rentre à Angoulême.
A Angoulême, David, inventeur d'un nouveau procédé pour faire du papier, se voit spolié par des concurrents. Mis en faillite par ceux-ci et aussi mis en cause par une indélicatesse de Lucien, il est arrêté. Désespéré, Lucien songe au suicide. C'est alors qu'un mystérieux abbé, Carlos Herrera (qui n'est autre que Vautrin), lui propose une forte somme contre sa soumission complète. Lucien accepte. David est sauvé, vend son invention et se consacre paisiblement à la poésie. Quant à Lucien, on le retrouvera dans « Splendeurs et misères des courtisanes »
Les « Illusions perdues » sont évidemment celles de Lucien : vis-à-vis du monde littéraire, du monde journalistique et de la vie mondaine, trois mondes où il pensait pouvoir accéder ; vis-à-vis de sa propre vie, déçu par ses faiblesses, ses manques, ses erreurs, déçu par la déception qu'il cause à ceux qu'il aime (sa soeur et son ami) … Lucien est donc un personnage complexe, héros et antihéros, qui finit, comme Faust, par vendre son âme à Méphistophélès/Vautrin. Autour de lui, la plupart des personnages sont des masques qui jouent des rôles dans une comédie où il est le seul, lui, Lucien, à ne pas connaître son texte. Seuls quelques personnages ressortent de façon positive : l'écrivain D'Arthez, qui symbolise « l'homme de lettres » intègre et génial que rêve d'être Balzac ; et bien sûr David et Eve, symboles d'amitié vraie, d'amour pur, de constance au-delà des difficultés et même des trahisons.
Avec « Illusions perdues », Balzac a sûrement écrit son chef-d'oeuvre (c'est mon avis, vous avez le droit de n'être pas d'accord, mais vous le mettrez quand même dans le peloton de tête, non ?) Par la richesse du thème, sa construction romanesque, les portraits fouillés des personnages, ce roman est un des tous premiers de notre littérature.
Commenter  J’apprécie          150
Je me suis replongée dans les illusions perdues à l'occasion de la sortie du film, principal intérêt du film d'ailleurs.
Car bien entendu le livre est éminemment plus subtil et à côté de ce pavé le film fait pâle figure : ouvrez le livre et Mme de Bargeton est bien plus intéressante que cette espèce de cruche vulgarisée et bêtifiante qui chevauche Lucien crûment à l'écran (elle ne couche pas du tout en réalité), Coralie a 16 ans et met le Tout Paris à ses pieds (sur scène c'est une pauvre petite chose), les dialogues sont savoureux et la trame a un souffle épique que ne rend pas le scénario étique de Giannoli qui se résume à une critique un peu facile de la presse et deux gandins qui éclatent de rire de façon inepte sur fond de dialogues indigents.
Plongez dans Balzac, le vrai !
Commenter  J’apprécie          150
Quel roman! Il faut être Balzac pour avoir autant d'imagination et pousser la précision du détail à ce niveau là. Riche en émotions, en faits et en descriptions, ce livre est un modèle de littérature. Non seulement je me suis projeté dans une époque, mais aussi dans la tête des personnages, en immersion totale, sans pouvoir lâcher le récit, tant il est bien construit et palpitant. Nous pouvons peut-être lui reprocher quelques longueurs dues à des échanges très "techniques" sur les valeurs monétaires ou des procédés diplomatiques, par exemple, ou encore de s'appesantir sur toute la décoration intérieure et extérieure d'un bâtiment qui n'a pas grand intérêt dans l'intrigue, mais cela fait partie du charme de l'écriture balzacienne qui permet à l'auteur de ménager ses effets de surprises en mettant son lecteur dans une sorte de routine. Souvent j'ai pensé à Bel amiDe Maupassant car la destinée de Lucien Chardon de Rubempré est très proche de celle de George Duroy. On aperçoit aisément la justification du titre de ce roman en trois parties qui fait partie, à mes yeux, des incontournables du XIXème siècle.
Commenter  J’apprécie          151
La claque. L'uppercut! Et dire que ce Balzac-là ne me tentait pas plus que ça au début... Que je pensais lui préférer Eugénie, Pons, Chabert et Rastignac... Bon sang, ces "Illusions"...
Le roman a pour cadre le France de la Restauration et s'ouvre à Angoulême. David Séchard est un imprimeur besogneux, taiseux mais profondément bon. Autour de lui, son meilleur ami, Lucien Chardon et la soeur de ce dernier, la jolie Eve avec laquelle il se mariera. Lucien est un jeune homme beau, lettré, délicat... Aux amours simples de son ami et de sa soeur, il préfère les passions plus romanesques. Au travail manuel, il préfère l'écriture. C'est donc en toute logique qu'il tombe fou amoureux d'une femme de la petite noblesse, Madame de Bargeton, et qu'il écrit pour elle un recueil de sonnet. Elle ne peut que se pâmer et succomber au charme de ce Pétrarque, elle qui se voit comme la Laure de son Lucien. Dans les petites villes, cependant, les amours secrètes ne le restent pas longtemps et au terme d'un duel et du scandale, les amants partent pour Paris. Notre poète espère qu'il pourra y faire publier le grand roman qu'il est en train d'écrire. Mais Paris ne tient pas ses promesses pour le jeune homme, parangon de candeur. Lui qui était si élégant en Province est bien fade, bien négligé face aux parisiens si bien mis. Madame de Bargeton qui lui paraissait si belle, si fine, si reine n'est qu'une bergère (et pas de celles, si jolies, des pastorales d'antan) comparée aux divines parisiennes. Lucien va de désillusions en maladresses et se couvre de honte lors d'une soirée à l'opéra, tant et si bien que sa bergère l'abandonne. Il lui reste l'écriture: ses sonnets sont trop naïfs et son roman... son roman... L'écriture est un échec. Heureusement, il reste l'amitié en la personne de D'Arthez, écrivain, qui se lie avec Lucien et qui l'introduit au Cénacle, un petit groupe de jeunes hommes aspirant à l'art et à l'écriture, se vouant à la création littéraire et artistique, refusant les concessions mais partageant la table et l'amitié. Un temps, Lucien - qui de "Chardon" est devenu " de Rubempré", prenant le nom de sa mère qu'il juge plus indiqué pour réussir- fréquente ce cercle vertueux, mais la réussite tarde à venir pour l'impatient qui succombe à la tentation du journalisme, de l'argent facile donc, de l'ambition et du luxe. Tant qu'il y est, il s'éprend d'une jeune et jolie actrice Coralie qui lui rend son amour, avec laquelle il s'installe. Orgueilleux, ambitieux, Lucien veut toujours plus et passe d'un journal libéral à un journal royaliste, faisant fi de ses principes, de ses idées. La plume d'un bon journaliste fait fi du fond si la forme est belle et se vend au plus offrant. Ses amis du Cénacle, eux, ne digèrent pas cette absence de principes et attaque leur ancien membre qui ne trouve du soutien qu'auprès de sa Coralie. La ruine, le déshonneur, les humiliations... Lucien est en train de tout perdre quand le coup de grâce survient: Coralie tombe gravement malade. Ils n'ont pas d'argent pour un médecin, ni même pour les funérailles. La jeune femme meurt misérable auprès d'un amant éploré tout aussi misérable qui décide -puisque Paris l'a trahi- de retourner en Province auprès de David dont l'imprimerie menace de lui être retiré, à cause d'une signature de Lucien qui l'avait engagée en paiement d'une dette. le retour de notre héros n'est pas celui de l'enfant prodigue et ses dernières illusions se consument dans le feu de la réalité. Agité de remords, il pense à se suicider. C'est alors que survient un abbé aussi providentiel qu'inquiétant (et qui n'est pas celui qu'il prétend être!) qui lui propose un pacte: l'argent, le règlement des dettes des siens, une vie de luxe et de plaisirs en échange d'une obéissance à toute épreuve. Un pacte faustien qu'accepte Lucien... Quant à savoir ce qu'il vivra ensuite, c'est dans "Splendeurs et Misères des Courtisanes" que ça se passe.
Roman parisien, roman d'apprentissage, "Illusions Perdues" condense toutes les obsessions balzaciennes: l'art, la volonté de parvenir, la dénonciation des tares de la société et de la corruption du journalisme, l'amour aussi. C'est aussi une merveille d'écriture: le style s'y déploie ample sans masquer l'essentiel planté d'un trait de plume enrichi de pointes magnifiques.
A la peinture fine et sans concessions d'un monde dur, gangrené par l'argent, Balzac ajoute une galerie de personnages complexes, fouillés jusque dans leur moindre agissement. Encore une fois, il se montre comme l'un des grands observateurs du comportement humain.
Commenter  J’apprécie          153




Lecteurs (11354) Voir plus



Quiz Voir plus

Illusions Perdues

Quel est le nom de famille de Lucien ?

De Rubempré
Chardon
De Bargeton
Camusot

10 questions
58 lecteurs ont répondu
Thème : Illusions perdues de Honoré de BalzacCréer un quiz sur ce livre

{* *}