Alerte rentrée littéraire ! « C'est un livre sur l'identité, la place que chacun(e) a, croit avoir ou cherche à avoir, sur les espoirs et leur confrontation au réel » : Pierre de Montalembert d'Esse nous explique pourquoi il faut lire
Les pavés du pardon de
Raphaëlle Beguinel, paru en août 2023 aux éditions Brandon par Brandon & Compagnie.
>>>Histoires d'exil
Kosta, l'immigré qui, au début du roman, retourne à Sofia alors qu'il avait juré de ne plus jamais y revenir ; Madga, sa soeur, qui poursuit des études de médecine tout en rêvant de le rejoindre en France ; Alessio, l'ancien immigré sicilien qui s'imagine régner sur son domaine constitué d'un appartement et d'une brasserie, en patriarche seul décideur du bien et du mal, avant d'être confronté à la réalité ; Cécilia, sa fille, qui a tant de mal à s'insérer dans son histoire ; mais aussi les personnages secondaires, comme Pierre, ami d'Alessio et parrain de Cécilia, ou absents, comme Francesca, la mère mystérieusement disparue… Qu'ils viennent de Bulgarie, d'Espagne ou d'Italie, presque tous les personnages ont partie liée à l'exil. Exil géographique, exil intérieur, aussi, tant chacun a du mal à se sentir à sa place.
>>>La gare du Nord, personnage à part entière
On marche beaucoup dans ce livre, en suivant les personnages. Certains lieux apportent un sentiment de sécurité, tandis que d'autres, comme Saint-Germain-des-Prés, sont hostiles. On parcourt Sofia et Paris, bien sûr, mais des quartiers chaque fois minutieusement décrits et circonscrits, au point qu'ils acquièrent une personnalité propre, et qu'ils sont presque des personnages à part entière.
C'est particulièrement vrai pour la gare du Nord, refuge, voire patrie, paradoxale puisqu'elle est aussi le lieu de tous les mouvements. Cette personnification est renforcée par des expressions comme « sa plus vieille amie » pour désigner la gare, « Cécilia s'était sentie soutenue par la gare ces dernières semaines », ou encore : « Gare-du-Nord n'avait pas tenu ses promesses ». Et, à force de suivre les personnages rue Cail, rue d'Hauteville ou encore rue Lafayette, on a envie, le livre à la main, de (re)découvrir ce quartier.
>>>Le pardon impossible ?
Le pardon semble la chose du monde la plus compliquée, plus encore que les familles, pourtant souvent malmenées au cours du récit. le pardon aux autres, pour leurs silences, leurs lâchetés, leurs mensonges, leurs insuffisances. le pardon à soi-même, aussi.
En cela, le roman mérite bien son titre : le champ lexical du pardon doit être, avec celui des pavés, celui qui est le plus utilisé au cours du récit. Sans doute parce qu'il faut parcourir un grand chemin, au sens premier comme métaphorique, pour parvenir à comprendre, accepter, et peut-être, enfin, pardonner.
>>>Les faiblesses des hommes
Taiseux, veules, violents, et tellement orgueilleux : les hommes ne sont pas à leur avantage dans ce roman. Ils s'imaginent que tout s'achète ou se vole. Ils croient masquer leurs insuffisances derrière leurs tatouages, leurs poings ou leurs silences, jusqu'à ce que la réalité les rattrape.
A rebours, les femmes se révèlent plus fortes, plus fiables, plus intelligentes. C'est par elles, surtout Cécilia, la fille en manque de mère, et Magda, la soeur dévouée, que les réponses arrivent, et que le salut se laisse entrevoir. Avec une part d'illusions en moins (« Désabusée ou devenue adulte – au fond, c'était la même chose »), mais aussi, alors, la force de créer autre chose.
>>>Bref...
C'est un livre sur l'identité, la place que chacun(e) a, croit avoir ou cherche à avoir, sur les espoirs et leur confrontation au réel. Si
Sciences Po veut aider à « comprendre son temps pour agir sur le monde », ce roman propose de débuter par se comprendre soi-même pour s'accepter, avec ses failles, et alors, qui sait, parvenir à se changer, et à changer les autres.
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