« Y'a rien qui va. C'était mieux avant. »
Cette parodie de Cabrel chez les Guignols s'applique à chaque fois que l'on veut railler ce passéisme typiquement franchouillard. Fausse nostalgie, mémoire défaillante, regrets d'une jeunesse enfuie ?
Tout à la fois, sans doute.
Pourtant, tout n'est pas à jeter aux orties dans les us et coutume d'avant. Il y a peut-être même de quoi s'en inspirer.
Ce dictionnaire des métiers d'autrefois est une sacrée somme. On imagine le travail de fourmi fourni par
Gérard Boutet. Il recense, de A (Ardoisier) à Z (Zingueur) tous ces petits métiers qui ont, pour la plupart, laissé place à cette globalisation générale. Rien n'y manque. On y découvre même des métiers ultra spécialisés.
Un peu comme ces grandes surfaces démesurées que nous connaissons tous, véritable ville dans la ville (justement non : pas DANS la ville, mais à sa périphérie – afin d'augmenter le besoin de transports) qui seraient remplacées par une longue avenue avec, en guise de rayon, un vrai magasin indépendant et unique.
Au-delà du simple catalogue de ces métiers disséqués avec force exemples et témoignages, on découvre aussi l'étymologie de tous ces noms de famille qui découlent d'une activité (l'autre moitié provenant des lieux : amusez-vous à retrouver d'où vient votre patronyme) ou encore des recettes de cuisine !
On s'immerge dans un passé pas si lointain. L'auteur ne s'intéresse qu'aux travailleurs entre la moitié du XIXème siècle et 1970 - début de la mondialisation et effets sans retour d'un libéralisme exacerbé. Ainsi, ces détails il les puise la plupart du temps non pas dans les livres (qu'il a consulté, évidemment) mais surtout par le témoignage direct de (vieilles) personnes ayant connu cet âge d'or où l'artisanat vivait ses dernières années, concurrencé à outrance par la production de masse, indifférente et échangeable : un même objet pour tous ! Pire : avec Coca Cola et Mac Donald, on en vient à boire et manger pareil sur tout le globe...
Cette diversité du sur-mesure, cette spécificité jusqu'à l'excès permettait à chacun d'y trouver son graal. le client, d'abord. L'uniformisation et la dictature de la majorité a balayé cette originalité qui construit et renforce une personnalité propre.
Avec l'industrialisation, nous avons tué le concept de métier, sinistrement remplacé par celui de travail (mot provenant de cet instrument de torture au moyen-âge qui déformait si bien les os, du reste on retrouve son sens premier dans l'expression du « bois qui travaille » pour dire qu'il se... déforme). Ce tronçonnage des différentes étapes de fabrication (un menuisier fabrique une commode à partir de simples planches pour en créer l'objet qui n'attend plus que le verni final – une chaîne de production divisera le processus si bien que chaque travailleur ne s'occupera que d'une partie : répétition à l'infini du même geste, ennui, impossibilité d'être fier d'un travail qu'il ne verra jamais terminé, désimplication de son action sur l'objet...) sera la règle générale pour faire baisser les coûts. Futile argument, puisque cette production de masse s'accompagne d'un conditionnement à toujours consommer davantage, étayé par des hordes de publicités. Produire toujours plus, peu importe la qualité. Lorsqu'un objet est usé, le remplacer. J'aime assez à penser que le but ultime de ce système est, plutôt que de remplir le réservoir d'essence de sa voiture, la changer lorsque celui-ci est vide !
Nous pourrions avoir une autre relation aux objets qui nous entourent, leur redonnant leur âme. Les produire à échelle humaine, par des artisans aimant leur travail (la recherche et la passion du geste parfait), une satisfaction de l'objet terminé comme une armée de Geppeto désirant donner vie à ce qu'il fabrique.
Remplacer cette douzaine de multinationales qui produisent des millions de gadgets interchangeables par un autre paradigme : des millions de personnes produisant douze objets, de meilleure qualité, auquel on peut s'attacher. Pourquoi ne pas payer cinq fois, dix fois le prix d'un objet manufacturé si celui-ci a une vie de six à douze fois plus longue ? On y tiendrait davantage, on en prendrait soin.
Ce système qui n'a pas disparu (les paysans en bio ne font pas autre chose, les tailleurs de pierre, les petits éleveurs, les restaurateurs du patrimoine, le boulanger du coin, l'apiculteur...) peut, du jour au lendemain, remplacer le système globalisé où l'humain n'a plus sa place. Pas besoin de Révolution pour y parvenir. Même pas de soutien politique (même si ce serait mieux de privilégier la très petite entreprise). C'est juste à la portée de tous, à condition que le producteur (l'artisan) et le client (le consommateur) s'en donnent la peine.
Alors, oui, le système mettant l'humain au coeur de toute activité serait un premier pas vers un monde meilleur.