— Le musicien est toujours suspect, dès qu’il a l'intention de se livrer à une introspection analytique.
— Je l'accorde, on a volontiers considéré la réflexion sous l'angle éthéré des spéculations « poétiques », position prudente, au demeurant.
— Elle a comme suprême avantage de rester dans le vague et de se bercer de quelques formules éprouvées. Les basses besognes techniques ne sont pas jugées dignes de figurer dans les salles d'apparat; elles doivent rester modestement à l'office, et l'on ne se prive pas de vous reprocher votre incongruité si l'envie vous prend d'adopter l'attitude contraire.
— De fait, il s'est produit quelques excès, avouez-le : l'on a réservé quelquefois plus de temps à l'office qu’il n'en faudrait consacrer ; on nous a montré les notes de gaz, d'électricité, que sais-je... Toutes les factures y sont passées, généreusement ! Cela ne résout pas davantage la question ! Qui pourra se targuer, d'ailleurs, de la résoudre jamais ?
Il me paraît [...] illusoire de vouloir obligatoirement rattacher toutes les structures générales d'une oeuvre à une même structure d'engendrement global, dont il serait nécessaire qu'elles découlent pour assurer cohésion et unité - aussi bien qu'unicité de l'oeuvre. Cette cohésion et cette unicité ne sauraient, à mes yeux, s'obtenir aussi mécaniquement ; je retrouve plutôt, dans le principe d'allégeance des structures à un pouvoir central, un recours aux "modèles" newtoniens, qui est en contradiction avec les développements de la pensée actuelle.
Un entretien entre Pierre Boulez et Philippe Albèra enregistré le samedi 8 décembre 2007 à la Cité de la musique.