Géricault, tome 4 : Le voyage en Italie

Mais si nous n'avons aucune étude de Géricault d'après le Jugement dernier et la chapelle Sixtine, nous pouvons penser que c'est en contemplant l'immense fresque qu'il aura eu l'idée d'une Chute des damnés ou Chute des Géants dont nous voyons dans différentes feuilles maints personnages précipités du haut du ciel ; une fois, l'un d'entre eux est pourvu d'ailes et, bien que ce ne soit pas des ailes de chauve-souris, attribut habituel du diable, on peut penser qu'il s'agit bien ici de Lucifer. Un de ces personnages nus et flottant se trouve dans le dessin à la plume où Géricault a croqué, certainement de mémoire, d'autres personnages dont un autre homme nu précipité à terre, un semeur, un homme qui bêche que nous retrouvons dans le catalogue. Même homme précipité à terre, recroquevillé, mais peut-être en l'air, car il semble avoir un élément de nuage attaché à lui, et un homme plaqué au sol dans le dessin à la plume.
En réalité, Géricault à plusieurs époques de sa vie s'est intéressé au corps humain en position de chute. Le graphisme de ces dessins-ci paraît correspondre à la période d'Italie, ou aussitôt après.

Pour évoquer ces sujets antiques, Géricault emploie des papiers teintés en gris ou en brun; la gouache lui donne une opacité qui contribue aux effets de puissance recherchés. Il l'oppose à des effets d'ombre au lavis dans un contraste si accentué que l'on pense aussi au Caravage.
Bien que dans sa jeunesse, il l'ait déjà rencontré sous sa plume, sans doute est-ce Michel-Ange qui inspira à Géricault le thème de Léda. Il dut avoir pris contact avec cette oeuvre perdue d'après une gravure qu'il recopia dans sa manière de dessiner en graveur de burin ou de taille-douce, en faisant ressortir le modelé par tout un système de hachures rectilignes ou curvilignes. Le procédé dont il se sert parfois pour faire des études dessinées très poussées était souvent employé par Michel-Ange lui-même.

Comme il le fera plus tard pour le Radeau de la Méduse ou l'Affaire Fualdès, Géricault analyse tous les moments d'un drame, avant de se prononcer pour celui qui lui paraîtra le plus expressif. Il va même jusqu'ici à s'intéresser au préalable de l'action. Peut-être a-t-il existé un dessin où il aurait peint le désespoir d'Oenone retrouvant Pâris mort et sa propre mort.

Une des contributions les plus remarquables apportées par Lorenz Eitner à la connaissance de Géricault fut l'identification du sujet de plusieurs dessins qui à Bayonne, Orléans, Rouen et ailleurs étaient catalogués sous des titres divers: Mort d'Hector, Mort de Patrocle, Guerriers secourant. un blessé, etc. Il reconnut que ces dessins se rapportaient au thème d'Oenone refusant de secourir Pâris, qui avait été donné comme sujet au Grand Prix de Rome de peinture en 1816. Il retrouva à l'Ecole des beaux-arts le tableau qui avait été primé, celui de A. J. B. Thomas (1791-1834), et il identifia même un dessin de celui-ci pour ce tableau, jusque-là considéré comme étant de Houdon, au Fogg Art Muséum de Cambridge.