Je toquai à la porte de la maison. Un concierge vint m’ouvrir. Je m’enquis du domicile de Barthe. Il me répondit que c’était au troisième étage. Je montai l’escalier, suivi de mes témoins, et frappai le battant. Je demandai Barthe au laquais qui vint m’ouvrir. Celui-ci me répondit que son maître, qui ne se sentait pas bien, était descendu chez M. Solier, un médecin qui habitait au premier étage de la même maison. Nous redescendîmes tous trois, cognâmes chez ce M. Solier, qui nous ouvrit. Je me présentai et priai l’homme de nous conduire auprès de Barthe.
– Il n’y est point, nous dit le médecin. Mais que lui veut monsieur le marquis?
La surprise me fit bafouiller ; je parvins tant bien que mal à lui expliquer les raisons de ma visite.
– C’est qu’il doit y avoir un duel entre nous ce matin. Voici mes témoins ; je viens le chercher.
– Vous ne savez donc pas, monsieur le marquis, que M. Barthe est fou ? C’est moi qui le traite, et vous allez en voir la preuve.
Il y avait là, par un étrange concours de circonstances, des crocheteurs, prêts à intervenir. Il nous emboîtèrent le pas. Nous montâmes, frappâmes. Point de réponse. Solier fit ouvrir la porte. Le laquais à qui j’avais parlé à l’instant semblait s’être envolé, comme par magie. Nous visitâmes toutes les pièces du logis, trouvâmes la chambre, où il paraissait n’y avoir personne ; on chercha à nouveau dans tout l’appartement, bousculant livres et manuscrits couverts d’une écriture serrée. Au bout d’un moment, M. Solier, comme par hasard, regarda sous le lit et y découvrit son malade.
– Quel acte de démence plus décidé ! s’exclama-t-il.
On tira un Barthe plus mort que vif de dessous le lit ; il s’enfuit aussitôt. Les crocheteurs l’attrapèrent avant qu’ils ne fût allé bien loin et le fustigèrent avec vigueur, ainsi que l’esculape le leur demandait. Barthe hurlait affreusement. On apporta ensuite des seaux d’eau, dont on arrosa les plaies du pauvre diable. Puis on l’essuya, le recoucha. Je n’en croyais pas mes yeux, pas plus que mon beau-frère et M. de Bélâbre. Nous avions tous trois peine à envisager que ce que nous voyions fût vrai, mais nous ne pûmes disconvenir que ce poète fût vraiment fou : nous nous en fûmes à la fin, plaignant le sort de ce malheureux. Je remerciai le voisin de Caperan, ainsi que mon beau-frère, d’avoir fait le déplacement.