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Portant à travers le monde un regard toujours curieux et bienveillant, Nicolas Bouvier écrivit de merveilleux récits de voyage dont certaines pages étaient, sans vraiment le dire, de la poésie. "L'usage du monde", "Le Vide et le Plein" ou bien encore "Le poisson-scorpion" sont parmi ses récits les plus lus. Ce que l'on sait moins, c'est qu'il publia aussi "Le dehors et le dedans", unique livre de poésie en tant que tel qui s'articule en deux parties et regroupe des poèmes écrits entre 1953 et 1997.

Simple est cette poésie, comme simple est la vie des gens qui le touchent, qu'ils soient de Ceylan ou de Kyoto. "Le Dehors" est un partage, quelques souvenirs de voyage qui nous font pénétrer dans une échoppe à Lahore ou partir pour le cap Kyoga. Nous y croisons un menuisier arménien, un paysan japonais, des hommes dont Nicolas Bouvier souligne la noblesse.
Et puis il y a les poèmes du "Dedans", plus intérieurs, comme s'ils concentraient toutes les images, les impressions et les rencontres du passé. Ces poèmes magnifiques sont d'une gravité qui émeut. Ce sont ceux de la vieillesse à Genève. "Dans le corps le bruit du temps qui passe et qui délite..."
Il n'est alors plus question de voyages ou peut-être seulement du dernier voyage. Ainsi "Morte saison", écrit le 25 octobre 1997:

"Désormais c'est dans un autre ailleurs
qui ne dit pas son nom
dans d'autres souffles et d'autres plaines
qu'il te faudra
plus léger que boule de chardon
disparaître en silence
en retrouvant le vent des routes"

Six mois plus tard, le 17 février 1998, le vent emportait cet étonnant et infatigable voyageur, nous laissant à nous, lecteurs-rêveurs, l'intensité de son regard et la clarté de ses poèmes.

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Nicolas Bouvier est davantage connu pour ses récits de voyage. J'avais adoré L'usage du monde dans lequel celui-ci m'avait touché par son art du voyage, sans doute j'y avais puisé des ailes pour me donner envie de temps en temps de m'envoler.
Le dehors et le dedans : Poèmes est un recueil de poèmes que l'écrivain-voyageur a rédigé entre 1953 et 1977, au hasard de ses folles pérégrinations dans le monde.
La poésie de Nicolas Bouvier est vagabonde, aérienne, musicale. Elle dit l'immensité du monde, son intensité, ses blessures, les rencontres d'un voyageur éperdu, infatigable, qui se perd forcément en chemin...
Chaque mot est une saveur, une note, une ivresse...
Sa poésie est éprise du bruissement de la vie, des élytres d'insectes, un bordel près d'une gare, quelqu'un chante au loin, le grincement des roues d'une charrette sur le sol glacé, un poulet qu'on égorge dans une cour et des rires d'enfant tout autour.
Les rivages sont lointains, les Balkans, l'Azerbaïdjan, l'Afghanistan, l'Inde, Ceylan, le Japon,... Des villes suspendues à ces destinations s'offrent à nous : Solarpur, Lahore, Tabriz, Mahabad, Kyoto...
Chaque lieu traversé fait entendre sa voix, son âme. La clameur des villes, les grimaces des gamins dans une rue, les moulins à prières, les grandes feuilles de bananiers qui protègent du soleil et du vent, trois notes d'un shamisen, le rire d'une prostituée dans la nuit, l'odeur d'une soupe de navets ou de gâteaux parfumés au citron...
La poésie de Nicolas Bouvier n'est pas lisse, elle dit les aspérités du voyage, les incertitudes, les angoisses, la dysenterie, la nuit trop épaisse pour imaginer trouver une fissure et s'y engouffrer.
Et ce sont brusquement des enfants silencieux, qui travaillent ou bien iront dans peu de temps à la guerre, le rire de la prostituée devient un cri lointain aigu sous les coups de la maffia locale, le riz a gelé dans une grange qu'il faudra jeter demain.
Et l'on revient du voyage, peut-être autant démuni qu'avant le départ, mais en ayant cherché un peu le sens, sachant qu'il y a peut-être quelqu'un qui attend au bord du chemin.
Le récit est partagé presque de manière binaire : le dehors, s'attachant aux contrées lointaines et le dedans, celle des sentiers intérieurs ; deux parties séparées, couturées par la citation du poète tchèque Vladimir Holan « Voici le moment où le lac gèle à partir de ses rives et l'homme à partir de son coeur. », une citation à propos qui jette une passerelle entre ses deux parties, les faisant dès lors dialoguer entre elles.
Entre le dehors et le dedans, la frontière est parfois ténue, comme celle d'une fenêtre entre deux paysages, celui du monde, de sa beauté et de ses mystères et l'autre territoire peut-être aussi immense et encore plus impénétrable, celui de nos contrées intérieures.
Entre le dehors et le dedans, parfois il y a une fenêtre qui sépare deux visages.
Voyager au bastingage des mots, comme au-devant d'un rêve qui s'éloigne dans les frimas du matin...
C'est comme une porte qui bat dans le vent, quelqu'un a parfois la bonne idée de poser un pied dans l'entrebâillement, laisser entrer des rires d'enfants, le bruissement des essaims d'abeilles, le regard d'une femme, trois notes de clarinette... C'est peut-être cela, la poésie.
La poésie de Nicolas Bouvier me touche autant que ses récits. Elle ressemble à des photographies, elle est l'instantané des émotions. Elle laisse entendre les tourments du voyageur, de sa vie, la promesse du bonheur...
Pourquoi la poésie peut-elle dire autre chose que le récit d'un voyage ? Ou plutôt, comment ?
En quoi vient-elle faire alliance, dire les choses par d'autres chemins, dire l'indicible, donner sens ? Être une alchimie qui révèle autre chose...
Voir, sentir, toucher, faire l'amour, le corps seul qui se souvient plus tard, a peur, prend des coups au ventre, gémit... L'enveloppe corporelle est peut-être cette seule frontière qui nous relie au reste du monde. Elle est poreuse, incertaine, imaginaire, un territoire idéal pour convoquer la poésie...
La frontière entre le dehors et le dedans est parfois comme un déchirement, une vibration, une forme d'apesanteur, une respiration suspendue devant ce qui est étranger et ramène à l'intime, un écho entre deux mondes.
Il y a ici la fulgurance, les éblouissements que seule peut-être sait dire la poésie.
La poésie est un merveilleux antidote contre la solitude, le confinement et la mort.
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En flânant à la Librairie du Musée Branly- 18 mai 2023


Immense émotion que cette lecture imprévue !

"La poésie c'est quand un mot en rencontre un autre pour la première fois "

Comme un très grand nombre de personnes, j'ai une admiration et enthousiasme sans faille pour Nicolas Bouvier, tant pour son parcours singulier que pour la qualité de ses écrits....

J'avais été particulièrement happée, enchantée, captivée par son ouvrage , "Routes et déroutes".

Toutefois , je ne me souvenais pas de sa passion pour la poésie, même si il n'a publié que ce recueil paru la première fois en 1982, qui fut complété à quatre reprises et avec autant de rééditions....

Poèmes écrits entre 1953 (le départ en voyage avec son ami Thierry Vernet) et 1997 ( quatre mois avant sa mort)

Découverte totale... qui à la fois, m'éblouit et m'interroge... de par le grand nombre de poésies magnifiques mais fort sombres....A la fois flamboyance et noirceur du "voyageur fatigué", dans sa quête existentielle et dans ses observations du monde ainsi que le constat des souffrances des "peuples" rencontrés....des difficultés du quotidien, de la survie, parfois !

"Le Dedans ... le Dehors".... on saisit cette dualité . le Dehors: les poèmes inspirés par tous ses voyages... Et "Le Dedans", les poèmes d'amour ou des textes plus intimistes...plus tournés vers ses propres questionnements, quêtes ou tristesses, mélancolie, et toujours le dur métier de vivre !!...

Très heureuse d'avoir déniché ce recueil que je trouve, à tous égards, bouleversant ....

J'achève ce billet par un des poèmes que je préfère... plus lumineux...Un moment magique de musique qui réunit des inconnus dans un même moment de communion...

"Perdido street

Premiers froids
A l'angle de la 72nd et de Colombus avenue
Il joue du saxophone et bat ses semelles décollées
en suivant le rythme
Cheveux noirs, barbe blanche , sans âge
Le son est aussi beau qu'un velours très ancien
répercuté par la cage de ces maisons
de briques rouges

Les ménagères posent leurs filets pleins de maïs
ou de patates douces et écoutent
L'une se signe, une autre a les larmes qui perlent
Un livreur s'arrête, pose son vélo contre un acacia
et se met, les yeux fermés, à onduler
comme un cobra
J'ai retrouvé l'air qu'il joue : "Perdido street blues"
Le chapeau bosselé et crasseux qu'il a posé
devant lui se remplit de dollars
America ...!

Quand le vent lui chipe un billet, il pose
le pied dessus sans cesser de jouer
Les boutiquiers coréens , vietnamiens, portoricains
sont tous sur leur seuil pour ne rien perdre
de ce miracle
et se mettent à tortiller du cul
Ma jeunesse m'est revenue comme une gifle
Ma tête était devenue une ruche d'abeilles dorées
Suis resté là, longtemps, avec cette musique
qui emportait mon temps perdu
comme billes de bois flotté

New York, 1992 "
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Je pense être pour un temps (re) rentrée dans ma période "Poésie" et c'est encore une fois à la médiathèque dans laquelle je flâne de temps à autre, lorsque j'ai enfin un peu de temps pour moi, que je trouve mon bonheur (ou pas). Curieuse de nature, je suis sans cesse en quête de nouveaux auteurs, de nouvelles découvertes mais là, pour le coup, j'avoue avoir été déçue par cette dernière trouvaille. Certes, la poésie de Nicolas Bouvier est très belle, il nous emmène avec lui dans les quatre coins du monde lors de ses voyages mais j'ai trouvé que ses poèmes étaient trop tristes racontant bien trop souvent ce qui nous attend indubitablement tous à la fin de notre vie. Oui, il a raison de nous rappeler, à nous lecteurs, que la vie est bien trop courte, qu'il faut savourer chaque instant, voyager, s'évader et s'intéresser à tout ce que l'on ne connaît pas (encore) mais il n'empêche que...ouvrage bien trop sombre pour moi car dans la première partie, le poète se rend dans des pays marqués d'Histoire...et pas forcément celle que j'aspire, moi particulièrement, à découvrir ! Cependant, ce n'est qu'un simple avis et je vous invite tout de même à voir ce que vous ressentez, vous, après cette lecture. En ce qui me concerne, elle m'a mise plutôt mal à l'aise et m'a ramené le moral à zéro mais bon...sait-on jamais ce qu'il en sera pour vous !
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Le voyage est une inspiration majeure de la poésie et la poésie est une forme idéale pour dire le voyage.
Le voyage réel ou le voyage rêvé ... Rimbaud, Baudelaire, Cendrars, Michaux ... J'ai lu parallèlement le dehors et le dedans de Nicolas Bouvier, et Terre de diamant de Kenneth White*. Les deux voyageurs & poètes ont parcouru l'Occident et l'Orient, ils ont été inspiré par plusieurs cultures ; la leur, européenne et celles d'autres rivages, l'Inde bouddhiste, le Japon zen notamment ... Mais c'est ici que leurs chemins divergent (et que se termine ce préambule commun à ma lecture des deux recueils ;-).
J'ai découvert ici un Nicolas Bouvier poète qui, autrement qu'en prose narrative, nous dit le quotidien du voyage (ou du séjour « à l'étranger »). Il n'est pas béat de ce qu'il découvre, non, il nous fait aussi ressentir l'ennui du voyage, la bêtise des humains de partout ; du Japon, d'Inde ou de Suisse. Certains de ces poèmes sont comme sur le vif, et d'autres remontent à la surface de sa mémoire. « le dehors » c'est l'ailleurs, l'altérité, la lumière et le mouvement ; « le dedans » est plus sombre, c'est la solitude, l'ennui et le chagrin.
Un très beau recueil dans la lignée de ses meilleurs récits. Allez, salut, et bon voyage.
P.S. : *j'ai écris une note sur chacun de ces recueils sans chercher à faire de comparaisons - puisque, parait-il, comparaison n'est pas raison - J'ai pourtant une petite préférence pour l'un d'eux ;-)
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« Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » L'Usage du mondeNicolas Bouvier
« Avant de s'envoler pour Téhéran, F.H.B. s'est rendu sur la tombe de l'écrivain suisse, à Cologny. Sur sa pierre tombale, il a trouvé la reproduction d'une petite Topolino en fer-blanc et un galet poli sur lequel une main anonyme a écrit : « Et maintenant, Nicolas, enseigne-nous l'usage du ciel. »
Nicolas Bouvier est un écrivain, photographe, iconographe et voyageur suisse, né le 6 mars 1929 au Grand-Lancy et mort le 17 février 1998 à Genève. Dit un dictionnaire en ligne
Il n'a pas eu le Prix Nobel de Littérature
Son oeuvre littéraire a fait l'objet de thèses :
-Nicolas Bouvier ou la recherche d' »une habitation poétique » du monde
-Nicolas Bouvier ou l'usage du savoir : essai d'épistémocritique
Mais son âme n'est-elle pas dans ce poème ? du dehors

Fermeture du marché
« Un peu de couleur et d'élan
De beauté et de mystère
Vos airs battus, vos dos ronds
Et vos histoires à la con
J'en ai plus rien à faire… »
Dit la femme en brisant son verre
Puis elle sorti son mouchoir et pleura.

D'ordinaire, elle ne parle pas
Mais c'est l'idée qui l'a frappée comme ça
Devant son quart de bière
Que la même vie avec les mêmes
Pourrait être comme de la soie
Comme une musique continuelle
Comme si la vie… mon Dieu !

Déjà tous les yeux du café la regardent
Les cartes levées des joueurs
Retournent vers la table
Et chacun à sa propre mort
Déjà elle n'est plus bien certaine.

Sur nos écuelles, sur nos têtes rasées
Et sur nos droguets d'assassins
S'étend le ciel immuablement bleu
Parfois du coin de l'oeil on l'aperçoit
Puis on l'oublie


Bosnie 1974

Mais son âme n'est-elle pas dans ce poème ? du dedans
La dernière douane

Depuis que le silence
N'est plus le père de la musique
Depuis que la parole a fini d'avouer
Qu'elle ne nous conduit qu'au silence
Les gouttières pleurent
Il fait noir et il pleut

Dans l'oubli des noms et des souvenirs
Il reste quelque chose à dire
Entre cette pluie et Celle qu'on attend
Entre le sarcasme et le testament
Entre les trois coups de l'horloge
Et les deux battements du sang

Mais par où commencer
Depuis que le midi du pré
Refuse de dire pourquoi
Nous ne comprenons la simplicité
Que quand le coeur se brise

Genève, avril 1983


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Un très agréable moment avec Nicolas Bouvier que je ne savais pas poète. Un recueil de poèmes courts , simples mais très travaillés. Moi qui suis d'ordinaire hermétique à la poésie, je me suis laissée embarquer et même les poèmes du dedans m'ont semblé dépaysants.
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Je connaissais et admirais Nicolas Bouvier écrivain voyageur et photographe et voilà qu'à la lecture de ce recueil je le découvre poète . Rien d'étonnant quand on a un tel regard , une telle sensibilité et un rapport si juste avec les mots. Ces textes se divisent en deux grandes parties : « le dehors » poèmes écrits au fil de ses voyages ( et les noms seuls font rêver :Trébizonde,Tabriz,Mahabad,Lahore…), impressions glanées à tous les vents de l'aventure et imprégnés par un très japonais sentiment de l'impermanence . « le dedans » rassemble des textes souvent écrits en Suisse au soir de sa vie. Ceux-là sont fortement teintés de mélancolie , du sentiment de la perte ,de l'adieu à ce monde qu'il a tant aimé et célébré. C'est magnifique.
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Au dehors ou en dedans, une même invitation au voyage, la même envie de poser des mots sur des paysages, des visages, des pensées. C'est de loin l'oeuvre de Bouvier que je préfère!
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Limpidité d'une poésie simple, âmes des lieux traversés, impressions en couleur d'une vie errante, puis retour sur soi et chez soi, pensée de ce que l'on aime et de ce que l'on quitte. La poésie de Nicolas Bouvier photographie des instants qui deviennent éternité. Les sens y pêchent de quoi dire, une voix et une clarinette de sang, une nuit à la cuisine, un saxophone, une pomme volée. J'aime la poésie simple, juste quelques minutes d'esquisses pour bredouiller les temps forts d'une vie, juste quelques petits coins perdus pour dire l'immensité du monde, juste des mots pour dire tout.
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