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EAN : 9782382843611
Editions des Equateurs (24/08/2022)
3.06/5   62 notes
Résumé :
« Sans qu’elle ait pu s’y préparer, elle traverse à toute vitesse une surface liquide. Elle se débat dans un fluide baveux et chaud qui lui rappelle le ventre de sa mère. Elle n’a bientôt plus d’oxygène et peine à remonter à la surface quand ses yeux croisent un regard. Son père ! »

Le père de Claire s’est suicidé. Confrontée aux vérités étouffées et aux facettes douces-amères de cet homme fantasque, elle tente de faire le deuil. Quelque part entre le... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
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« le manque est un acouphène : un sifflement presque inaudible mais soudain omniprésent et assourdissant dès quelle y prêt attention. Parfois elle s'imagine aller déterrer les cendres au pied de l'arbre. Elle se voit creuser la terre à mains nues et sentir sous ses ongles des miettes d'os, semblables à des coquilles d'oeufs concassées. »

Claire se débat avec la perte de son père qui vient de se suicider. le deuil est un thème très souvent abordé en littérature, mais dès les premières pages, on est frappé par l'originalité du texte. Jeanne Beltane ne se contente par de décrire classiquement les tourments intimes de son personnage, elle le fait avec beaucoup de style par le prisme de l'absurde et du fantasque à partir d'un dispositif narratif très inventif.

Ainsi alternent des passages à la troisième personne où Claire raconte son deuil, d'autres à la première personne avec le monologue du père décédé qui commente sa « nouvelle vie », et enfin des extraits du carnet de rêves de Claire, des rêves très aquatiques très souvent hallucinés qu brouillent les frontières entre le rationnel et l'irrationnel, le conscient et l'inconscient aux confins de la réalité.

« Sans qu'elle ait pu s'y préparer, elle traverse à toute vitesse une surface liquide. Elle se débat dans un fluide baveux et chaud qui lui rappelle le ventre de sa mère. Elle n'a bientôt plus d'oxygène et peine à remonter à la surface quand ses yeux croisent un regard. Son père ! Elle en est sûre c'est lui. Elle ouvre la bouche pour l'appeler et son oesophage, ses poumons se remplissent de ce liquide amniotique visqueux. Après plus rien. le vide. »

Il y a incontestablement de très beaux passages. Mais voilà, le texte part dans un espèce de « délire »métempsychotique animiste qui ne m'a pas du tout convaincue. Comme pour toutes les propositions littéraires barrées, soit on adhère soit on adhère pas. Malheureusement pour moi, je n'ai pas adhéré, ne parvenant jamais à lâcher prise pour m'amuser à suivre les déambulations du père après sa mort et à apprécier pleinement la quête métaphysique de Claire qui pose pourtant les questions justes sur le devenir de ceux qu'on a fortement aimés et qui nous ont quittés.

Lu dans le cadre de la sélection 2023 des 68 Premières fois
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Les thèmes traités dans ce roman méritent effectivement que l'on s'y intéresse : le suicide, le deuil.

J'ai toutefois trouvé ce récit sans saveur, et sans intérêt, j'irais même jusqu'à affirmer que je me suis sentie agacée par un aspect excentrique de cet écrit qui ne traite pas à fond des thèmes qui le mériteraient et qui se veut "humoristique" si j'en juge par la quatrième de couverture.

Le départ était prometteur, on brosse le portrait du père, on raconte la vie de ce personnage particulier. En parallèle, on découvre sa fille, Claire.

Le père, par sa mort, devient pur esprit et livre son ressenti depuis « l'au-delà" ou depuis ce monde invisible que Claire tentera d'atteindre.

On y parle, paraît-il d'humour noir, ce que je n'ai pas ressenti, je peux pourtant affirmer que l'humour noir, d'ordinaire, j'adore. Communication entre deux mondes ? J'ai vu mieux, réincarnation ? Bricolage de la part de l'auteur qui tente de faire croire à ce phénomène en ne décrivant pas des faits très crédibles.

Qu'ai-je donc vu dans cette histoire : le rêve d'une jeune femme qui fait un deuil, avec quelques scènes bien délirantes voire glauques. Sans grand intérêt.
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La solution est aqueuse

Dans ce premier roman qui fait revivre un père qui s'est suicidé sous la forme d'un poisson, Jeanne Beltane dit avec poésie la relation père-fille, la difficulté du deuil et la force des rêves. Joliment construit, cette plongée fantastique est aussi un bel hommage.

En collaboration avec Arte Radio, Nicolas Mathieu avait proposé aux auditeurs le challenge suivant: «Faites exister un personnage sans le décrire et en 1.000 mots.» La lauréate de ce concours était Jeanne Beltane. Elle s'est appuyée sur ses premiers mille mots pour enrichir son récit et en arriver à ce premier roman.
Les poumons pleins d'eau est une réflexion originale, à la fois dans sa construction que dans son style, sur la relation qui unit un père et sa fille. Il y est question de deuil et de la douleur de la perte, de métempsychose et de réincarnation, mais aussi d'échange et de dialogue par-delà la mort. Ajoutez-y une touche de fantastique, quelques poissons et un rat et vous aurez le cocktail absurde qui fait le sel de cet inclassable quête.
Tout commence par une partie de pêche. Un minuscule poisson argenté, qui se faufile au milieu des silures, est hameçonné. L'épinoche finira dans un aquarium où la jeune fille qui l'a attrapé peut tout à loisir l'observer.
On retrouvera l'épinoche plus tard dans le récit, le temps de comprendre qu'il symbolise le père dont Claire fait le deuil.
C'est sur la plage de Saint-Malo qu'une amie le fait revivre. L'ayant bien connu, elle raconte à sa fille l'homme qu'il était, fantasque et excessif. Au tabac, à l'alcool et au cannabis, il ajoutait volontiers une bonne dose d'adrénaline. Cigarettes, alcool, cannabis. C'est ainsi qu'il a sauté d'un balcon pour honorer un pari, qu'il s'est lancé sur une piste de ski sans se soucier des autres ou encore qu'il plongé dans une piscine pour enfants posée sur une dalle de béton. À chaque fois, il a frôlé la mort.
Alors Claire ne peut pas comprendre pourquoi il a choisi de se suicider. Alors Claire refuse cette mort. D'ailleurs, il n'est pas mort puisqu'il partage ses rêves qui, insérés au fil des chapitres, donnent une autre image de cet homme.
Jeanne Beltane a choisi une écriture poétique pour poursuivre une relation que la mort ne saurait entraîner vers le néant. En remontant à l'origine, dans le liquide amiotique, elle peut nager aux côtés de cet homme-poisson.
Chargé de jolies métaphores, l'écriture fuit alors le réel pour se rapprocher de la seule vérité qui vaille, celle des sentiments.
N'hésitez pas à plonger avec Jeanne Beltane!


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❝le suicide, n'est pas un acte libre, n'est pas un fait social
c'est une solution
pour libérer les âmes mortes qui pèsent sur nos corps❞
Camille de Toledo, Thésée sa vie nouvelle

Qu'est-ce qui pesait sur le corps du père de la narratrice pour qu'il décide de se suicider alors qu'à peine quelques heures auparavant, enjoué, il lui avait parlé au téléphone ?
Quelles âmes mortes marchaient au côté de cet homme volontiers fantasque et tête brûlée ? Un homme qui ne savait vivre que dans les excès d'alcool, de cigarette ou de danger. Un homme qui avait maintes fois frôlé la mort et l'avait pourtant jusque-là esquivée, comme si elle avait décidé ne pas vouloir de lui. Pas encore. Lui faisant comprendre que c'était elle, et non lui, le maître des horloges.
Pourquoi un homme aux survies miraculeuses venait-il de se donner la mort qu'il avait si souvent pris plaisir à narguer ? à apprivoiser ?
Quelle solution avait-il entrevue dans le suicide ? celle de ❝Partir par la grande porte, et éviter le mouroir❞ ?

Claire, sa fille, reste avec un écheveau de questions sans réponses. Elle s'en veut de n'avoir pas su percevoir dans la voix du père l'irrémédiable qu'il s'apprêtait à commettre.

❝La réalité était là, implacable. Une heure trente après l'avoir appelée la veille au soir, son père s'était suicidé. Rien dans la conversation ne l'avait alertée. Elle se souvenait même d'avoir écourté.❞

Pour son premier roman, Les Poumons pleins d'eau, Jeanne Beltane choisit de s'en remettre à l'absurde pour évoquer le deuil et ceux qui restent tout en cherchant à amadouer les souvenirs qui les hantent.

Les Poumons pleins d'eau est un roman à formes de narration multiples — un récit à la troisième personne nous parle de la fille et de sa façon de composer avec l'absence ; l'autre, à la première personne, est celui du père ;

❝Je ne savais pas s'il fallait en rire ou en pleurer. En tout cas, ça m'a conforté dans mon choix. Ciao les cons ! Vous aviez des plans de carrière pour moi et je n'ai pas été à la hauteur ? Je vous fausse compagnie ! Continuez à macérer dans vos regrets poisseux, à panser vos ego flétris. Je me fais la belle.❞

et enfin les carnets de Claire dans lesquels elle consigne ses rêves. S'y mêlent réel et imaginaire, vécu et fantasme, savoirs tangibles et savoirs improuvés, en de fréquents allers-retours avec les personnages et leur histoire. Que nous ne sachions ni où ni quand le récit prend forme participe à nous transporter dans l'un de ces lapsus du temps ouvert à tous les possibles où le deuil, hors de tout contexte, devient une douleur universelle. L'écriture élucubre entre absurde et humour souvent très noir, parfois carrément macabre, alors que Jeanne Beltane sème au fil des pages le souvenir de ce père vraiment pas comme les autres et qui, par un improbable concours de circonstances, se retrouve réincarné en épinoche à tourner en rond dans un bocal.

Il n'est jamais aisé de parler du deuil, sujet aussi sensible qu'usé. Jeanne Beltane, jouant de son matériau autobiographique, fait le pari d'écrire un roman pour le moins singulier, onirique par moments ; l'invraisemblance absurde et farfelue étant sa manière à elle de ne pas choir et de continuer à se maintenir debout, d'échapper à l'abîme de sa souffrance, de porter le fardeau du suicide du père et de broder autour de son absence.

Il est indispensable que le lecteur lâche prise, faute de quoi il restera, comme moi, au seuil de cette histoire piquée d'audace et, j'en conviens, émouvante dont l'écriture, occupée comme la narratrice à fuir le réel par tous les moyens, peut néanmoins rebuter.

❝Le réel, lui, s'impose comme une fiction contraignante, vulgaire et violente, loin de toute vérité. Au contraire des réminiscences des songes de la nuit passée, bien plus accueillantes.❞

Histoire qui explore la relation rarement au beau fixe d'une fille à son père alors que celui-ci vient de mourir et se trouve, miracle de la métempsycose, réincarné en épinoche,

❝La suite aurait pu être classique : morgue, église, pierre tombale. Mais comme je leur avais fait une dernière vilaine blague, les vivants m'en ont fait une en retour. Après mon incinération, ils ont dispersé les cendres dans un lac. Il fallait les voir, en maillot de bain, agitant l'urne au-dessus de l'eau. Surréaliste. La suite est un mauvais karma : mes débris d'os bouffés par un poisson trop curieux, le grand-père qui emmène sa petite-fille à la pêche, la gosse qui me met dans un bocal.
Et me voilà qui tourne en rond.❞

Les Poumons pleins d'eau sous couvert d'un humour pas toujours adroit pose les questions auxquelles tous ceux qui ont perdu un être cher tentent de répondre bon an mal an et la plupart du temps de manière pratique et raisonnée au moment de faire leur deuil.

❝Tenter de faire son Deuil.
Ouvrir tous les Tiroirs de sa Mémoire.
Laisser Palpiter les Souvenirs.
Vider sa tête d'un trop plein de Pensées.
Laisser le Chagrin ruisseler.❞

Beaucoup de tendresse dans l'étude des rapports complexes qui unissaient Claire et son père de son vivant, et que la mort violente a compliqués, forcément, sans les distendre, bien au contraire. Ce sont cette tendresse-là, cette fragilité-là, bien cachées sous l'épais vernis absurde qui hélas recouvre le dialogue intime entre Claire et son père, qui ont sauvé ma lecture de ce roman qui commençait pourtant bien, mais que j'ai failli lâcher à plusieurs reprises, peu sensible et passablement lassée par le choix narratif.
L'originalité de ton suffit-elle à donner sa texture à un roman sur un sujet universel et nonobstant si difficile à partager ? Pour moi, et ce n'est que mon avis, clairement non, dans la mesure où cela m'a même éloignée du propos.

Premier roman, lu dans le cadre de la sélection 2023 des #68premieresfois
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Claire n'arrive pas à s'y faire. le deuil, la perte de son père, elle ne se les explique pas, ne les accepte pas.

Il faut avouer qu'il est parfois difficile de le comprendre ce père qui fume des joints, bois trop et vit un peu en marge des autres avec son métier de chercheur toujours penché sur son microscope, ce père qui régulièrement parle à ce crâne qu'il a rapporté de ses années d'études de médecine jamais terminées.
Encore plus difficile d'accepter son suicide alors qu'une heure avant au téléphone il avait tant de projets.
Depuis, son père vient la retrouver dans ses rêves et c'est à la fois tellement étrange et Invraisemblable.
Jusqu'au jour où c'est certain, elle l'a retrouvé...

Roman sur le deuil, mais à la fois déjanté et loufoque, spirituel et athée, iconoclaste et halluciné, ah les champignons ont parfois de sacrés effets.

Je ne sais pas dire si j'ai aimé ou pas, mais ce qui est sur c'est qu'il souffle dans ces pages un vent de nouveauté, d'absurde et de sensible à la fois. Dérangeant mais attendrissant lorsqu'il évoque cette recherche des "perdants" pour comprendre le pourquoi et le comment de ceux qui les ont quittés.
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Prologue
Au commencement étaient les sédiments. Une masse sombre et oblongue gît au fond de l’eau. Par temps clair, elle est visible depuis la surface, quand la vase n’est pas remuée par la pluie. À première vue, il s’agit d’une grosse pierre polie par les années et recouverte d’algues vert brun. Jusqu’à ce que la pierre bouge et remue la vase avec ses nageoires.
L’animal rejoint ses congénères dans un nuage de limon. Il pressent quelque chose. Imperceptiblement, les oscillations à la surface de l’eau lui indiquent un changement à venir. Son instinct le guide vers ses pairs, déjà dans l’attente, à l’affût. Ils ont perçu des vibrations, sourdes.
L’eau se trouble davantage. Les silures agitent désormais leurs barbillons, frénétiques, à la recherche d’indices supplémentaires. Leurs corps mous et massifs se frôlent d’abord, puis se bousculent. Au milieu de cette agitation, un minuscule poisson argenté semble s’être égaré et se faufile entre les chairs glissantes et sans écailles des mastodontes préhistoriques.
Soudain, une pluie sablée descend lentement au fond de l’eau, comme au ralenti. Une poussière d’or dans les rayons du soleil qui traversent la surface.
Les silures se battent pour ingérer cette pluie sédimentaire. Le petit poisson, plus vif qu’eux, gobe une quantité excessive pour son gabarit. Une intuition le pousse à se gaver de cette nourriture providentielle. Très vite, il se sent lourd, oppressé par cette matière non identifiée qui lui érafle l’œsophage et pèse sur son estomac. Il appréhende l’erreur peut-être fatale. Il respire avec difficulté, ses branchies se soulèvent péniblement. La nuit tombe au-dessus du lac et il n’en mène pas large.
Au matin, alors que le soleil perce la brume, il est toujours. Il se remet doucement, mais, en son for intérieur, quelque chose a changé. Étrangement, il éprouve une vitalité nouvelle. Ce repas n’était finalement pas une mauvaise chose.
Un éclair attire son regard, il aperçoit un ver à la surface. Ces dernières heures, sa curiosité lui a été plutôt bénéfique. Il se hâte donc vers la larve pour la gober quand une douleur fulgurante lui déchire la bouche. Il se sent happé hors de l’eau.— J’ai réussi ! J’ai réussi !
— Bravo, ma chérie. C’est une épinoche.
— On peut le garder ?
— Il vaudrait mieux le remettre à l’eau. On l’a déjà bien amoché. Et on n’en fera rien pour le repas.
— S’il te plaît... J’aimerais le garder et le mettre dans un bocal. Dis oui.
Cerné par les parois en plastique du seau, la bouche endolorie par la morsure de l’hameçon, le poisson sait qu’il devrait être terrifié. Mais cette force nouvelle en lui exalte plus encore sa curiosité. Ignorant son instinct de survie, il se laisse guider par cette énergie autoritaire qui a pris possession de son organisme.

À la recherche d’indices
Claire longe la grande plage de Saint-Malo.
La marée monte vite et ses pieds s’enfoncent dans le sable trop mou. Il infiltre ses méduses, formant des paquets sous ses pieds. Elle retire ses sandales en plastique et poursuit pieds nus, progressant tant bien que mal dans ce sol meuble.
Elle n’est pas une fille de l’océan. Son environnement naturel : la montagne et les forêts.
Elle voit une femme se diriger vers elle. C’est une amie de jeunesse de son père avec qui elle a rendez-vous. Pendant deux heures, cette femme lui racontera combien son père incarnait la vie.
Claire n’a pas vu cette femme depuis vingt-cinq ans, et pourtant son souvenir persistait dans sa mémoire olfactive. Pendant près de deux décennies, sans jamais avoir eu l’assurance de la revoir, Claire s’était remémoré par intermittence son parfum de tubéreuse poudrée. Dans son esprit, cette voix rauque était indissociable d’une photographie en noir et blanc étudiée cent fois – ou plus. On y voit quatre jeunes femmes assises en tailleur sur un grand tapis poilu. Elles ont les cheveux longs et des pulls tricotés main en mohair. La femme de la plage tient une tasse de thé à deux mains. Au milieu du cercle, un bébé, Claire. La photo saisit un instantané de vie, une discussion entre amies. Il s’en dégage quelque chose d’éminemment rassurant. Cette image agit dans sa mémoire comme une évocation de sa toute petite enfance, la nostalgie d’une époque qu’elle imagine insouciante. La fin de la décennie 70 et le début de la suivante sont racontés par des albums photo remplis de jeunes gens ébouriffés et hilares. Ils font la fête, souvent, ou le GR 20 en espadrilles. Et il y a, elle, Claire, minuscule dans un caban rouge, désormais centre de gravité de ce petit monde.
L’amie de son père fait resurgir un passé doux comme un cocon. Elle lui raconte cette amitié de jeunesse qui débute à une boum. Elle dit : j’ai 14 ans, je suis une gamine, pas réglée et asexuée. Le long du mur s’alignent des garçons plus âgés en pantalon de velours côtelé et pull shetland, l’uniforme de l’époque. Je suis seule sur la piste, je danse comme une folle, sans me soucier des regards. Ton père a quatre ans de plus que moi mais on va devenir inséparables. Pendant des années il va me raconter ses amours. Il tombait amoureux souvent.

Dans la tête de Claire, Suzanne de Leonard Cohen. Elle imagine son père jeune grattant la guitare au coin du feu. Il n’a jamais fait de guitare.
Une nuit, il l’avait réveillée et lui avait fait traverser Paris : j’ai une grande nouvelle à t’annoncer. Elle avait marché dans la nuit comme une somnambule. Il lui avait dit, surexcité : Je vais être père. C’était la naissance à venir de Claire qu’il annonçait à cette femme.
Elle dit : On ne possède qu’une chose dans la vie, c’est un corps. Un corps, c’est un océan, une forêt, une montagne. On doit en prendre soin. Ton père a maltraité le sien. Cigarettes, alcool, cannabis.***Son père, cette gueule cassée. Non, il n’avait aucun respect, aucune indulgence pour son corps.
Qu’il saute d’un balcon pour honorer un pari absurde en soirée ou qu’il file sur une piste de ski sans se soucier des autres, cela se terminait invariablement sur un lit d’hôpital.
Ainsi, la station debout sur un skate n’avait duré que quelques secondes avant la fracture ouverte. L’os sortait de sa jambe devant les regards horrifiés des enfants. Scène gore au milieu du lotissement. Ou le plongeon dans une piscine pour enfants posée sur une dalle de béton pour ensuite arborer pendant six mois une coque en plastique le moulant du torse à la tête. Un moindre mal face à la tétraplégie qui avait failli être la conclusion de ce choc. Elle le revoit, immobile, la tête dans l’eau, comme un cadavre.
Mais aussi l’accident de ski. Il avait percuté quelqu’un, et failli perdre un œil. La lame du ski était passée juste à côté, entaillant l’arcade. Claire ne s’en souvient pas tout à fait, mais sa mère lui avait raconté qu’elle était terrifiée par son père, le visage violacé, hématome géant.
Et puis l’accident de voiture. Là, elle s’en souvient. Elle se remémore le coup de fil lui annonçant son père à l’hôpital, le pronostic vital engagé. C’était trois jours avant son départ à Madagascar où elle partait travailler. Elle avait sauté dans un train et l’avait découvert intubé de toutes parts, la tête tondue, shooté à la morphine, incapable de parler. Elle se souvient aussi de lui six mois plus tard : il flottait dans ses vêtements, une chiffe molle, vieilli prématurément. Et les douleurs qui ne l’avaient plus quitté ensuite, qui le rongeaient.
Elle se souvient de sa lampe clignotant en haut de la montagne qui fait face à leur immeuble. Il a décidé de grimper seul et de dormir là-haut. Ils échangent des signaux lumineux, lui avec sa frontale, elle en actionnant l’interrupteur de la cuisine.
Elle le revoit jurer en bricolant. Les insanités fleurissaient, en français ou en allemand, dès qu’une vis ou qu’un clou lui tenait tête. Il jurait souvent contre les objets, les accusant d’agir effrontément contre sa volonté. Quand elle était d’humeur taquine, elle en riait – ce qui n’arrangeait pas les choses –, mais le plus souvent, elle fuyait la tempête.
Elle se souvient de la dernière fessée déculottée. Celle de trop. Elle a déjà 13 ans et vivra longtemps avec cette humiliation.
Elle le revoit les yeux brillants, le verbe haut. Il a trop bu et s’insurge une fois de plus contre la connerie du genre humain. Il refait le monde, sans religion monothéiste. Il dit : une bombe à neutrons sur Jérusalem et on règle le conflit israélo-palestinien une bonne fois pour toutes ! Sans rien détruire de cette magnifique ville. Propre et efficace.
Enfin, elle le revoit en pleurs, figure victimaire : Tu ne m’aimes pas, personne ne m’aime.
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Il y a quelques jours, elle est allée vider la maison de son père avec son frère et sa sœur. Ils se sont partagé les vinyles. Ils ont rassemblé les petits objets qui leur semblaient importants ou impossibles à jeter : de vieux passeports, des poèmes et des carnets de notes, deux pipes en écume, un morceau d’optique de microscope, une loupe, des ciseaux de coiffeur, un coupe-ongles, deux couteaux de poche, une figurine de mineur en plomb.
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Un jour, elle a vu des milliers de paillettes d'or danser dans la lumière. Elle a pensé à son père, devenu poussière. Elle s'est dit c'est un peu de lui qui dansait devant ses yeux.
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On ne possède qu'une chose dans la vie, c'est un corps. Un corps c'est un océan, une forêt, une montagne. On doit en prendre soin.
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J’ai découvert ce livre dans la cadre des 68 premières fois et j’avoue qu’il m’a un peu désarçonnée.
Roman a deux voix il explore la question du deuil et du suicide.
La voix de Claire, la trentaine, qui apprend le suicide de son père. Entre incompréhension et colère, entre douleur et chagrin, elle cherchera à comprendre par tout moyen, et elle cherchera à fuir cette terrible réalité
La voix du père, par delà la mort, un homme qui a brûlé la vie par les deux bouts, qui raconte son choix, sa décision de ne pas connaître la déchéance, sa volonté de ne pas être un poids pour les siens. Dis comme ça cela pourrait être intéressant, mais….
Se mêlent à ces récits des digressions oniriques, des considérations métaphysiques, et une fin pour le moins surprenante et j’avoue que là, l’auteur m’a perdue.
J’en retire un sentiment en demi-teinte. C’est dommage
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