Jonathan Harker jeune clerc de notaire anglais est envoyé par son patron au fin fonde l'Europe dans les Carpates pour y finaliser une vente de propriétés londoniennes. Il laisse derrière lui sa jeune fiancée Mina Murray qui l'attend chez son amie Lucy qui, courtisée par trois prétendants, vient d'accepter la demande en mariage de l'un d'eux : Arthur Holmwood. Jonathan arrive au terme de son périple mais la population locale lui déconseille d'aller au château du comte
Dracula réputé maudit. le jeune homme s'y rend tout de même et fait connaissance avec son mystérieux client. Il comprend très vite qu'il est piégé dans l'antre du comte quasi en ruine à fleur de précipice et découvre la vraie nature de son hôte.
Dracula prépare son départ pour Londres en laissant Jonathan aux mains de ses concubines Au même moment Lucy atteinte d'un mal mystérieux dépérit sous les yeux impuissants de son amie et de ses prétendants …
Tout le monde ou presque connaît le personnage de
Dracula et tout particulièrement ses déclinaisons cinématographiques mais beaucoup moins le roman de
Bram Stoker (1897) qui est à l'origine du mythe.
C'est la raison pour laquelle après
Mike Mignola,
Yves H/Hermann, Sera et Dany dans « sur les traces de
Dracula »,
Françoise-Sylvie Pauly et
Pascal Croci pour n'en citer que quelques-uns,
Georges Bess s'attaque lui aussi à cette figure : « Tout le monde connaît
Dracula mais peu de personnes savent vraiment de quoi il est question exactement. C'est pour cela qu'il fallait le dessiner, l'illustrer ». Il relève donc le défi et aura mis deux ans à réaliser un volumineux album de plus de 200p.
Alors que Mignola adoptait la vision de Francis Ford Coppola dans laquelle Gary Oldman était un séduisant vampire à la recherche de son amour perdu, Bess revient aux fondamentaux : «
Dracula est un conte merveilleux, avec un personnage d'une noirceur totale, un véritable prédateur. Aujourd'hui on en fait quelque chose de sexy. Alors que l'image que j'en ai est plutôt de quelqu'un qui croupit dans une crypte. Murnau a représenté le plus beau vampire selon moi. Mais je ne voulais pas faire le même, je m'en suis détaché pour proposer une nouvelle forme ». Son comte des Carpates redevient donc bien un monstre, une créature maléfique et sanguinaire repoussante. Bess pousse également la fidélité jusqu'à recréer la forme originelle de l'oeuvre : il s'agissait d'un roman épistolaire polyphonique : on y trouvait des extraits du journal de Jonathan Harker, des lettres, des journaux de Jonathan Harker, de Mina, de van Helsing et du docteur Seward, du journal de bord du Déméter, de correspondances commerciales, de lettres échangées entre les protagonistes et de coupures de journaux. Toutes ces voix (parfois enchâssées) créaient une narration multiforme et énigmatique : le lecteur devait faire le lien entre des histoires apparemment juxtaposées et finalement mener l'enquête pour reconstituer le puzzle de l'histoire. Mais si Bess conserve des narrateurs multiples et des ruptures de constructions, contrairement à
Guido Crepax qui dans son «
Dracula » gardait une narration si complexe qu'elle en devenait confuse, il simplifie tout de même pour rendre lisible son récit en élaguant les récitatifs et le nombre de chapitres (16 au lieu de 27).
« le romantisme noir » de l'oeuvre est superbement recrée dans des planches en noir et blanc expressives à mi-chemin entre illustration (nombre de pleines pages voire de doubles pages ainsi que des encadrements pour marquer les ouvertures de chapitres) et bande dessinée. La mise en page est extrêmement innovante mariant les inserts, les superpositions, les « débordements »de case, la transformation des cases traditionnelles en sorte de nébuleuses dans les passages consacrés à l'aliéné Reinfeld et les changements de trames de fond (avec parfois des incrustations de photos). Chaque page est à couper le souffle dans ses contrastes, ses cadrages, ses effets de mouvements et la prolifération de détails. Enfin on notera des clins d'oeil à l'iconographie romantique : les eaux fortes d'Hugo, les palais de
Gustave Moreau, le « paysage montagneux : ruine dans une gorge » de Lessing ou « le rivage avec la lune cachée dans les nuages » de Friedrich.
Pour profiter pleinement de cette oeuvre magnifique je vous conseille d'ailleurs vivement d'acquérir l'édition de luxe (à prix très raisonnable). Elle est somptueuse et reprend le format des planches originales.