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sur 207 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
À la frontière de la vérité.

Fife se meurt. Célèbre cinéaste documentaire américain exilé au Canada depuis de nombreuses années, l'issue de sa maladie ne fait aucun doute. Dans son fauteuil et sa dépendance, il a conservé toute sa tête à défaut de son corps, tout son fichu caractère et toute sa mémoire.

« Son corps est un champ de bataille, comme si son foie était en guerre contre ses reins et que les deux étaient mortellement blessés. » Fife se meurt, alors Fife va se confier, une dernière fois, mais pas n'importe comment : devant une caméra et en présence de sa femme Emma, les deux seules présences qui lui importent car avec elles, on ne triche pas.

« Sans la caméra qui l'observe, sans le micro qui l'écoute, sans l'obscurité qui l'entoure, il mentirait à Emma, il mentirait à tout le monde. »

Mais là où l'équipe de tournage qu'il a jadis formé à ses techniques l'attend sur les détails croustillants ou énigmatiques de sa vie – sa découverte d'essais chimiques secrets de l'armée US au Canada ou les coulisses des concerts et de la vie de Joan Baez - Fife biaise, esquive et contourne l'obstacle.

Il va ainsi raconter son histoire, ces petits instants décisifs qui furent autant de tournants de sa vie d'avant, celle de sa jeunesse avec Amy, sa première femme et leur fille Heidi ; puis celle en Virginie avec sa femme Alicia et leur fils Cornel, et cet avenir qui lui était promis à la tête de l'empire de la belle-famille.

Pourtant, rien ne s'est passé comme cela et au printemps 1968, Fife a définitivement fui et passé la frontière, comme tous ces jeunes américains fuyant la conscription pour le Vietnam. Mais était-ce pour les mêmes raisons ? Pourquoi un tel abandon et renoncement ? Et les choses se sont-elles réellement passées ainsi ?

Dans Oh Canada, Russell Banks - traduit par Pierre Furlan - raconte une vie, c'est-à-dire ce qu'il en reste quand elle touche à sa fin : pas de chronologie, pas de temps forts, pas de révélations. Juste des fulgurances, des points de bascule, des moments de repentirs trop lourds pour être emportés de l'autre côté de l'ultime frontière. En espérant être compris, à défaut d'être pardonné.

« Les hommes ont tellement plus de pouvoir dans le monde qu'on se dit qu'ils pourraient au moins essayer d'être honnêtes (…) La douleur et ses souvenirs (…) sont les seuls éléments qui lui restent pour prouver qu'il n'est pas mort (…) Mais ses souvenirs ne peuvent pas exister s'ils ne sont pas entendus. »

Pour une première lecture de Banks, j'ai été totalement séduit par le style, puissant, sec et souvent porté par la colère qui exulte de Fife. Il me faut avouer que mon esprit cartésien a souvent eu du mal avec une histoire qui flirte sans cesse avec la réalité, le vrai et le faux, la défaillance des souvenirs, les arrangements avec la mémoire… Avant d'intégrer, après ma lecture et mes échanges avec @moonpalaace – avec qui je faisais lecture commune - que c'était évidemment toute la force du livre, à qui on pardonne aussi quelques répétitions.

En nous plongeant dans le clair-obscur de la vérité, Banks raconte les travers d'une vie, les faiblesses de l'homme et la force de l'amour. Et c'est beau…

« Malgré un passé où il a refusé d'aimer et où il n'était pas digne d'être aimé, il a l'intention de partir en étant celui qui aime et qu'on aime. Sans secrets. Sans mensonges. Ce n'est pas de l'héroïsme. C'est simplement la fin d'une vie sans lâcheté. »
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Voilà un curieux roman d'un grand nom de la littérature américaine.

Plantons le décor.
Léonard Fife, 77 ans, a été un grand documentariste de son temps. Il a fui en son temps la circonscription au moment de la guerre du Vietnam, en passant la frontière canadienne.
Aujourd'hui il est malade, très malade. Son nom est régulièrement cité pendant les festivals de films, il a de nombreux admirateurs dans la profession, ne serait-ce qu'avec son épouse, mais aussi avec un certain Malcolm, devenu son disciple.
Ce dernier a un projet fou : filmer son mentor à l'occasion d'une longue interview chez lui. Leonard a accepté – un dernier geste cinématographique avant de disparaître. Mais pour les raisons qu'imagine Malcom et son équipe : Léonard veut faire de ce dernier tournage le lieu d'une ultime confession.

Car il a quelque chose à confesser. Un secret tu jusqu'ici, y compris à sa propre épouse Emma, avec qui il a partagé 40 ans de vie professionnelle et conjugale. Et pourtant rien ne va se dérouler comme prévu …

Nous sommes dans la tête de Léonard Fife et c'est tout l'exploit de la plume de Russel Banks que de nous faire vivre dans l'esprit de cet homme qui est bien malade. Assisté d'une infirmière à domicile, il est sous perfusion. Pour ne pas montrer sa déchéance il a imposé le noir complet dans l'appartement pour la prise de vue. Et il tient absolument à la présence d'Emma, parce qu'elle est l'ultime destinataire de ce secret que Léo veut révéler. Mais le noir n'est pas que dans la pièce, il gagne peu à peu le cerveau de Léonard …

Qu'est-ce que la vérité ? L'imagination ? L'affabulation ? Comment démêler le vrai du faux ?
Qu'est-ce que la mémoire ? Et qu'est-ce qu'une mémoire altérée par la maladie et les médicaments ?

Le lecteur assiste, tel un spectateur, à la dérive de l'esprit de Léonard. Ses récits qui puisent dans son enfance, puis dans son adolescence avec son meilleur ami, puis avec sa première épouse abandonnée alors qu'ils avaient ensemble une fille de un an à peine, et puis l'aventure avec sa seconde épouse (une riche héritière d'un empire industriel du Sud des Etats-Unis) que Léonard laisse chez elle avec leur premier enfant et enceinte d'un second, pour quelques journées sur la Côte Est où il doit acheter leur future maison, mais où les évènements se succèdent sans que l'acteur principal ne réussisse à en conserver le contrôle, tous ces récits semblent de plus en plus douteux aux lecteurs que nous sommes.

Cette histoire de dérive dans une Amérique post guerre au Vietnam m'a fait penser à La vie très privée de Mr Sim de Jonathan COE : même sentiment d'absence totale de contrôle du destin, comme une sensation de flottement d'un personnage principal qui s'enfonçait dans la neige de l'Ecosse chez Jonathan Coe, et dans la neige de la Côte Est pour Russel Banks.

Mais le plus prodigieux dans l'écriture de Russel Banks est sa capacité à décrire une mémoire qui prend l'eau, un esprit qui bat la campagne, et dont l'épilogue ne pourra être que fatal.

On pense encore à l'excellente pièce de Florian Zeller, « le père – la mère – le fils », que j'avais chroniqué en son temps, doublé d'une excellente adaptation cinématographique, « The Father » avec Anthony Hopkins et Olivia Colman, où nous vivons également, en tant que spectateurs, dans la tête d'Anthony Hopkins, un homme atteint d'une perte de mémoire (Alzheimer sans doute) progressive.


Mes amis Babeliotes (Cathe, Merik, le_Bison) en ont déjà parlé très bien et je leur avais promis de revenir vers eux dès que je l'aurais lu moi aussi. Il y a quelque chose d'obscène dans l'obstination que met Malcom et son équipe à filmer jusqu'au bout la déchéance du grand documentariste. Mal à l'aise, le lecteur spectateur assiste impuissant au naufrage de cette interview dont on se demande si elle sera un jour montée. Faut-il filmer jusqu'au bout ? L'art prime-t-il devant la compassion qu'on devrait accorder à cet homme en bout de course ? Les questions restent ouvertes.

Je salue donc la prouesse chez le grand auteur américain Russel Banks, qui nous laisse stupéfaits devant cette captation cinématographique en direct jusqu'à la chute finale : un Russel Banks magistral.
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Leonard Fife vit a quitté le sol américain pour s'installer au Canada afin d'éviter d'aller se battre au Vietnam. Depuis, il est devenu un documentariste célèbre.

Maintenant âgé de soixante-dix-sept ans et gravement malade, il accepte que Malcolm son disciple, fasse un documentaire sur sa vie.

Sachant que la maladie le ronge et qu'il vit ses derniers jours, Leonard ne répond pas aux questions préparées par Malcolm et son équipe, mais préfère se confesser ; il exige que sa femme soit près de lui afin qu'elle entende les révélations qu'il a à lui faire.

Leonard est très affaibli, la douleur, la fatigue, ses traitements l'épuisent et lui brouillent parfois les idées. Il sait qu'il a passé une partie de sa vie à fuir, il y a beaucoup d'évènements que son épouse ne connaît pas ; pour lui, c'est le moment de mettre sa conscience en paix et de tout dire. Au fur et à mesure de sa confession, Leonard dévoile des pans entiers de sa vie, ignorés de tous, mais parfois il y a une telle confusion, les faits semblent se confondre ; comment savoir ce qui est vrai où ce qui est de l'ordre de la fabulation ? Dans son récit fragmenté, ses souvenirs ne se sont-ils pas un peu mélangés ? Comment savoir ce qui est vrai ?

Ce roman est assez surprenant et met parfois mal à l'aise ; une équipe est en train de tourner les confessions d'un homme mourant. Jusqu'à quel point peut-on réaliser un documentaire, quand la personne est en train de vivre ses derniers instants ?

C'est un bon roman, sans trop d'action et souvent déstabilisant sur un fond de politique.

Bref, une belle histoire assez sombre sur la vérité, la fin de vie, la mémoire…

À lire installé(e) dans un fauteuil, les pieds sur un coussin, avec une assiette de pancakes au sirop d'érable et un verre de vin de glace sur un plateau.

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Un roman sur la vieillesse, ses douleurs et ses deuils et sur les mensonges qu'on dit aux autres ou qu'on se dit à soi-même.

Un roman qui raconte les derniers jours d'un homme atteint d'un cancer terminal. Comme il était cinéaste, il veut livrer un dernier témoignage, faire enregistrer ses souvenirs par une équipe de tournage qui en fera un documentaire. Il veut que sa femme y assiste pour qu'elle sache enfin toute la vérité. Il raconte sa vie personnelle, mais ce qu'il dit est aussi relié à l'histoire des années 60-70, avec la Guerre au Vietnam et les jeunes Américains qui se réfugient au Canada pour éviter la conscription, les tests sur « l'agent orange », etc.

Pour le personnage principal, sa volonté de se dire avant de partir est très intense. Mais un doute subsiste sur les capacités de la mémoire qui parfois devient confuse et peut mélanger ou même inventer des souvenirs.

Pas une histoire très joyeuse, mais le talent de l'auteur parvient à décrire et à nous faire ressentir le contexte et les émotions face à la maladie et à la mort.

Comme l'auteur est décédé en janvier 2023, il s'est probablement inspiré de son expérience de la maladie et de celle de ses contemporains. Espérons cependant qu'à l'instar de son personnage, il n'a pas finalement découvert qu'il n'a pas pris le temps d'aimer la vie…
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"Quand on n'a pas d'avenir et que le présent n'existe pas autrement que sous forme de conscience, on n'a pas d'autre soi que son passé. Et si, comme pour Fife, son passé est un mensonge, une fiction, alors on ne peut pas dire qu'on existe, sauf en tant que personnage de fiction."

La lecture du dernier roman de Russell Banks est d'autant plus troublante que l'auteur est mort peu de temps après sa publication et qu'il est difficile de ne pas faire le parallèle entre Leonard Fife, son personnage conscient de vivre ses derniers jours, et lui-même que la maladie avait empêché au dernier moment de venir au Festival America. Roman crépusculaire, empreint de mélancolie, d'une certaine tristesse mais surtout un texte d'une incroyable profondeur dès lors qu'il s'agit de mettre en relief ce qu'il reste d'une vie. Lorsque, arrivé au bout du chemin chacun est seul face à soi-même.

Leonard Fife est un célèbre documentariste, un homme engagé dont la légende s'est peu à peu écrite depuis son arrivée au Canada pour fuir la conscription aux Etats-Unis lors de la guerre du Vietnam. Ses films ont marqué les esprits mais il est aujourd'hui un homme rongé par la maladie et c'est sans doute la raison pour laquelle il a accepté de passer de l'autre côté de la caméra. Son appartement transformé en studio, une équipe de tournage s'apprête à recueillir une interview exclusive. Mais Leonard Fife, plutôt que de répondre aux questions qui visent à approfondir son oeuvre n'a qu'une idée en tête : dire la vérité. A tous et surtout à sa femme, Emma, à ses côtés depuis 30 ans. Seule la caméra peut selon lui l'empêcher de mentir... Car avant le passage de la frontière en 1968, il y a eu une enfance un peu triste, une adolescence aventureuse, des mariages, des enfants dont il se demande parfois ce qu'ils sont devenus. Fife raconte devant un public de plus en plus mal à l'aise et un lecteur qui se demande où est la part de vérité dans ce qui ressemble à une fiction.

Il y a bien sûr ces quelques répétitions qui semblent indiquer que le cerveau de Fife ne tourne plus tout à fait rond, quelques détails qui intriguent, les réactions gênées du réalisateur et d'Emma. Il y a ces allers-retours entre le récit de Fife - avec le suspense qui monte peu à peu quant au déroulement de la fameuse journée qui l'a mené jusqu'à la frontière - et la scène du tournage. Il y a surtout un formidable talent d'écrivain qui interroge la part de fiction de chaque vie à l'aune du fonctionnement de la mémoire d'un individu. Aucune linéarité, des réminiscences, des flashs, des associations d'éléments qui proviennent du vécu ou de choses lues, vues, entendues. Les experts voudront nommer le phénomène, le lecteur cherchera à débrouiller le vrai du faux. Mais admirons plutôt la démonstration. Comme un dernier processus de création à l'oeuvre. Et l'envie farouche de garder la main, même dans la mort.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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J'ai commencé à lire quelques romans de cette « rentrée littéraire » grâce aux éditeurs qui ont la gentillesse de nous envoyer des services de presse, que j'ai bien aimés, qui m'ont surprise, un peu émue, parfois amusée...

Et puis j'ai ouvert le dernier roman de Russell Banks, Oh, Canada, titre qui n'est pas sans rappeler celui de l'hymne national canadien, Ô Canada.
Alors là, attention, Russell Banks ! de la littérature, de la vraie, forte, puissante comme j'aime, le truc où je me fais embarquer, emmener par le bout du nez, celle avec des personnages assez médiocres, qu'on n'a pas envie d'admirer, auxquels on n'a pas très envie de s'identifier, mais tout est tellement bien ficelé que j'ai plongé dedans tête baissée.
Un livre fort, hyper construit, PUISSANT.
A peine refermé, j'avais déjà peur que le prochain livre ne me déçoive, vous voyez ce que je veux dire ?
Ce roman est une éblouissante manipulation, à l'image de la vie qu'il raconte.

Leonard Fife est un documentariste, qui a formé et marqué des générations de jeunes cinéastes. Il a 77 ans, il est très malade, a perdu en partie la vue ; il est sorti de l'hôpital pour vivre ses derniers jours chez lui, entouré de son infirmière Renée et de sa femme, Emma, une de ses anciennes élèves.
Il a accepté de se livrer à un dernier effort : une interview filmée par un de ses étudiants. Celui-ci a en tête de lui faire accoucher de révélations, filmer ses confessions sur des volets politiques de son oeuvre, sur des scandales que Fife a contribué à faire éclater par ses films et qui l'ont rendu célèbre.

Mais voilà que Fife s'engage sur d'autres terrains, plus personnels, plus anciens aussi, il essaime les révélations peu glorifiantes et pour le moins déroutantes.
Fife a décidé d'en finir avec les secrets et les mensonges. Il veut parler, tout déballer, pour soulager sa mémoire, en présence de sa femme, lui dire à elle, toute son histoire.
Dérouté, le jeune cinéaste tente de le recentrer entre 2 prises sur son oeuvre sur son parcours professionnel, sur ses « coups », mais Léonard Fife remonte le fil de sa jeunesse, où ses trahisons succèdent aux fuites en avant.
Fife se démasque et c'est pas glorieux.

Son état se dégrade vite au cours de cette longue journée de tournage, les tranches de vie racontées se mélangent devant son auditoire incrédule. Son infirmière va bien tenter de stopper la séance de confession pour assurer un peu de repos au malade, mais il est déterminé à aller au bout de ses souvenirs, jusqu'à cette nuit où sur un coup de tête, il franchit la frontière américano-canadienne pour échapper à la conscription de la Guerre du Vietnam, comme 60 000 autres jeunes américains.

La construction du roman est rythmée par les allers-retours dans les souvenirs de Fife et le présent que sont les dialogues de l'équipe technique du film, les interventions de sa femme et de l'infirmière. le récit de Fife est interrompu par les aléas relatifs au tournage à des moments clés de sa narration, on est ainsi suspendu dans l'attente de la suite de l'histoire… qui ne reprend pas forcément au même endroit car les souvenirs s'entremêlent, les époques aussi.
C'est à la fois presque onirique, très cinématographique et empreint de suspense.
L'ambiance onirique est coupée par les contingences logistiques du film : les changements de cartes mémoires par exemple.
Russell Banks cultive une écriture très imagée, on voit le film des souvenirs se dérouler, c'est fascinant. Il prend plaisir à nous perdre dans les méandres des souvenirs de Fife, ça peut être déroutant au début, mais quand j'ai eu pris le rythme, j'ai dévoré le livre.
C'est un roman d'une grande force, solide, d'un auteur qui maîtrise parfaitement son art,

Russell Banks nous questionne sur la mémoire, les mensonges, la vérité.
A qui rend-on compte de ses trahisons, de ses mensonges au bout de sa vie ?
Y-a-t-il une vérité des souvenirs ? Comment on se construit sur ses propres lâchetés ?
C'est un roman qui questionne aussi la trace : quelles traces laisse-t-on aux autres ? Fife ne laissera pas les mêmes traces à ses disciples qui le vénèrent en maître, qu'aux membres de sa famille qu'il a abandonnées comme des merdes, dans toute sa lâcheté.
Qu'est-ce qu'on laisse ? Qu'est-ce qu'on assume ?
“Jusqu'à présent, ce qu'il a craint, c'était l'effacement dont il savait qu'il rôdait derrière ses souvenirs, prêt à les dévorer pour ne laisser derrière qu'un blanc, une absence, un rien.”
BRILLANT !

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Cette histoire s'ouvre sur un cercle de lumière se détachant de l'obscurité. Un faisceau lumineux net fendant la noirceur des dissimulations, tranchant la nuit des mensonges. Jetant une lumière crue sur les secrets et les non-dits, illuminant la vérité d'une vie. Attirant le regard sur un être, sur son vécu. Que son histoire fuit, avalée par une mémoire défaillante, déchirée par les crocs de la maladie qui dévorent peu à peu les limites entre réalité et fiction, entre souvenirs et imaginaire. Un cercle de lumière net et défini, qui capture le visage et l'âme dans ses limites imperméables, emprisonnant le crépuscule d'une vie dans l'éclat d'un spot, contenant une légende en écho à sa propre fuite originelle qui débute par le franchissement d'une frontière. Quand Leonard Fife décide de fuir les Etats-Unis pour rejoindre le Canada et éviter la conscription pendant la guerre du Vietnam.
C'est ainsi que commence son histoire, que grandit sa renommée lorsque, sitôt arrivé au Canada, il entame une glorieuse carrière de documentariste dénonçant de nombreux scandales d'état. Cachant la réalité plus sombre d'une vie construite sur des dissimulations. Mais c'est également ainsi qu'une autre démarcation est franchie, celle de la sémantique, dans la porosité des limites entre sens propre et figuré qui annoncent l'abolition des frontières entre mémoire et invention, entre vérité et mensonges. Lorsque de sa renommée, de sa gloire, de sa notoriété, sa légende glisse vers la transformation des faits par l'invention poétique. Quand seuls ses mots peuvent donner corps à ce qui a été tu, vécu, caché, réalisé. Peuvent exprimer la réalité d'une vie construite sur des faux-semblants, bâtie sur des silences. Quand seul le langage peut rendre compte de ce qu'il a vécu. de ce qu'il croit avoir vécu. Car encore une fois, les frontières sont poreuses, qui confondent réel et imaginaire, perméables à une mémoire qui se dérobe à mesure qu'il cherche à s'en approcher.
Quand il est toujours question d'une fuite. D'un temps passé devenu temps remémoré, d'un temps présent qui n'est que le passé, d'un avenir qui n'existe pas. Quand la vérité d'une vie est celle d'un personnage de fiction puisque n'existant que par un passé constitué de mensonges. Quand sa vérité n'est peut-être pas LA vérité.
Leonard se fait alors lui-même une brèche béante dans la démarcation entre vérité et mensonges, le chenal entre réel et imaginaire, le passage entre récit et fiction. Dans l'évocation d'une vie qui constitue sa vérité, celle qu'il lui importe de transmettre en une confession ; l'expiation des pêchés pour obtenir le pardon. L'absolution.
Dans un récit d'une extrême intensité, par une construction épousant son propos, Russell Banks se joue des délimitations propres au roman, emportant son lecteur par delà les chapitres au fil du récit d'une vie mouvant. Les paragraphes se répondent et se confondent à mesure que la mémoire de Leonard l'abandonne questionnant de manière brillante la fin de vie par le truchement de la transmission d'un vécu soumis aux affres de la mémoire. Aux réflexions métaphysiques répondent des passages bouleversants et sombres.
Le fondu au noir sur une vie.
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Depuis que je lis, je savoure la littérature américaine et mon métier de libraire a renforcé mon plaisir.
Russell Banks est un auteur américain engagé, révolté, progressiste, il est né en 1940.
Ses thèmes : la vie des petites gens dans ce grand pays de liberté (!) et la recherche de la figure paternelle.
Il est toujours très actif politiquement et s'occupe d'une association qui met en place aux USA des refuges pour des écrivains menacés ou en exil.

Cette introduction semble un peu longue mais face à cette figure d'écrivain aux oeuvres incontournables dans la littérature américaine contemporaine, elle est nécessaire.

Dans : "Oh, Canada", un vieux cinéaste, connaissant sa fin prochaine, se livre aux caméras pour expier son parcours de vie avec la lucidité qui lui reste, il cite Pessoa : "Au souvenir de qui je fus, je vois un autre".
Entre ombre et lumière, R.B. à travers son personnage, Fife expose les faiblesses de l'homme et les rapports amoureux.
Alors évocation testamentaire du protagoniste ou de l'auteur lui-même ?
Ce n'est pas le propos.
Ce qui me touche, c'est une sincérité à un moment de la vie où la tricherie est bannie jusqu'au final.
C'est un récit-vérité mélancolique mais enrichi d'une puissance de vie propre à chacun.
J'aimerais aussi évoquer la place occupée dans ce roman par un bel hommage à l'écriture et à la littérature.

Alors, je ne peux conclure cette critique qu'en reprenant les mots des amoureux de la bonne littérature :
bouleversant, brillant, authentique, enrichissant, déroutant, époustouflant...







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Afin de résumer au plus simple il s'agit des ultimes confessions d'un homme sur le point de mourrir. Je comprends que ce livre soit rejeté par de nombreux lecteurs mais je pense que pour les autres ce livre est addictif. Il ne s'agit pas de confessions extraordinaires mais le résumé de toutes les petites compromissions et lâchetés du narrateur avec lui même et par conséquent envers les autres. Lui qui a passé sa vie derrière la caméra décide de faire cet ultime témoignage devant la caméra et en présence de sa compagne car il pense que seule cette mise en scène lui évitera enfin de lui mentir. Comme l'écrit l'auteur « Il sait qu'il n'est pas littéralement en train de se noyer, mais qu'il est en train de mourir, et le flot du temps a enfoncé les digues et les barrages qui retiennent ses secrets depuis presque toute une vie. Son esprit est inondé de souvenirs, et le débordement s'est mis à charrier les épaves flottantes que sont ses peurs et rêves secrets, ses espoirs, ses ambitions et ses fantasmes ….. » c'est merveilleusement bien écrit par l'homme qui nous a légué « American Darling ». Russel Banks à désormais 82 ans et on ne peut pas lire ce livre sans y songer .
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