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Férial Drosso (Traducteur)Laurencine Lot (Traducteur)
EAN : 9782020132121
285 pages
Seuil (15/03/1991)
3.7/5   5 notes
Résumé :
Qui est Gregory Bateson ? Depuis ses travaux d’ethnologue de 1936 (La Cérémonie du Naven), son parcours a été d’une violence qui n’est certainement pas sans inquiéter les « spécialistes » : biologie, anthropologie, psychiatrie, théorie du jeu, évolution, communication chez les mammifères, systèmes et paradoxes logiques, épistémologie, pathologie des relations (alcoolisme, schizophrénie), théorie de l’apprentissage et, pour coiffer ce trajet vertigineux, une critique... >Voir plus
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Le problème

On pense communément que c'est dans la vie sobre de l'alcoolique qu'il faut
rechercher les causes (ou «raisons») de sa dipsomanie. Lors des manifestations
dans la sobriété, les alcooliques sont généralement qualifiés d'«immatures»,
«fixés sur la mère», «oraux», «homosexuels», «passifs-agressifs », «angoissés par
le succès», «hypersensibles», «fiers», «affables» ou tout simplement de «faibles».
Il est cependant rare que les implications logiques de ces attributs, si
généreusement distribués, soient vraiment examinées.
1. Si en quelque sorte c'est bien la vie sobre de l'alcoolique qui le pousse à boire et
l'amène même au seuil de l'intoxication, il ne faudra pas s'attendre à ce que des
procédés visant à la consolidation de son style personnel de sobriété réduisent ou
«contrôlent» son alcoolisme.
2. Si c'est son style de sobriété qui le pousse à boire, ce sera celui-ci qui doit contenir une
erreur, voire une pathologie; l'intoxication, elle, ne fait qu'apporter une correction
(subjective) de cette erreur. Autrement dit, par rapport à sa sobriété qui est en quelque
sorte «mauvaise», on peut dire que l'intoxication est «bonne». En ce sens, il est fort
probable que le vieux dicton: in vino veritas contient une vérité plus profonde qu'on ne le
croit communément.
3. On pourrait aussi suggérer que l'alcoolique en état de sobriété est en quelque sorte plus
sain d'esprit que ceux qui l'entourent et que cette situation lui est intolérable. J'ai
entendu personnellement des alcooliques parler ainsi, mais je préfère ne pas prendre ici
en ligne de compte une telle hypothèse. Une remarque faite par Bernard Smith,
représentant légal non alcoolique de «AA», peut cependant éclairer mieux ce point: «Les
membres de "AA", disait-il, n'ont jamais été les esclaves de l'alcool. Il leur a servi
simplement comme moyen pour échapper aux faux idéaux d'une société
pragmatique»[1]. Il ne s'agit donc pas, pour l'alcoolique, d'une révolte contre les idéaux
aliénants de son milieu, mais plutôt d'une tentative d'échapper aux prémisses malades
de sa propre vie, prémisses continuellement renforcées par son environnement social. Il
est néanmoins possible que l'alcoolique soit à certains égards plus vulnérable ou plus
sensible que l'homme dit normal du fait que ses propres prémisses malades (mais
conventionnellement admises) conduisent à des résultats insatisfaisants.
4. La théorie que j'avance ici propose un appariement converse entre sobriété et
intoxication, de sorte que celle-ci soit vue comme une correction subjective appropriée
de la première.
5. Il existe bien sûr de nombreux cas où ceux qui font appel à l'alcool - en allant parfois
jusqu'à l'intoxication totale — y recourent comme à un anesthésiant, qui les soulage de
leurs soucis, de leurs ressentiments ou de leurs souffrances physiques. C'est dire que
cette fonction anesthésiante de l'alcool peut nous fournir un appariement converse
suffisant pour nos buts théoriques. Cependant, je ne prendrai pas ce cas en ligne de
compte, le considérant précisément comme non pertinent pour l'alcoolisme
dipsomaniaque; et ce, malgré le fait incontestable que ce sont justement le «chagrin», la
«rancune» et la «frustration» qui sont immanquablement invoqués comme excuses par
les alcooliques intoxiqués.
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1. Il est évident que ce principe de la vie de l'alcoolique que «AA» appelle «fierté» n'est pas
structuré contextuellement autour de l'expérience passée. «AA» n'utilise pas le mot fierté
pour désigner quelque chose d'accompli. L'accent n'est pas mis sur «j'ai réussi», mais
plutôt sur «je peux»; ce qui correspond à une acceptation obsessionnelle du défi, au
refus complet de l'autre branche de l'alternative: «Je ne peux pas».
2. Une fois que l'alcoolique a commencé à souffrir — ou qu'il a été accusé — de son
alcoolisme, ce principe de la «fierté» est mobilisé dans la proposition: «Je peux rester
sobre». Mais il est, d'autre part, évident que réussir à ne pas boire détruit le «défi».
L'alcoolique devient «outrecuidant», comme dit «AA». Sa détermination se relâche, il
s'accorde un petit verre et se retrouve en pleine ribote. Nous pouvons affirmer que la
structure contextuelle de la sobriété change avec sa réalisation; à ce point, la sobriété ne
constitue plus un cadre contextuel approprié pour la «fierté». C'est le risque de boire qui
est maintenant un défi et qui appelle le «je peux...» fatal.
3. «AA» fait de son mieux pour montrer qu'il ne se produira jamais aucun changement
dans la structure contextuelle. Le contexte est restructuré par l'affirmation: «L'alcoolique
est alcoolique pour toujours». Le but poursuivi est de parvenir à ce que l'alcoolique place
son alcoolisme à l'intérieur du «soi», ce qui ressemble fortement à la façon dont
l'analyste jungien tente d'amener son patient à découvrir son « type psychologique» et à
apprendre à vivre avec la force et la faiblesse qui lui sont caractéristiques. A l'opposé de
cela, la structure contextuelle de la «fierté» alcoolique place l'alcoolisme en dehors du
soi: «Je peux m'empêcher de boire».
4. Dans la «fierté» alcoolique, l'élément de défi est lié au risque encouru. On peut formuler
ce principe ainsi: «Je peux faire quelque chose où le succès est improbable et où l'échec
serait désastreux». Il apparaît clairement que ce principe ne parviendra jamais à
maintenir un état continuel de sobriété. Dès que le succès commence à paraître
probable, l'alcoolique doit à nouveau défier le risque de prendre un verre. La
«malchance» ou la «probabilité» de l'échec place l'échec en dehors des limites du «soi»
: «En cas d'échec, il n'est pas de mon fait». La «fierté» alcoolique rend le concept de soi
de plus en plus étroit, en plaçant à l'extérieur de son champ une grande partie de ce qui
se passe.
5. Le principe de la fierté-dans-le-risque est en fin de compte plutôt suicidaire. Libre à vous
de vouloir vérifier une fois si l'univers est de votre côté; mais remettre ça sans cesse,
tenter une concertation croissante des preuves en ce sens, c'est se laisser aller à un
projet qui, mené à son bout, ne peut prouver qu'une seule chose: à savoir que l'univers
vous hait. Mais, encore une fois, les rapports de «AA» montrent à maintes reprises qu'au
fond même du désespoir c'est toujours la fierté qui empêche le suicide. C'est dire que ce
n'est pas le «soi» qui conduit à l'ultime quiétude[8]
.
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Considérons, par exemple, le mythe d'origine des peuples judéo-chrétiens.
Quels sont les problèmes philosophiques et scientifiques mentionnés par ce
mythe?
Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était un chaos,
et il y avait des ténèbres au-dessus de l'abîme, et l'esprit de Dieu planait
au-dessus des eaux.
Dieu dit: «Que la lumière soit», et la lumière fut. Dieu vit que la lumière
était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière
«jour», et les «ténèbres» il les appela «nuit». Il y eut un soir, il y eut. un
matin: premier jour.
Dieu dit: «Qu'il y ait un firmament entre les eaux et qu'il sépare les eaux
d'avec les eaux.» Il en fut ainsi: Dieu fit le firmament et il sépara les eaux
qui sont au-dessous du firmament d'avec les eaux qui sont au-dessus du
firmament. Dieu appela le firmament «ciel». Il y eut un soir, il y eut un
matin: deuxième jour.
Dieu dit: «Que les eaux de dessous le ciel s'amassent en un seul lieu et
qu'apparaisse ce qui est sec.» Il en fut ainsi; ce qui était sec, Dieu l'appela
«terre», et l'amas des eaux, il l'appela»mers». Dieu vit que cela était
bon[***]
.
A partir des dix premiers versets de cette prose fulminante, nous pouvons
retracer certaines des prémisses (ou «fondamentaux») de la pensée des anciens
Chaldéens: il est étrange de voir combien de problèmes et de «fondamentaux»
de la science modeme sont préfigurés dans les documents anciens.
1. Le problème de l'origine et de la nature de la matière est très sommairement écarté.
2. Tout le passage met en avant le problème de l'origine de l'ordre.
3. Une séparation apparaît entre deux types de problèmes. Il est possible que cette
séparation fût une erreur, mais, erreur ou pas, elle a été maintenue dans les fondements
de la science moderne. Les lois de la conservation de la matière et de l'énergie sont
classées séparément des lois de l'ordre, de l'entropie négative et de l'information.
4. L'ordre est vu comme relevant du tri et de la division. Mais l'idée essentielle de tout tri
est qu'une certaine différence engendre ultérieurement une autre différence: si nous
séparons les balles blanches des balles noires, ou bien les grandes des petites balles, la
différence entre les balles aura comme conséquence une différence dans leur placement
respectif - les balles appartenant à une classe, dans un sac, celles de l'autre classe,
dans un autre. Pour accomplir une telle opération nous utiliserons un crible, un seuil ou,
par excellence, un organe de sens. Il devient alors compréhensible qu'une Entité qui
perçoit ait été invoquée pour jouer le rôle du Créateur d'un ordre, autrement improbable.
5. Étroitement lié au tri et à la division, il y a le mystère de la classification, repris par la
suite dans l'extraordinaire performance humaine de la nomination.
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Épistémologie et ontologie
Les philosophes ont déterminé deux classes de problèmes: en premier lieu,
ceux qui concernent l'être des choses, des personnes et du monde en général,
autrement dit les problèmes d'ontologie; la seconde classe comprend les
problèmes relatifs à la façon dont nous connaissons et, plus particulièrement, à
la façon dont nous acquérons nos connaissances sur le monde, autrement dit, les
problèmes concernant ce qui nous permet de connaître quelque chose (ou, peutêtre, rien). Bref, le domaine de l'épistémologie. A ces questions,
épistémologiques et ontologiques, les philosophes tentent d'apporter des
réponses vraies.
Cependant l'anthropologue, lui, en observant le comportement humain, se
posera des questions quelque peu différentes. S'il est un adepte du relativisme
culturel, il pourrait tomber d'accord avec les philosophes qui affirment qu'une
ontologie «vraie» est concevable, mais il ne se demandera pas si l' ontologie des
individus qu'il étudie est «vraie» ou pas. Il s'attendra à ce que leur épistémologie
soit culturellement déterminée, ou idiosyncrasique, et à ce que la culture dans
son ensemble ait un sens en fonction de l'épistémologie et de l'ontologie qui lui
sont propres.
Si, d'autre part, il est évident que l'épistémologie «locale» est incorrecte,
l'anthropologue devra prendre conscience de la possibilité que la culture en
question dans son ensemble ne fasse jamais véritablement sens ou, sinon, qu'elle
fasse sens uniquement sous certaines conditions restrictives qui en fait la
coupent de toutes les autres cultures et des technologies nouvelles.
Dans l'histoire naturelle de l'être humain, l'ontologie et l'épistémologie sont
inséparables; ses croyances (d'habitude subconscientes), relatives au type de
monde où il vit, déterminent sa façon de percevoir ce monde et d'y agir, ce qui
déterminera en retour ses croyances, à propos de ce monde. L 'homme se trouve
ainsi pris dans un réseau de prémisses épistémologiques et ontologiques qui,
sans rapport à une vérité ou à une fausseté ultimes, se présentent à ses yeux
comme (du moins en partie) se validant d'elles-mêmes[4].
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L'unité autocorrective qui transmet l'information ou qui, comme on dit,
«pense», «agit» et «décide», est un système dont les limites ne coïncident ni avec
celles du corps, ni avec celles de ce qu'on appelle communément «soi» ou
«conscience»; il est important d'autre part de remarquer qu'il existe des
différences multiples entre le système «pensant» et le «soi» tels qu'ils sont
communément conçus:
1. Le système n'est pas une entité transcendante comme le « soi ».
2. Les idées sont immanentes dans un réseau de voies causales que suivent les
conversions de différence. Dans tous les cas, les «idées» du système ont au moins une
structure binaire. Ce ne sont pas des «impulsions », mais de «l'information ».
3. Ce réseau de voies ne s'arrête pas à la conscience. Il va jusqu'à inclure les voies de
tous les processus inconscients, autonomes et refoulés, nerveux et hormonaux.
4. Le réseau n'est pas limité par la peau mais comprend toutes les voies externes par où
circule l'information. Il comprend également ces différences effectives qui sont
immanentes dans les« objets» d'une telle information; il comprend aussi les voies
lumineuses et sonores le long desquelles se déplacent les conversions de différences, à
l'origine immanentes aux choses et aux individus et particulièrement à nos propres
actions.
Il est important de noter que les dogmes fondamentaux — et à mon sens
faux — de l'épistémologie courante se renforcent mutuellement. Si, par exemple,
la prémisse habituelle de la transcendance est écartée, celle qui prendra aussitôt
sa place sera l'idée de l'immanence dans le corps. Mais cette seconde possibilité
est irrecevable, étant donné que de vastes parties du réseau de la pensée se
trouvent situées à l'extérieur du corps. Le soi-disant problème «Corps-Esprit»,
comme on l'appelle d'ordinaire, est mal posé, dans des termes qui conduisent
inévitablement vers le paradoxe: si l'esprit est supposé être immanent au corps,
il doit alors lui être transcendant; s'il est supposé transcendant, il doit alors être
immanent[5], etc.
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Gregory Bateson et l'épistémologie du vivant.
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