J'ai hésité à ajouter une énième critique sur ce livre, mais lorsque je les ai parcourues, certaines m'ont peinée : on peut critiquer la forme, on peut juger de l'intention , du style etc… mais par respect pour
Anne Berest , sa famille et tous ceux qui ont partagé ce funeste destin , il est indécent de se permettre quelque remarque que ce soit au sujet des faits relatés par l'autrice.
Il y est question de mémoire, de transmission, d'identité, et c'est aussi une belle image de la sororité.
Par ignorance, mensonge, non-dit, falsification, instinct de survie, dissimulation ou déni de leur propre histoire, une majorité de descendants des déportés ont été spoliés de leur identité et privés de leur culture. Leurs ancêtres ont été « déportés » ce qui signifie dans le sens strict qu'ils ont été déplacés d'un point à un autre, eux sont des « déplacés « dans le sens : qui n'a pas sa place.
La famille d'Anne a eu la possibilité d'accéder à des informations à travers les récits des voisins, des documents administratifs, des photos, les archives gouvernementales etc.. Anne a fini par trouver sa place, non pas à la table de Pessah, mais en tant que
« fille et petite-fille de survivants » en retenant plus leur qualité de survivants que de victimes de la shoah, elle a trouvé une place et c'est déjà ça .
Mais pour tous les autres , enfants de disparus sans laisser aucune trace, ce livre et les autres sont leurs seuls témoins , c'est dire à quel point ce livre est important , il devait être écrit , et d'autres devront suivre et d'autres encore , inlassablement.
Je ne peux pas nier cependant que 3 points m'ont gênée dans cette lecture :
1/ L'amalgame entre la notion commune de transmission intergénérationnelle, et la notion de transmission transgénérationnelle émanant des psychogénéalogistes.
La première est explicite, A.B. reçoit de sa mère les informations qu'elle a collectées à partir d'archives et des souvenirs de son enfance, et elle les transmettra elle-même ses enfants, la seconde relève de l'interprétation par A.B. de certains de ces éléments sur la base d'une théorie développée depuis les années 70 empruntant des concepts issus en partie de la psychanalyse : la psychogénéalogie . Il s'agit à mon sens d'une pseudoscience dont la pratique n' a pas encore fait la preuve ni de son efficacité ni de son innocuité .Si l'on a pu récemment constater l'existence d'un certain déterminisme généalogique sur la base d'études scientifiques (comme cette étude réalisée sur des souris, montrant que « des souris exposées à des odeurs associées à un danger transmettent à leur descendance la crainte de ces odeurs » ou comme une étude américaine qui a pu prouver biologiquement une altération épigénétique du système immunitaire présente chez les générations descendantes des survivants de l'holocauste ), bien plus fumeuses sont les théories expliquant sous le terme de « syndrôme d'anniversaire » les concordances des dates d'évènements marquants qui seraient transmises en boucle sur plusieurs générations par un supposé déterminisme génétique.
Je préfère penser que pour A.B. ces coïncidences numérologiques de dates ne relèvent pas de cette superstition, mais plutôt d'une démarche littéraire s' approchant du réalisme magique d'un
Garcia Marquez ou d'un
Jorge Luis Borges .Quant à l'héritage des prénoms, nul ne peut contester qu'il reste un choix des parents, qu'il soit conscient ou non.
2/ La sensation malaisante de s'immiscer dans la vie privée de Lélia et Claire jusqu' à la correspondance échangée entre les 2 soeurs : j'ose espérer, si ces lettres sont des originaux, que Claire a donné son accord pour leur publication.
3/ Enfin, A .B. précise que la remarque antisémite dont été victime sa fille émane de Assan : peut-être cet élément aurait mérité d'être développé pour éviter de laisser croire que l'antisémitisme « moderne » serait devenu l'apanage des musulmans de France et non plus des français de souche .L'antisémitisme est hélas intemporel et universel .
Le'haïm !