La poésie est comme un refuge pour nos incertitudes, un baume sur nos douleurs, elle dit si bien ce que nous ressentons au fond de nous.
Depuis peu, j'ai toujours un recueil de poèmes près de moi. Il m'accompagne, quelques jours, parfois un peu plus longtemps. Je l'ouvre lorsque j'ai peu de temps devant moi, je lis quelques pages puis je le repose, laissant les mots infuser et faire leur chemin dans mon esprit.
Je ne connaissais pas les ouvrages de
Christian Bobin et j'ai choisi «
La plus que vive » pour son titre mystérieux et poétique.
En lisant le résumé, je pensais que ce livre serait difficile, qu'il ne manquerait pas de me renvoyer à mes propres souvenirs, à mes propres émotions. Il a été une lecture émouvante, salutaire, mais loin d'être douloureuse et éprouvante. Ce livre a parlé à mon âme, à mon chagrin, au vide que je ressens en moi.
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Ce livre, d'une petite centaine de page, est une oeuvre intime, une déclaration d'amour que
Christian Bobin adresse à sa femme, Ghislaine, décédée brutalement à l'âge de 44 ans.
« … je me demande ce matin de quoi j'ai besoin, du silence peut-être, de ce silence comme du sable où viennent battre toutes paroles, toutes musiques, j'écris pour gagner ce silence, au lendemain de ta mort j'ai pensé que je n'écrirais plus, la mort nous rend souvent ainsi, la mort nous mène à des enfantillages, il y a quelque chose de puéril dans la mélancolie, on veut punir la vie parce qu'on estime qu'elle nous a punis, on est comme ces enfants qui boudent et bientôt ne savent plus sortir de leur bouderie, et puis très vite j'ai su qu'il me restait au moins un livre, au moins celui-là … »
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La plus que vive,
Des mots pour dire cette douleur qui étreint le coeur, emprisonne l'esprit.
Des mots pour dire cette absence qui paralyse, ce manque que comble la douleur.
Des mots pour dire cette solitude envahissante, ce vide intense et vertigineux.
« L'événement de ta mort a tout pulvérisé en moi.
Tout sauf le coeur.
Le coeur que tu m'as fait et que tu continues de me faire, de pétrir avec tes mains de disparue, d'apaiser avec ta voix de disparue, d'éclairer avec ton rire de disparue. »
La plus que vive,
Des mots pour dire cette vie qui palpite, vibre et se poursuit malgré tout.
Des mots pour continuer à vivre, pour donner envie de vivre.
« … je me dis que tu es là à deux mètres sous mes pieds, deux mètres ou trois, je ne sais plus, et je ne crois pas ce que je pense, et ça vient d'un seul coup, ça vient lorsque je me retourne, c'est là que je te vois, dans l'amplitude et l'ouvert du paysage, dans la beauté sans partage de la terre et du grand ciel, toi partout à l'horizon, c'est en tournant le dos à ta tombe que je te vois. »
La plus que vive,
Des mots pour se souvenir et repousser les ombres.
Des mots comme un requiem pour s'emplir de douceur et de beauté.
Des mots pour dire encore et encore, je t'aime.
« … j'écoute cette musique douce comme de l'eau, un requiem et pourtant la mort n'y parle que de la vie, à croire qu'il n'y a pas de mort, qu'il n'y a que la vie dans ses ondulations et ses robes changeantes… »
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La vie est comme un fleuve : elle suit son cours, inexorablement, inlassablement, avec ses éclats de rire ou de colère, ses moments de bonheur et de douceur, de tendresse ou de tristesse, de stupeur et de pleurs.
La vie a son rythme, parfois lent et apaisant, parfois rapide et démonté. Avec ses deux faces, elle façonne notre paysage intérieur.
Que serait la vie sans la mort ?
Christian Bobin choisit la vie, avec ses joies et ses douleurs. Il est comme un oiseau prenant son envol après s'être libéré de sa cage que sont le deuil et la mort.
Son écriture est cathartique, dévêtue des faux-semblants.
En écrivant, c'est aussi lui qu'il cherche.
« La grâce se paie toujours au prix fort. Une joie infinie ne va pas sans un courage également infini. Dans tes rires c'est ton courage que j'entendais – un amour de la vie si puissant que même la vie ne pouvait plus l'assombrir. »
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J'ai ressenti une sincérité et une justesse dans les remous de sa poésie, l'exigence de trouver le mot et l'émotion les plus justes.
« … j'ai compris qu'il fallait éviter comme la peste tout ce qu'on croit savoir à ce sujet, tous les mots convenus sur la douleur et la nécessité de revenir à une vie distraite, j'ai compris que, comme pour la vie, il ne fallait écouter absolument personne et ne parler d'une mort que comme on parle d'un amour, avec une voix douce, avec une voix folle, en ne choisissant que des mots faibles accordés à la singularité de cette mort-là, à la douceur de cet amour-là. »
L'image qui s'impose à moi pour définir ce livre est celle d'un mascaret, une vague montante qui se forme à la suite de l'affrontement de forces contraires. Dans l'opposition entre la vie et la mort, le visible et l'invisible, l'ombre et la lumière, l'auteur porte une attention particulière à la vie et à celle qui, inoubliable, continue à l'accompagner dans ses pensées.
Inaccessible, absente mais toujours là, dans les mots et les souvenirs. Sur les bords des chemins, dans les premiers flocons de neige ou le coeur des roses rouges.
« … tu ne verras plus jamais de neige, tu ne verras plus jamais de lilas, tu ne verras plus jamais de soleil, tu es devenue neige, lilas, soleil, j'étais triste et heureux de te retrouver là, dansante comme toujours entre ciel et terre, éparpillée en lumière blanche, si fraîche, si jeune, trois petits tours, quarante-quatre ans, deux airs de danse, neige, lilas, soleil et encre, je te retrouve partout toi qui n'es plus nulle part… »
J'ai aimé la sensibilité et la lucidité de
Christian Bobin, cette faculté de révéler, dans un flux d'émotions qui vont et viennent, l'amour dans le chagrin, la présence dans l'absence, la parole dans le silence, le plein dans le vide. Toute son écriture est une recherche de sens et la structure narrative fragmentaire du texte contribue à cet élan.
Ce que j'ai perçu dans ces mots refuges, dans cette écriture cicatrisante, ce sont ces ondes positives pour dire l'amour et le bonheur, le deuil mais aussi l'espoir. Ces lignes insufflent le courage d'aller vers l'avant.
En tournant la dernière page du livre, alors que je n'avais pas vraiment conscience d'être à un croisement de ma vie, j'ai eu le sentiment que l'auteur me montrait le chemin, son regard tourné vers l'horizon, tant sa poésie met des mots sur les maux les plus profonds, de la lumière sur les ombres de la vie.
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Le texte est empreint de délicatesse et sensibilité, de mélancolie et de nostalgie, de réflexions sur la fragilité de l'existence, sur la vie et la mort, le bonheur dans les petites choses et la liberté, le temps qui s'écoule et la mémoire.
Dans sa recherche de sens, il explore la beauté de la nature, la relation amoureuse. Il offre une vision touchante et intime de l'amour et de la perte. A travers des souvenirs et des anecdotes, il évoque sa rencontre avec Ghislaine, leur complicité, leur vie à deux, leur bonheur partagé.
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Pour conclure, j'ai aimé ces quelques jours passés en compagnie de
Christian Bobin.
«
La plus que vive » est une oeuvre contemplative, généreuse et porteuse de sens. Les mots sont comme une vague qui enfle, grossit, s'adoucit et s'apaise sur le rivage de la vie qui continue.
« Tu as cassé les vitres et depuis l'air s'y engouffre, le glacé, le brûlant, et toutes sortes de clartés. Tu étais celle-là, Ghislaine, tu l'es encore aujourd'hui, celle par qui le manque, la faille, la déchirure entrent en moi pour ma plus grande joie. C'est le trésor que tu me laisses : manque, faille, déchirure et joie. Un tel trésor est inépuisable. Il devrait me suffire pour aller de « maintenant » en « maintenant » jusqu'à l'heure de ma mort. »
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Merci Bernard pour m'avoir invitée à cette rencontre avec
Christian Bobin par ton beau billet.
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