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Critique de Dandine


Vous voulez vous informer sur le nazisme, la deuxieme guerre mondiale, la Shoah? Vous pouvez bien sur essayer les historiens. Ils sont legion, qui ont pondu de sacres paves, depuis Basil Liddell-Hart, Leon Poliakov et Raul Hilberg, jusqu'a Anthony Beevor et Ian Kershaw, en passant par Joachim Fest, Christopher Browning et Annette Wieviorka. Mais si vous voulez mon avis ce petit bouquin peut suffire. A vous eclairer. Et a vous ecoeurer. Tout en vous faisant bien marrer en nombre de passages. Rire d'un rire d'hyene. Mais prenez un moment de reflexion avant de vous jeter dedans. Il n'est pas fait pour de petites natures.


C'est l'histoire d'une jeune allemande, Edmonde Sieglinde Kerrl, qui va se trouver, par hasard mais a son corps consentant, au centre de toute l'histoire de l'Allemagne, de 1930 a 1945. Elle est ainsi acteur et temoin. Acteur actif et non reticent et en meme temps temoin critique. Elle va collaborer avec les S.A puis avec les S.S. Elle va faire de l'espionnage, de la police, aider a diriger un camp d'extermination, et n'hesitera pas a tuer de ses propres mains tous ceux qui la menacent ou la genent. Elle va etre proche de tous les grands du parti, commencant par “ce porc d'Ernst” (Rohm), puis “le gros Hermann” (Goering), “le petit Joseph" (Goebbels), “le chauve Heinrich a lunettes” (Himmler), tous des “cochons d'encules", et la plupart ou pederastes ou impuissants. Proche aussi du plus grand des impotents, Hitler, incapable de coucher avec sa petite amie, Eva. Alors c'est elle qui va coucher avec Eva (Braun la blonde). Comme avec Lisa ( une amie d'enfance). Et avec Lucie (une juive). Et avec Marie-Jose (resistante francaise sado-macho) et Vera ( sa prisonniere russe) et Naima (contrebandiste et espionne suedoise) et Faustina (internee du camp de travail et de mort) et beaucoup d'autres dont je prefere vous epargner les scenes a l'erotisme torride, tape-a-l-oeil, bruyant, flirtant avec la pornographie, qui nourrissent de tres nombreuses pages de ce livre. de quoi vous degouter. Ou vous aguicher. Et y-a-t-il de l'amour dans tout ce sexe? Mais voyons! “Elle me haissait. Il y avait une autre fille, en Ukraine, Vera, elle me haissait aussi. Elle a essaye de me capturer vivante pour pouvoir m'enfouir dans le soufre, ou me noyer dans de l'urine russe. Et il y avait une troisieme fille, a Berlin, une juive, Lucie. Elle me haissait encore plus que Vera et Marie-Jose. Je l'ai amenee à Bad Tolz, lui ai offert ma maison, et elle a tout souille de sa haine. La haine, Lisa. Savais-tu que les histoires de haine existent aussi bien que les histoires d'amour ? Savais-tu qu'on pouvait chanter des chansons de haine autant que des chansons d'amour ? Savais-tu qu'il y a des liaisons haineuses, comme des liaisons amoureuses ? Qu'on peut tomber haineux aussi bien qu'amoureux ?”


Mais cette demoiselle Kerrl est fille d'un acteur de theatre. Bien que mort, elle l'invoque sans arret pour qu'il la conseille et la protege depuis l'au-dela. Il lui a legue une certaine culture, alors elle declame sans arret des vers de Shakespeare (Shakespeare sied tres bien aux meurtres, aux trahisons, aux atrocites de la guerre). Et elle met chaque action, chaque pas qu'elle fait, en rapport avec ses anciennes lectures, le comte de Monte Cristo, Hercule Poirot, Hedda Gabler d'Ibsen, La lettre volee d'Edgar Allan Poe, L'enfer de Dante. Elle lit et traine partout avec elle un livre, comme une amulette, Anthony Adverse, d'un certain Hervey Allen, qui avait eu un certain succes a l'epoque, et dont on avait tire un film avec Olivia de Havilland, qu'elle avait adore. Comme elle avait aime d'autres films hollywoodiens, The Mask of Fu Manchu, The Bitter Tea of General Yen, Frankenstein, Gold Diggers, sachant que “tous les talents juifs emigraient. Fritz Lang, Siodmack, Conrad Veidt, et des centaines d'autres. L'industrie cinematographique allemande devenait aussi aryenne que Parsifal”. Rien de plaisant pour elle.


C'est tellement simple: Behm retrace le parcours d'une femme cultivee, intelligente, predatrice sexuelle, bourreau nazi. Simple et deroutant. Raconte en des pages pleines de sexe, et d'atrocites, et de culture, et de sauvagerie, et d'humour, et de cruaute et d'ironie et de barbarie et de derision et d'inhumanite. Revoltant. A se sentir mal. A en rire. A en jouir. A en degueuler . Un livre comme un pied de nez, ou comme un bras d'honneur, a l'incomprehensible. Je suppose que Behm, qui a surement lu nombre de travaux d'historiens, ne comprend toujours pas. Comme moi. Alors, son livre, ecoeurant, comme je notais plus haut? Non. Acide, corrosif, mais rejouissant aussi. Tres rejouissant. Pour fortes natures et ames bien trempees? Pas seulement. Pour petits aventuriers en litterature, comme moi, aussi.


N.B. C'est, encore un fois, Pecosa qui m'a fourvoye, me chantant les charmes des chemins ecartes.


P.S. Un des petits plaisirs du livre est le Dictionnaire d'argot americain que l'heroine egrene au fil des pages:
fit to be tied – dans une colere noire
I spill the beans – je vends la meche
madder than a wet hen – dressee sur ses ergots
caught between the devil and the deep blue see – entre l'enclume et le marteau
dropped me like a hot potato – m'a plaquee comme une crepe
off the deep end – completement a cote de la plaque.
the cat was out of the bag – le grand mot etait laché
footpad, predator, freebooter, or crook – voleur, predateur, maraudeur, ou escroc
Like a log – comme une souche
gave me the jitters – me flanquaient la trouille
better to be safe than sorry – mieux vaut prevenir que guerir

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