Ce tome fait suite à Twice told (épisodes 5 à 8) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome de la série pour saisir la nature de l'héroïne principale et ce que ça implique pour ses relations avec les autres personnages. Il comprend les épisodes 9 à 12, initialement parus en 2016, tous écrits par
Cullen Bunn. L'épisode 9 est dessiné et encré par
Carla Speed McNeil, avec une mise en couleurs de
Jenn Manley Lee. Les épisodes 10 et 11 sont dessinés, encrés et mis en couleurs par
Tyler Crook. L'épisode 12 est dessiné, encré et mis en couleurs par
Hannah Christenson. Les 4 couvertures ont été réalisées par
Tyler Crook.
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- Épisode 9 - le train de nuit traverse Harrow County. Un itinérant saute du train en marche et se rapproche de la maison d'Emmy. Il s'arrête dans les bois et s'installe pour établir un feu de camp. Auparavant, il a attrapé un petit oiseau qu'il a tué et évidé pour en faire un appeau. L'enfant sans peau répond à cet appel, amenant avec lui sa peau qu'il a récupéré dans la chambre d'Emmy.
Après 8 épisodes,
Tyler Crook fait relâche pendant un mois et il laisse la place à
Carla Speed McNeil, pour assurer l'intérim, auteure complète de la série Finder et dessinatrice de la série No Mercy d'Alex de Campi.
Jenn Manley Lee se calque sur la technique de mise en couleurs de
Tyler Crook à l'aquarelle, en moins sophistiquée, pour habiller les dessins, transcrivant bien l'ambiance nocturne, les fluctuations de la lumière générée par le feu, et la présence des ténèbres dans les bois environnant la clairière. La complémentarité entre dessinatrice et responsable des couleurs s'apprécie en particulier lors de la fuite du garçon à travers les ronces, où les couleurs donnent de la texture à la chair et aux épines.
Comme
Tyler Crook,
Carla Speed McNeil dessine le visage des personnages de manière simplifiée, voire un peu naïve. Elle représente les différentes caractéristiques avec moins de détails, mais ce qui est cohérent avec le fait que le récit se passe de nuit, et donc qu'on en distingue moins. Les 8 premières pages sont dépourvues de dialogue, et elles se lisent sans difficulté d'interprétation. La dessinatrice réalise de belles images, que ce soit la locomotive passant juste sous les yeux du lecteur, ou l'étrange séquence au cours de laquelle l'étranger s'empare d'un oiseau pour le transformer en appeau, une idée scénaristique très dérangeante, avec une bonne valeur horrifique.
Cullen Bunn consacre cet épisode à introduire un nouveau personnage dont le lecteur devine qu'il n'apportera rien de bon dans la région ou à Emmy, et à étoffer un peu l'un des personnages les plus étranges de la série, à savoir le garçon sans peau. L'histoire se déroule sous la forme d'un soliloque de l'étranger à destination du garçon sans peau, pour capter son attention, éveiller sa curiosité et mieux le manipuler. le lecteur finit ainsi par apprendre le prénom du garçon sans nom, ainsi que son origine, ce qui révèle une information inattendue sur les autres individus de la communauté d'Harrow County, sans totalement lever le mystère du garçon sans peau. 4 étoiles pour un récit sympathique, mais un peu en deçà des épisodes réalisés par
Tyler Crook.
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- Épisodes 10 & 11 - le tonton Early a emmené son neveu Clinton cueillir des mûres dans les bois. Clinton repère un mocassin d'eau (une race de serpent). Early essaye de le tuer avec sa pelle mais il se fait mordre. Bernice est de retour au village de fortune des afro-américains, dans les bois, à l'écart de la ville, après avoir fait le chemin avec Emmy. Elle salue les différents habitants qu'elle croise, en remarquant l'étrange comportement d'oncle Early. La nuit tombée, Clinton vient la chercher parce que son tonton a disparu : il s'est enfoncé dans les bois en direction de la cabane de la sorcière
Lovey.
Le lecteur retrouve forcément avec plaisir le dessinateur original de la série, celui qui lui donne la majeure partie de sa saveur.
Tyler Crook n'a rien changé à sa façon de travailler : des tracés encrés, qu'il habille lui-même de couleurs, essentiellement à l'aquarelle. Les visages sont dessinés avec une faible quantité de traits, mais ils sont tous distincts et chacun montre l'âge du personnage, jeune ou vieux. Si les dessins ont une apparence simple, ils ne sont pas simplistes. le lecteur peut lire les émotions sur les visages et comprendre ressentir l'état d'esprit des personnages dans chaque case. Il éprouve de l'empathie pour chacun et côtoie des personnages complexes dans leur comportement. Les aquarelles rendent toujours aussi bien compte de l'impression des feuillages dans les bois, des ondulations de l'eau de la rivière, du faible éclairage dans la cabane de la sorcière.
La trame de l'intrigue de
Cullen Bunn est assez simple, avec une forme de retournement de situation dont le lecteur se doute. Il consacre ces 2 épisodes à développer le personnage de Bernice et à lui donner une stature plus importante. Il élargit un peu le cadre des 2 premiers tomes, en déplaçant l'intrigue dans un autre endroit, dans une autre partie du comté d'Harrow. le lecteur voit ainsi d'où vient le vendeur ambulant (Riah, le père de Bernice). Comme dans les tomes précédents, il utilise des stéréotypes de l'Amérique du dix-neuvième siècle (la petite communauté noire pauvre vivant dans des constructions de fortune, à l'écart de la ville des blancs), mais en y installant des individus différenciés qui eux ne sont pas des clichés. Ils doivent leur personnalité aux dessins, l'artiste prenant soin de leur donner des tenues différentes tout en restant cohérentes avec leur condition sociale et leur rôle dans la communauté. La direction d'acteurs et leur langage corporel est remarquable de justesse et de nuance.
Si la direction principale de l'intrigue est toute tracée, elle réserve plusieurs surprises quant aux réactions des uns et des autres, avec quelques éléments folkloriques que s'est appropriés
Cullen Bunn, avec une certaine élégance pour nourrir son récit, à commencer par la sorcière aux serpents. Il intègre un souvenir du grand-père de Bernice, quand il s'est retrouvé dans une rivière où évoluaient des mocassins d'eau et qu'il a aperçu la sorcière
Lovey pour la première fois. Cette séquence est à nouveau l'occasion pour
Tyler Crook d'enchanter le lecteur avec un petit bras de rivière accueillant, sans être idyllique, avec la progression charmante de 3 tortues sur un tronc d'arbres, sans tomber dans l'écologie édulcorée. À nouveau le lecteur éprouve l'impression d'être dans ce petit coin sauvage et tranquille.
Tyler Crook réalise des séquences de suspense et d'action tout aussi personnelle et travaillées. le lecteur reste esbaudi devant la double page d'ouverture de l'épisode 7 : des bocaux posés sur une étagère en bois, contenant chacun un serpent, tous dans une position différente. L'artiste rend la texture du verre et les inscriptions en relief, avec une dextérité discrète qui laisse le lecteur bouche bée devant une vision aussi consistante et saisissante, sans être de nature photoréaliste. le lecteur éprouve la même sensation que Bernice qui découvre ces bocaux, de la répulsion, une forme de fascination, ainsi qu'une curiosité irrépressible.
Ces 2 épisodes dégagent le même parfum de séduction que les 2 tomes précédents. le lecteur y retrouve tout le plaisir visuel de
Tyler Crook, alliant poésie bucolique, angoisse prenante, et personnages humains donnant envie de les connaître, de passer un moment avec eux. 5 étoiles.
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- Épisode 12 - Emmy intervient dans un hameau appelé Creech's Crossing pour essayer d'exorciser une maison hantée habitée par un couple, leur fils et leur fille Gertie.
Le choc visuel est rude.
Hannah Christenson dessine à grands traits fins rapides, et peu précis, aboutissant à des décors manquant de substance, à des personnages caricaturaux à l'apparence grossière. La mise en couleurs est conçue pour accentuer la nature et l'effet de chaque séquence, mais elle jure avec la délicatesse de celle de
Tyler Crook. le lecteur a l'impression de basculer d'une narration sophistiquée et sensible, à une narration à base de dessins exécutés à la va-vite. Il est vraisemblable que l'artiste s'y est fortement investie, mais l'écart entre les 2 provoquent une terrible déception chez le lecteur.
Cullen Bunn propose une histoire en 1 épisode, avec un lien ténu par le biais de la mention de Kammi. Cette histoire de fantômes a du mal à pallier la déception graphique, même si le caractère d'Emmy s'exprime dans toutes ses nuances. le lecteur aurait de loin préféré que les auteurs prennent le parti de suspendre la parution de la série pendant un mois ou deux le temps que
Tyler Crook puisse réaliser cet épisode, où qu'ils confient la partie graphique à un artiste avec une approche plus conventionnelle. 1 étoile.