Pour moi l'Etranger est le roman le plus extraordinaire de toute la littérature mondiale, par sa complexité, ses différents niveaux de lecture. Son mystère.
Comme on a beaucoup commenté sur l'Absurde, et le reste, je relèverai d'autres points moins exploités, qui me semblent pourtant importants
Ainsi dans sa préface à l'édition universitaire américaine de L'Etranger, l'auteur (bien que non croyant) écrit « Meursault est le seul Christ que nous méritons ».
Figure de Christ car Meursault accuse les coups, l'incompréhension de ses juges et de la foule qui le condamnent à mort, parce que le héros est menaçant, différent, inconcevable, irrécupérable. Meursault porte sa croix et trace son calvaire et pourtant il est innocent - même s'il a tué par maladresse.
Ses dernières pensées sont les derniers mots du Christ mourant sur la croix, quand Meursault dit « pour que tout soit consommé » - cela signifie qu'il faut qu'il meure sous la guillotine, maintenant que sa vie se trouve comme parachevée, maintenant qu'il a été jugé, condamné, tout comme le Christ, honni par la foule et même flagellé, à présent que notre héros a dit la vérité rien que la Vérité. Pour sauver sa vie il aurait pu mentir. Mais non.
On relèvera dans le roman l'onomastique qui est en lien avec la religion chrétienne :
Il y a « la fiancée » Marie, le prénom de la mère de Jésus, jeune fille simple et bonne, qui aime Meursault, plaide en sa faveur, le pleure, le réconforte en prison. Il faut se rappeler aussi que cette jeune fille dans le roman porte… le nom et le prénom de la grand mère maternelle d'
Albert Camus, à savoir Marie Cardona. Celle-ci mourut alors que le jeune Albert avait une dizaine d'années.
Il y a Céleste, prénom signifiant le ciel et son dérivé « divin », promesse pour les croyants d'une éternité, d'espoir de retrouver ses proches, et la passion connue de Camus pour la lumière et le soleil). Céleste est un brave homme et se montre toujours bienveillant envers Meursault.
Salamano ( le voisin qui regrette la disparition de son chien et parle en termes affectueux de la mère de Meursault, le réconforte de son deuil, lui trouve même un bon fond) est à rapprocher de « salam » qui signifie « la paix », et même de Soliman le Magnifique, connu pour son caractère épris de justice et de miséricorde.
On trouve aussi Emmanuel -
L Emmanuel c'est le nom de Jésus dans la Bible - un copain de travail de Meursault, qui lui prête sa cravate de deuil, et qui lui dit cette phrase qui prend des airs de truisme, mais qui, en fait, est tout emplie de vérité et de bonté : « on n'a qu'une mère ».
Ces personnes témoigneront en faveur de Meursault, lors du procès, mais leur déposition n'aura aucun poids.
Raymond Sintès - celui par qui indirectement le drame arrive, porte le nom de famille de la mère de Camus. La mère de l'écrivain est vue aussi comme un Christ - il la décrira ainsi plus tard dans des écrits. Dans le roman comme dans la vie réelle, ces femmes portent leur croix comme leur fils, l'une en étant muette et sourde, l'autre en regardant son fils dans la solitude en attendant de finir ses jours à l'asile et d'y trouver comme dernier réconfort un fiancé. Curieuse alliance, curieuse ressemblance, Camus n'a rien laissé au hasard.
Il y aurait encore beaucoup à dire, et il est probable que je viendrai rajouter d'autres points de détails prochainement.
Je voudrais néanmoins rappeler combien
Albert Camus a voulu ressusciter et immortaliser sa propre famille en l'immisçant dans un grand nombre de ses ouvrages et lors de ses propos publics —- et les spécialistes ou lecteurs qui ont pris le soin, la curiosité et l'intelligence de s'intéresser à ce génie littéraire que fut Camus, d'ailleurs critiqué actuellement par une frange d'individus qui ne recherchent que la démolition de notre culture et notre société —- ces personnes cultivées et honnêtes partageront mon avis.