Dans l’introduction de ses mémoires, À la Maison-Blanche, Henry Kissinger fait la remarque que l’homme politique – tout au moins d’envergure – arrive aux responsabilités avec un ensemble d’idées qui lui servent de cadre de référence tant que dure l’exercice du pouvoir, et que face aux imprévus (nombreux), il tente d’en tirer les ressources nécessaires. Michel Rocard entre bien dans ce cas de figure. En mai 1988, il est à la tête, si l’on peut dire, d’un corps d’idées, fortement constitué, depuis déjà près de trois décennies. C’est d’ailleurs bien comme cela que le voit et l’attend l’opinion. Chef de file politique de la « deuxième gauche » – baptisée comme telle depuis le début des années 1980 –, il représente un courant politique qui s’est d’abord défini depuis les années 1960 dans une opposition à la fois au Parti communiste et au Parti socialiste SFIO et qui a fait, un temps, du Parti socialiste unifié (PSU) l’outil de la recherche d’une gauche portant une critique renouvelée de l’économie et de la société capitaliste.
Enrichi des préoccupations et des revendications cristallisées dans la crise de Mai 1968, Michel Rocard a été amené, cependant, à se redéfinir, une fois survenue la rupture avec le PSU, dans la confrontation avec François Mitterrand au sein même du Parti socialiste (PS) durant la deuxième moitié des années 1970.