BOILEAU-NARCEJAC est un des plus célèbres duos d'écrivains, comme
Erckmann-Chatrian, les Frères Goncourt ou Roux-Combaluzier (non, ces deux-là ne sont pas écrivains, c'était pour voir si vous suiviez, quoique d'une certaine manière ils élèvent le niveau).
Pierre Boileau (1906-1989) et
Thomas Narcejac (1908-1998), après avoir réussi séparément une brillante carrière d'auteurs policiers, ont écrit ensemble pendant quarante ans une des plus belles oeuvres du genre, au sens générique du terme : une quarantaine de romans bien ficelés (mais pas bâillonnés), dont plusieurs portés avec bonheur au cinéma (« Les Diaboliques », par
Henri-Georges Clouzot en 1955, « Sueurs froides » par
Alfred Hitchcock en 1958) auxquelles il faut ajouter une série très réussie de pastiches d'Arsène Lupin (de
Maurice Leblanc) ainsi que pour la jeunesse, les aventures de Sans-Atout, petits bijoux d'enquêtes « junior ».
Ne vous fiez pas au film de Clouzot (1956) pour juger le roman. le film est très réussi, certes, notamment grâce à ses interprètes (
Simone Signoret, Vera Clouzot,
Paul Meurisse, Charles Vanel… et Johnny Halliday, ou plutôt Jean-Philippe Smet, qui joue un collégien), mais, pour coller à son univers noir et pessimiste, le cinéaste a changé le lieu de l'action (un pensionnat de garçons) et surtout inversé le cours de l'action : dans le film, c'est un homme qui est assassiné et non pas une femme. Pour autant, le metteur en scène a maintenu l'atmosphère d'oppression dans laquelle baigne le roman, où se mêlent culpabilité, remords, inquiétude qui se meut en peur incontrôlée et en terreur.
L'histoire est banale au possible : c'est le trio infernal, le mari, la femme, la maîtresse. Trois pour un couple, ça en fait un en trop. Fernand le mari, et Lucienne la maîtresse, se débarrassent de Mireille l'épouse. Mais tu connais pas Mireille ? (coucou à
Marcel Amont, pour les moins jeunes d'entre vous), Mireille, on ne s'en débarrasse pas comme ça. Voilà la peur qui s'insinue, le doute, les suspicions, qui a fait quoi ? … jusqu'au coup de théâtre final !
Boileau et Narcejac n'ont pas leur pareil pour distiller une impression d'angoisse de plus en plus obsédante. «
Celle qui n'était plus » n'est pas seulement un roman policier, c'est un thriller psychologique qui vous maintient dans votre fauteuil vos bras crispés sur ceux du fauteuil (je ne veux pas savoir avec quoi vous tenez votre livre !) Pour le côté psychologique on pense à
Simenon (celui des « romans durs » plutôt que celui des « Maigret ») ou plus encore à des auteurs américains comme
Richard Matheson ou
Dan Simmons (mais c'est vrai qu'ils sont plus récents, ceux-là).
« Les Diaboliques » ce n'est pas divulgâcher que ce sont les auteurs,
Boileau et Narcejac, coupables de vous avoir bloqué (ou bloquée, c'est selon) chez vous pour finir ce bouquin, alors que vous aviez tant de choses à faire !
Mais comme vous ne le regrettez pas, au diable les états d'âme ! Si on passait au suivant : « D'entre les morts » (rebaptisé « Sueurs froides »)
Hitchcock en a fait « Vertigo », mais lui aussi a un peu changé le scénario…