En mars 1941, le
capitainePaul Lemerle quitte le port de Marseille pour un voyage mouvementé. Il s'achèvera en juin de la même année. Il a à son bord des personnes de tout horizon, fuyant ce qui deviendra la deuxième guerre mondiale.
Des drames se jouent pour pouvoir accéder au bateau et avoir le tampon « VU A L'EMBARQUEMENT ». Certains n'auront pas la chance de monter à bord et de faire le voyage, comme les Espagnols, partant majoritairement pour le Mexique.
« les formalités avaient traîné en longueur, ça s'était agité en tout sens, le ton était vite monté, des cris et puis l'on avait compris : seuls les femmes, les vieux et les enfants seraient autorisés à embarquer, les hommes espagnols valides resteraient à quai. Ordre de la préfecture. Dans un souci de coopération et après la visite de Franco en février 41, un décret passé en catimini interdisait aux ressortissants espagnols adultes de sexe masculin de moins de quarante-huit ans de quitter le territoire, ainsi qu'aux émigrés « dangereux » et « possibles activistes antiallemands. » » (page 52).
Leurs destinations finales sont les Etats-Unis, l'Amérique latine ou le Mexique.
Ils vont être obligés de faire une escale en Martinique où ils apprendront ce que signifient d'être des pestiférés.
Certains auront la chance de rencontrer le couple Suzanne et
Aimé Césaire luttant avec leurs armes : l'écriture. Ils rédigent et publient une revue « Tropiques » avec quelques autres.
Extrait de cette revue :
« Où que nous regardions l'ombre gagne. L'un après l'autre, les foyers s'éteignent. le cercle d'ombre se resserre, parmi des cris d'hommes et des hurlements de fauves. Pourtant nous sommes de ceux qui disent non à l'ombre. Nous savons que le salut du monde dépend de nous aussi. Que la terre a besoin de n'importe lesquels d'entre ses fils. Les plus humbles. » (page 242).
Sur ce bateau, se côtoient donc des réprouvés de la France de Vichy, des immigrés de l'Est, des juifs, des apatrides ; des anonymes ou des destins illustres. Des écrivains comme
André Breton et
Anna Seghers, l'explorateur
Claude Levi-Strauss, le communiste
Victor Serge, le peintre Cubain Wilfredo Lam, la photographe allemande
Germaine Krull…
« Nous disons que l'Atlantique est pour notre civilisation ce qu'était la Méditerranée pour le monde antique, une mer intérieure. » (
Victor Serge, Carnets - page 23).
« Continuer à avancer de la seule manière valable qui soit : à travers les flammes. » (
André Breton, Martinique, charmeuse de serpents - page 193).
Adrien Bosc dans «
Capitaine » fait vivre aux lecteurs cette traversée avec moult détails du quotidien. Comment chacun essaie de vivre le mieux possible ce voyage.
« Les voyageurs ont tôt fait de comprendre le surnom du navire : Pôvre merle,….Hormis les cabines des membres de l'équipage, au nombre de quatre, les deux cent cinquante passagers découvraient stupéfiés des dortoirs aménagés au fond des deux cales. Une centaine de lits superposés construits à la va-vite par les ouvriers de la compagnie, …. C'était une cabane de bric et de broc, un enchevêtrement de couchettes de paille tassée, en seconde comme en première, d'ailleurs de classes il n'existait plus. » (pages 38-39).
«
Capitaine » est à la fois un reportage et de la littérature, du documentaire et de la fiction.
C'est tout un pan de notre histoire méconnue qu'
Adrien Bosc nous fait revivre. Il nous renvoie à notre propre réalité d'aujourd'hui. Les guerres, les génocides… sont toujours d'actualité. Et plus près de nous, géographiquement, le drame des migrants nous rappelle la douleur de partir, d'être considéré comme de la « viande », bonne à monnayer ou à exploiter. Ces migrants risquent, aussi, leur vie en traversant cette fois-ci la mer Méditerranée. L'ailleurs sera toujours mieux que ce que l'on quitte, même au péril de sa vie.
« Articuler historiquement le passé ne signifie pas le connaître « tel qu'il a été effectivement », mais bien plutôt devenir maître d'un souvenir tel qu'il brille à l'instant d'un péril. » (
Walter Benjamin, Thèses sur la philosophie de l'histoire - page 11).