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sur 658 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Un livre infini. Voila qui devrait parler à toute personne sur Babelio ! C'est lui, le livre de sable. On peut l'ouvrir autant de fois qu'on veut, le feuilleter, on ne retombera jamais sur la même page. Il n'a ni fin ni début, il est écrit dans une langue inconnue, orné de dessins mystérieux. Si on en devient le propriétaire, il peut vous fasciner au point de vous rendre fou. On peut rester là, à tourner des pages encore et encore, jusqu'à en oublier de manger, de dormir, jusqu'à en oublier son nom…

Il y a d'autres nouvelles dans ce recueil évidemment, mais aucune aussi forte que celle qui lui donne son nom, aucune d'aussi troublante. Quel est donc ce livre dans lequel on peut s'égarer ? Faut-il y voire une métaphore de la littérature ? Non. Borges n'est pas homme à utiliser de tels procédés. Rien ne se cache derrière le mystère, que le mystère lui-même. Combien de fois un film, une série, un film, nous entraine-t-il grâce au frisson de l'inconnu, au désir de comprendre, de savoir ! Et combien de fois ce désir ne débouche-t-il pas sur une déception…

Rien de tel ici. le mystère restera entier. le dernier propriétaire abandonnera le livre là où il est sûr de ne pas pouvoir le retrouver : dans une immense bibliothèque, sur un rayon au hasard.
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Vous avez dit Argentine ?
Je dis Borges.
Et naturellement le livre de sable (le sable, symbole du temps qui s'écoule).
Dans les treize nouvelles de cet ensemble, l'auteur met en scène deux personnes, et en premier l'affrontement entre un Borges vieillissant, un peu aveugle, et le Borges de vingt ans.
Ce dernier ne croit pas à ce qui lui arrive, se voir dans cinquante ans, car « la peur élémentaire de l'impossible qui apparaît pourtant comme certain l'effrayait. » Se voir, ayant perdu les illusions de la jeunesse, lié à ce double que le destin lui destine, c'est un peu dur à avaler.
Je viens de dire rencontre de deux personnes, mais dans la nouvelle « le Congrès », il s'agit de la rencontre de tous les représentants de toutes les nations, un peu comme une compilation de l'humanité, un peu comme le désir de réunir tous les livres dans une bibliothèque idéale, un peu comme le désir de représenter tous les archétypes de tous les penseurs. Un cosmos, une somme, qui peut se transformer en rien, par la mise à feu de tous les livres, qui procure une jouissance inattendue de tous les membres à les voir détruire.

Tout ou rien, cela semble égal, puisque le temps, réel ou rêvé, présent ou passé, infini et à la fois n'existant qu'au présent, rend futile la prétention même de le penser .Saint Augustin le premier a affirmé l'impossibilité de penser le temps, puisqu'il passe au moment où on le pense.
Dans un labyrinthe de pensées, de citations, Borges émet l'hypothèse que tout cela ne soit qu'un rêve, ou une utopie. Et justement, une des dernières rencontres a lieu entre l'auteur et un homme de quatre siècles plus vieux. Il décrit avec humour empreint de tristesse un monde où les livres n'ont plus de fonction vitale, ni l'argent, ni la publicité, ni le vol, puisque la possession n'existe plus, donc plus d'héritages, plus de gouvernement, plus de politique, et surtout plus de ces espèces d'invalides que l'on transporte dans de longs et bruyants véhicules, les anciens et inutiles hommes politiques ; finie aussi la peur de la mort liée aux précédents, mais, chut…

Utopie qui contrecarre, je l'espère sciemment, les mauvais augures de l'apocalypse et reste pourtant, comme la précédente, un miroir de l'imagination.

La mélancolie, liée au vieillissement et à la cécité grandissante de Borges, est liée au concept d'infini. Un livre infini, c'est un cauchemar, voilà sans doute pourquoi l'auteur nous convie à des unicités : celle des mots, car tous les mots rassemblés, avec but de former le poème absolu, l'ode après quoi plus rien ne peut être écrit consiste en un mot. Un mot, et tout est dit. le rêve de tout écrivain.
Comme Borges le note dans son épilogue, nous sommes loin de la Bibliothèque de Babel, écrit en 1941, imaginant un nombre infini de livres, par l'invention de « littératures séculaires » ne comportant qu'un seul mot. Mélancolie, donc :

« La vieillesse des hommes et le crépuscule, les rêves et la vie, le temps qui passe et l'eau. »

LC Thématique décembre : littérature étrangère
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Une fois, quand j'avais treize ans, j'ai loupé le bus pour rentrer de mon cours de guitare. Je suis alors entrée dans une librairie et avec mon petit porte-monnaie de collégienne pas très garni, j'ai choisi un mince livre intitulé "Histoire universelle de l'infamie", de Jorge Luis Borges. Le nom d'auteur ne me disait rien, mais j'ai bien aimé le titre. Et j'ai fait une révélation ! Le temps que l'autre bus arrive, j'étais dedans à fond. A l'époque, Poe était mon idole littéraire, et j'ai découvert dans ces courts écrits de Borges quelque chose de ressemblant, mais en plus épuré, plus universel et moins mélodramatique. Quelque chose qui ne donne pas seulement un frisson, mais un frisson doublé de réflexion. Je me souviens encore de ces petites histoires d'une érudition historico-fantastique; d'un miroir magique, d'un lépreux, d'une carte de royaume aussi grande que le royaume, d'une veuve pirate chinoise.....



Quelques décennies plus tard, me voilà devant ce petit "Livre de sable" du même auteur. Les histoires d'un fantastique moderne, où le fantastique est créé par l'atmosphère particulière de la narration. Les thèmes chers a Borges sont tous présents; l'histoire, la politique, l'alter ego, l'universalité et la synthèse de la connaissance humaine. Pas mal de traits autobiographiques, tout ça baignant par ci-par là dans la mythologie nordique savamment dosée. Les deux premières histoires ne m'ont pas particulièrement accrochée, mais j'ai retrouvé mes sensations d'autrefois à partir de la troisième, "Le congrès". Et c'était parti pour une petite tournée fantasmagorique jusqu'à "Le livre du sable", une histoire tout simplement parfaite. Peut-on rassembler toute la connaissance du monde et d'en extraire une quintessence; une sorte d'un "mot qui tue"? Est-ce seulement la peine, la connaissance étant tellement relative ? Que va t'on léguer à ceux qui viendront après nous ? Les thèmes qui méritent réflexion et que Borges façonne par sa plume en petits diamants littéraires bien ciselés.


Et je continue à penser que "Le masque de la Mort Rouge" est l'histoire le plus "borgesienne" de Poe !
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L'Histoire avec un grand H est présente sous des formes diverses : la vraie avec « Avelino Arredondo », la fantastique avec « Ulrica » (même si cela commence par « mon récit sera fidèle à la réalité »), ou bien celle de faux manuscrits avec « UNDR ».
Plusieurs nouvelles sont marquées par le thème de l'université, en particulier « Le stratagème » : texte d'universitaire avec une intrigue universitaire.
J'ai ressenti un certain post-modernisme dans ce recueil, avec de nombreuses références érudites (Beowulf, Burns, Hugo, Dostoïevski), mais aussi avec des descriptions étranges d'hérésies anciennes, voire des expériences mystiques modernes et mystérieuses.
À noter l'importance d'un objet en particulier dans l'atmosphère fantastique : disque, livre de sable, parfois mystérieux, voire monstrueux à la Lovecraft (« There are more things »).
Enfin, l'importance du bluff, celui de l'auteur qui s'amuse avec la réalité. En fait, on ne doute presque jamais du rêve. C'est d'ailleurs le dernier mot de l'auteur : « J'espère que ces notes hâtives que je viens de dicter [l'épilogue] n'épuiseront pas l'intérêt de ce livre et que les rêves qu'il contient continueront à se propager dans l'hospitalière imagination de ceux qui, en cet instant, le referment. »
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L'avantage, on s'en doutera, de ces volumes de la collection "Folio bilingue", est de lire le texte original sans la manutention du dictionnaire en cas de difficulté. C'est paresseux, inqualifiable, mais cela permet de ne pas perdre le fil de l'histoire, et de la lire en deux versions. Du reste l'espagnol de Borges est volontairement, traîtreusement simple, et ses malices, traits d'humour et facéties sont plus perceptibles dans la traduction (pour un Français qui n'a pas de l'espagnol une pratique constante). En d'autres cas, comme celui d'Alejo Carpentier (El acoso, Chasse à l'homme), la lecture de l'original est simplement trop difficile et l'édition bilingue vise des lecteurs d'un meilleur niveau.
La comparaison de ces deux auteurs permettrait de montrer la vanité de nos catégories littéraires : que signifie littérature sud-américaine, terme englobant en trois mots tout un continent, deux siècles au moins de création, et des tempéraments aussi opposés que celui de Borges, qui cultive la référence européenne érudite, et Carpentier, Cubain engagé ? De même, parler de "contes fantastiques" à propos de ceux de Borges risque de tromper le lecteur : aucune peur, même aucune inquiétude, aucun sentiment d'horreur, mais la mise en oeuvre d'une ironie constante, qui va du pastiche distancié de Lovecraft à des fables et apologues dont la moralité serait (s'il se permettait de la formuler) une question métaphysique. L'auteur avait déjà dit ailleurs, et le signale ici, que métaphysique, théologie et littérature fantastique ont beaucoup en commun : "Je me souviens d'avoir lu sans ennui, me répondit-il, deux contes fantastiques. Les Voyages du Capitaine Lemuel Gulliver, que beaucoup de gens tiennent pour véridiques, et la Somme Théologique." (p. 201) Ces contes sont de bizarres objets raffinés, des machines célibataires sans autre utilité que le plaisir de l'esprit.
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Jorge Luis BORGES, écrivain et poète argentin, a traversé le XXème siècle en laissant derrière lui une oeuvre d'un immense intérêt pour tout amateur de littératures de l'imaginaire, dont il était un fin connaisseur. Il a par exemple préfacé Ray BRADBURY et Olaf STAPLEDON, écrit sur Herbert George WELLS, publié des essais sur des thématiques proches de celles largement exploitées par la Science Fiction, écrit lui-même des récits fantastiques, certains en hommage à LOVECRAFT, sans oublier la prestigieuse Bibliothèque de Babel, qu'il créa, et dont il préfaça tous les volumes. Il n'est donc pas surprenant que BORGES ait écrit que « La littérature n'est qu'une branche de la littérature fantastique. »
Le livre de sable est une des oeuvres de Jorge Luis BORGES qui illustre parfaitement ce propos. Il s'agit d'un recueil de treize nouvelles représentatives de son style élégant et de ses thématiques de prédilection, développées de la manière la plus subtile qui soit.
1 - L'Autre (El Otro)
BORGES, septuagénaire, raconte une rencontre qu'il fait avec lui-même, jeune homme.
2 - Ulrica (Ulrica)
Une rencontre amoureuse aux résonances littéraires et mythologiques.
3 - le Congrès (El Congreso)
Une poignée d'hommes a l'ambitieux projet de synthétiser le genre humain par l'intermédiaire d'une société secrète.
4 - There are more things (There are more things)
Une nouvelle en hommage et à la manière de LOVECRAFT.
5 - La Secte des Trente (La Secta des los Treinta)
La description d'une hérésie antique telle qu'elle aurait pu se produire au moment du déclin de l'Empire romain.
6 - La Nuit des dons (La noche de los dones)
Le récit d'une nuit initiatique pendant laquelle un adolescent découvre les maisons closes et profite d'une leçon d'histoire de l'Argentine.
7 - le Miroir et le masque (El espejo y la mascara)
Un poète scandinave doit créer le poème ultime pour son roi. Il réussit après trois tentatives, ce qui provoque de terribles conséquences.
8 - Undr (Undr)
Dans un pays nordique, un poète est en quête de la poésie ultime, celle qui ne compte qu'un seul mot.
9 - Utopie d'un homme qui est fatigué (Utopia de un hombre que esta cansado)
Un voyageur égaré dans la pampa fait un bref séjour dans un futur lointain, quand l'humanité a dompté la sagesse.
10 - le Stratagème (El soborno)
Pour obtenir une promotion, un professeur de l'Université du Texas ne trouve rien de mieux que d'attaquer son supérieur hiérarchique par voie de presse.
11 - Avelino Arredondo (Avelino Arredondo)
Un jeune homme se coupe du monde pour que son plan d'assassinat politique atteigne la perfection.
12 - le Disque (El disco)
Un pauvre homme croise un roi déchu qui lui montre son trésor : un disque à une seule face…
13 - le Livre de sable (El libro de arena)
Un homme fait l'acquisition d'une Bible, un livre dont le nombre de pages est exactement infini et qui contient donc tous les livres.
On a ainsi une palette représentative des thématiques développées par BORGES dans son oeuvre : des rencontres singulières, souvent improbables, des objets symboliques à foison, l'infini versus l'unicité, l'opposition des espaces-temps, sans oublier l'hommage déclaré à LOVECRAFT dont il s'est souvent inspiré. Ces sujets sont exploités à l'aide d'une prose qui allie érudition et simplicité. Car à l'image de ses poètes qui recherchent la poésie ultime, celle qui ne comporte qu'un seul mot, Jorge Luis BORGES fait des économies de moyens, semble sans cesse en quête du mot juste, et ce pour exprimer des idées extrêmement profondes. C'est bien pourquoi il est un auteur majeur du XXème siècle et une source d'inspiration pour bien des auteurs spécialisés dans l'imaginaire.
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Comme beaucoup, je suis plus familier de Fictions – souvent relu - que du Livre de sable. Dans ce recueil tardif (1975), Borges montre moins de génie que dans Fictions (1956) mais fait preuve d'une maîtrise incomparable de la forme. On n'y trouve pas la logique perverse de la Loterie à Babylone, le vertige savant de la Bibliothèque d'Alexandrie ou la noirceur de Sud. En revanche son art du paradoxe et de la concision est achevé. Borges rédige onze de ses treize nouvelles à la première personne alors que les âges, les caractères, les lieux et les époques sont aussi divers qu'arbitraires. Il joue la précision d'un style froid, détaché et objectif quand il se moque de la vraisemblance. Et on le suit parce que chaque phrase est enrichie d'une idée, dans une perpétuelle fuite en avant.

On y trouve, principalement dans le congrès, le plus longue de ces nouvelles, le prodigieux mélange Borgien. L'accumulation monstrueuse des livres et leur destruction (p 52) ; les impressions brèves et impeccables (« Les enclos étaient empierrés ; le bétail nombreux, maigre et bien encorné ; les queues tourbillonnantes des chevaux touchaient le sol. Pour la première fois je connus la saveur qu'à la viande d'une bête fraichement abattue », p 42) ; les détails autobiographiques marqués d'ironie (« Un homme de lettres qui s'est consacré à l'étude des langues anciennes, comme si les modernes n'étaient pas suffisamment rudimentaires », p 28) ; le souvenir marqué de duplicité (« J'ai encore à la mémoire les deux aspects du domaine : celui que j'avais imaginé et celui que mes yeux contemplèrent enfin », p 41, « Les années passent, et j'ai si souvent raconté cette histoire que je ne sais plus très bien si c'est d'elle que je me souviens ou seulement des paroles avec lesquelles je la raconte », p 84) ; sans oublier la méchanceté « Il tirait vanité de choses diverses : du fait d'être uruguayen, d'être créole, d'attirer toutes les femmes , de s'habiller chez un tailleur très cher et, je ne saurai jamais pourquoi, d'être d'origine basque, alors que cette race en marge de l'histoire n'a jamais rien fait d'autre que de traire les vaches » p 38) ; et enfin la cruauté religieuse (« J'appris que depuis la fin de la dernière guerre, ce roi voyait d'un mauvais oeil les étrangers et qu'il avait l'habitude de les crucifier. Pour éviter un pareil sort, qui convient moins à un homme qu'à un Dieu, j'entrepris d'écrire une drapa, ou dithyrambe qui célébrait les victoires, la renommée et la magnanimité du roi », p 95).

Un Borges chimiquement pur.
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Borges est un auteur de nouvelles argentin, qui nous livre ici un recueil de treize nouvelles fantastiques, qui donnent à réfléchir. Leur lecture n'est pas aisée, leur compréhension encore moins, mais les messages que l'on pense interpréter sont remplis de bons sens et de réflexion. Je développerais ici seulement les quelques nouvelles qui m'ont le plus plût et qui délivrent les messages les plus forts.

La nouvelle qui ouvre ce récit est L'autre, dans laquelle l'auteur se met en scène sous la forme de deux personnages distincts, mais de même identité, qui se rencontrent dans deux temporalités différentes, à deux endroits différents. Ces deux personnes identiques servent de miroir, pour penser la rencontre de soi. Une nouvelle qui confond réalité (avec l'aspect autobiographique) et fiction (le fantastique de la rencontre), pour nous amener à aller à notre propre rencontre, à descendre au plus profond de soi pour apprendre à se connaître davantage. Une pratique qui rappelle clairement la descente de Thesée dans le labyrinthe pour aller à la rencontre du Minotaure. En descendant à la rencontre du Minotaure, Thesée va affronter une part de lui-même. La thématique du labyrinthe est d'ailleurs omniprésente dans les oeuvres de Borges (notamment dans son recueil Aleph, dans lequel le labyrinthe fait parti du titre). Une nouvelle à mettre en parallèle avec Utopie d'un homme fatigué, dans laquelle un homme de notre temps rencontre un homme du futur. Borges nous invite donc à faire l'expérience du questionnement de soi et du monde.

There are more things est sans doute la nouvelle de Borges que j'ai préféré. Son contenu est extrêmement dense, et nous donne à réfléchir sur de nombreuses choses. C'est sans équivoque une nouvelle fantastique, puisque l'auteur pose un cadre réaliste au récit (une maison tout ce qu'il y a de plus banal) tout en y incorporant des indices qui s'ancrent dans l'esprit du lecteur et qui doivent lui permettre de croire plus facilement au basculement vers le fantastique. le nouveau propriétaire de cette maison ne se montre pas, il a des horaires de travail étranges, on retrouve un cadavre de chien devant chez lui… tant d'éléments qui doivent monter en intensité pour nous faire croire que cette personne est en vérité un monstre. le plus fort, c'est que jamais rien n'est explicité, tout est suggéré. Ce « monstre » n'est jamais montré, pourtant tout le monde pense que c'est un monstre ; alors que c'est purement fantaisiste de croire que cela puisse exister dans un monde aussi réaliste que cela. C'est là toute la magie de l'écriture borgesienne, qui arrive à nous conduire vers des ailleurs insoupçonnés.

La nouvelle La nuit des dons se présente sous un récit simple, mais est beaucoup plus danse qu'il n'y paraît, puisque l'auteur nous invite à nous questionner sur le pouvoir de la parole narrative. Dans ce récit, on a une histoire qui est raconté à travers une autre histoire, on a donc un enchâssement des récits, qui va perturber les identités et brouiller l'esprit du lecteur. Qui parle réellement ? Quand ? On se perd dans l'immensité spatio-temporelle de la nouvelle, on ne sait plus si l'histoire contée est réelle, fantastique ou onirique. Cette nouvelle tend à nous faire prendre conscience que le langage a un potentiel créatif et qu'il peut aisément modifier la réalité, au profit de récits fantasques.

La nouvelle qui clôt ce recueil et lui donne son titre, le livre de sable, est sans doute l'une des nouvelles les plus complexes à appréhender du récit. Un homme reçoit un étrange livre, qui s'avère être un livre magique, puisqu'il ne contient ni début ni fin et est donc infini. Ce livre infini contient en réalité tous les livres du monde ; et comme le nombre de livres existant est énorme, il ne peut tous les contenir et les représenter et devient donc infini. L'homme n'a donc jamais accès à la totalité du monde et la représentation de ce monde est donc un échec. de plus, il me semble cette oeuvre, placée en dernière position du recueil, n'a pas été placée ici par hasard. En effet, on pourrait supposer que le livre de sable est une oeuvre testamentaire, qui fait prendre conscience que la vie n'est qu'éternelles recommencements, et que tout homme n'est que grain de sable dans cette grande humanité.

Ce qui intéresse donc pleinement Borges, c'est cette quête de soi, qui fait que l'on va aller à sa propre rencontre, à sa propre découverte, via le passage obligé du labyrinthe, tellement dépeint dans les oeuvres de l'auteur. le voyage confronte le personnage et le lecteur à lui-même : ses peurs, ses doutes, ses incertitudes. La lecture devient donc un voyage, dans lequel le lecteur se retrouve piéger et doit errer à la recherche de la quête de sens. C'est remarquablement écrit, et si bien pensé. Borges était un génie.

Entre réalisme et fantastique, réel et irréel, laissez-vous porter dans l'univers labyrinthique de Borges. Questionnements philosophiques assurés !
Lien : https://analire.wordpress.co..
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Après avoir lu Fictions fin 2022, j'ai souhaité relire le Livre de sable, que j'avais lu il y a une quinzaine d'années environ. Celui-ci a été écrit bien après Fictions et il est permis de penser que Borges, au sommet de son art, livre ici des nouvelles encore plus concises, éludant l'évidence pour aller à l'essentiel, convoquant le malaise ou le fantastique en quelques lignes. C'est probablement le cas, mais paradoxalement, cela m'a rendu ces nouvelles moins savoureuses, comme lorsqu'un cuisinier, épurant au maximum son bouillon du gras de la volaille, supprime du même geste le liant et la source de la saveur. J'ai donc préféré les nouvelles de Fictions, ce qui naturellement n'ôte rien à celles-ci, qui restent typiques du style de Borges, et de très grande qualité. Ma préférence est allée à Ulrica, le Stratagème, Utopie d'un homme qui est fatigué et bien sûr le Livre de sable.
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Parmi les treize nouvelles de ce recueil, celle qui me reste en mémoire est le livre de sable, celle qui a donné ce titre superbe.
Vous serez attiré, vous ne pourrez pas résister, vous allez conclure un pacte terrible, vous allez ouvrir un livre fantastique, infini, captivant, diabolique... A lire absolument, si, comme Borgès, vous n'avez pas peur du pouvoir des livres.
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