Après la lecture du thriller
Chardon Chéri qui m'avait intriguée par sa forme et par son ton, j'étais impatiente de découvrir un autre roman de
Yasmina Behagle pour confirmer ma première impression : qu'elle est une auteure de grand talent comme on en croise en de trop rares occasions.
Je m'attendais à un sujet dérangeant, qui me bousculerait et le roman a tenu ses promesses à ce niveau. Nous plongeons tête baissée dans l'univers carcéral au féminin où nous retrouvons de multiples personnalités, cabossées, malmenées et très souvent négligées par une société rétrograde. Ce qui est intéressant, c'est l'aspect universel de ce livre, renforcé par l'absence de marque temporelle. Impossible de savoir à quelle époque se tient l'intrigue et ça m'a fait grincer des dents. Car le destin tragique de ces femmes auraient pu frapper n'importe quand, finalement.
Car ce sont elles les héroïnes, du titre, jusque derrière chaque mot, chaque page, chaque clameur et chaque silence. À commencer par Soeur Marie, jeune religieuse envoyée à la prison de Saint-Lazare pour des raisons obscures que l'on devine au fur et à mesure. Elle subit sa nouvelle affectation, encaisse les brimades des prisonnières et l'indifférence des autres religieuses. Pourtant, elle n'a de cesse de relever la tête et de continuer, accrochée à ses souvenirs.
Car la mémoire a un rôle important dans ce labyrinthe de détails à première vue insignifiants. Mais ils servent à nous immerger dans un quotidien routinier, parfois monotone, avant de s'effacer devant la laideur, l'abus et le désespoir. J'ai ressenti une profonde empathie pour chacune de ces femmes dont la présence derrière les barreaux n'est que le résultat de l'ignorance, d'émotions réfrénées et de cruelles maltraitances.
On peut reprocher au texte un rythme parfois lent, un effilochage de digressions dont on peine à saisir la portée et qui nous oblige à revenir en arrière pour mieux comprendre. Un peu comme ces prisonnières dont le passé les fige dans leur présent. En ce qui me concerne, je suis prête à tout pardonner quand la plume est aussi travaillée et chargée en émotion que celle de Yasmina.
Il est des auteur.e.s qu'on déteste furieusement et elle en fait partie. Non pas parce que son roman est mauvais, que sa plume est pauvre ou que son sujet est commun, non. Si vous lisez ce premier tome, vous réaliserez très vite que c'est tout le contraire.
On la déteste pour les silences lourds de sens de ses personnages, pour cette rare aptitude à écrire exactement ce qu'il faut, sans vraiment l'écrire. À laisser sa juste place à l'imagination du/de la lecteur.trice pour qu'il.elle puisse visualiser une scène dans toute sa fulgurance. Je ne parlerai pas de ce cliffhanger qui m'a coupé le souffle ou de la vitesse à laquelle j'ai tourné les pages pour rencontrer Soeur Marie, Marianne, Léontine et les autres. Ni même à quel point ce roman résolument féministe a pu trouver écho en moi.
Je vous laisse le plaisir de la découverte, le jeu en vaut la chandelle. de mon côté, je m'attelle de suite à la lecture du deuxième volet, sinon, mon coeur ne s'en remettra pas.