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EAN : 9782849246597
52 pages
Editions du Cygne (04/06/2021)
4/5   1 notes
Résumé :
Dans ce livre où la parole, fuyante et brève, dit l’intime tout en nous projetant dans une dimension collective, Luigi Carotenuto évoque autant une mort réelle, celle du père, une mort symbolique, celle du fil, qu’une mort métaphysique, passage obligé pour renaître et entamer un lent cheminement vers le Moi véritable. En « habitué de l’absence », le poète écrit au bord du vide et laisse les pages s’emplir de silence. Ainsi ses mots se raréfient, se condensent dans... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Après avoir publié L'ami de la famille et Je vous emmène aux éditions Prova d'autore, – deux recueils entre dérision et humour désenchanté qui nous confrontaient à l'absurdité d'un monde où tout est futilité, leurre et fugacité – et Taccuino olandese, une prose poétique onirique parue dans la revue internationale de poésie italienne Gradiva, le poète Luigi Carotenuto nous propose un nouveau recueil dont le titre en allemand brouille les repères dès sa prise en main.

L'épigraphe, quant à elle, évoque l'architecture de la Russie de Pierre-le-Grand. Quel est, quels sont le(s) lieu(x) du poème ? On l'ignore, et peu importe : très vite on comprend que le lieu unique est l'hôpital et que tous les hôpitaux se ressemblent. Ce qui prédomine chez l'auteur, par ailleurs musicien, ce sont les sons. Ainsi Krankenhaus est plus que le titre d'une chanson1, c'est avant tout un signifiant qui, prononcé à voix haute, évoque la fêlure, la brisure, la rupture. Et c'est bien de cela dont il s'agit dans ce recueil qui s'ouvre sur l'image d'un os fracturé et se poursuit par la brisure d'une vie qui s'en va.

Unité du sujet, la mort, et unité de ton pour ces poèmes écrits dans des temporalités parallèles : un temps qui anticipe la mort du père comme pour mieux l'apprivoiser, un autre qui se souvient « déplacements continus du psychisme qui s'abandonne au vide ou le comble avec ce qui reste : la mémoire » écrit le poète Leonardo Barbera dans la préface.

Dubeouf 1
Luigi Carotenuto, Krankenhaus, Gattomerlino 2020, 42 pages, 10 €.

Deux temporalités qui sur le papier finissent par se confondre : tous les vers sont écrits au présent (présent de narration et présent réel) car l'hôpital « sature le temps », tout se concentre sur le présent, dans l'attente de l'inéluctable. le présent, c'est aussi l'abolition du temps, la possibilité de dire l'immuable au coeur même du changement.



Je suis incapable de dévotion.
Cependant, si tu veux, je peux trouver
tes défauts les meilleurs, ces qualités
présentables qui n'ont rien d'enviable.



C'est avec une tendre ironie que le poète fait face à l'indicible, à l'inconnu, à la mort et qu'il avoue avec humilité son impuissance face à la vieillesse et la souffrance :



Je ne peux te donner de leçons sur la façon de souffrir
avec grâce sur le fil du monde
c'est une affaire d'équilibriste
je titube depuis toujours.
Que puis-je t'offrir ?



Luigi Carotenuto reste fidèle à son style : aucune désespérance dans ce vécu qui, bien qu'intime, résonne en chacun de nous. Au coeur de la gravité il ne perd jamais de vue l'enfant qui est en lui. Pour supporter l'insupportable, il a recours au jeu. le mot lui-même est présent dans de nombreux vers chez ce poète qui dès l'enfance a « appris à jouer avec le feu/ au pied du volcan/ risquant chaque jour le destin d'Empédocle »2.

« L'homme véritable veut deux choses : le danger et le jeu. C'est pourquoi il veut la femme, le jouet le plus dangereux »3 disait Nietzche. le poète, lui, « titube » entre Eros et Thanatos « Je sens le désir, / la muette course des couleurs », « Je veux me nourrir de tout le visible » écrit-il au milieu de la violence de la douleur, de l'angoisse face à l'absence, à la perte prochaine, une souffrance qu'il exprime en revivant les jeux de son enfance, comme si, la partie achevée, tout pouvait à nouveau redevenir comme avant. « Déréalisation » transitoire créant une illusion de réalité que l'on peut s'approprier et maîtriser, le jeu n'est rien d'autre qu'un « scherzo », c'est-à-dire une plaisanterie :



Ton absence est une plaisanterie
de mauvais goût. Si nous jouons à cache-cache,
je me rends, j'ai fini de compter depuis longtemps.
C'est toi qui a gagné.



Plus loin, c'est à un jeu de cartes que le poète fait allusion :



Changer de jeu bouleverse tout.
C'est ainsi que tu veux abandonner la partie ?



et, ailleurs, c'est aux jeux-vidéo des bars où pour « rejouer » le passé, il suffirait de mettre un jeton dans la machine :



J'oubliais, distrait, que tu étais parti.
J'allais à la cuisine dans l'idée de te trouver affairé
et j'étais déçu comme un enfant
qui n'a plus de jetons.



Distanciation ironique et jeu fictionnel permettent d'alléger la vie, mais « il faut admettre que le jeu est toujours à même de se muer en quelque chose d'effrayant »5. Qu'importe, le poète sait bien qu'« il faut jouer pour devenir sérieux »5 mais aussi que « Dans tout homme véritable se cache un enfant : un enfant qui veut jouer.6 »

Les vingt-neuf poèmes, brefs et incisifs, sont numérotés, comme pour leur donner une place précise dans un temps qui se défait. On rencontre parfois un aphorisme formé d'un seul vers, le plus long poème ne dépasse pas dix vers, et c'est précisément de cette densité distillée avec légèreté dans le blanc des pages (blancheur qui évoque autant les murs de l'hôpital que le silence de l'absence, de la mort, de la douleur) que naissent l'intensité et la profondeur de l'écriture de Carotenuto, poète aux images fortes qui sait rendre concret l'impalpable en introduisant de la matérialité au sein même de l'immatériel :



J'ai mis des chaussures appropriées
pour supporter le choc de l'absence.



Une douleur vibrante qui résonne dans les assonances et allitérations lesquelles s'enrichissent, dans la traduction, de rimes intérieures : « L'hôpital […] applique les sutures/sature les couleurs, le temps. »

En peu de mots le lecteur comprend que la mort du père risque d'entraîner la mort symbolique de ce fils qui était son double, son reflet :

Peut-être est-ce moi ce petit point au fond du miroir ?



Un point, autrement dit presque rien. Une vie soudain réduite à l'incarnation d'une ombre. Mais si la mort du père est inévitable, on se prend à penser que celle du poète peut être sauvée par l'écriture. Georges Perros n'écrivait-il pas, dans Papiers collés : « Poème. Un homme est mourant. MOURANT. On le transporte à la clinique. On le sauve. le poème, c'est l'opération ». Mort symbolique donc, passage obligé pour renaître et entamer un lent cheminement vers son moi véritable.

On retient de ce nouveau recueil des images concrètes (on pourrait presque parler d'hyperréalisme) dans lesquels les objets usuels interfèrent et frappent de plein fouet pensées et émotions, des poèmes dans lesquels alternent le « Je » et le « Tu » pour un dialogue qui prend la forme d'une longue lettre poétique, hommage du poète à son père, hommage à ses racines, Catane, ville dont les derniers vers nous cachent la beauté ensevelie. Catane, métaphore d'un jardin secret…

À noter que Krankenhaus est paru cette année en version française aux éditions du Cygne accompagné d'autres poèmes de l'auteur sous le titre Krankenhaus suivi de Carnet hollandais et autres inédits.
Lien : https://www.recoursaupoeme.f..
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Nous recueillons la solitude dans la rue.
Nettoyée, habillée, nous l’emmenons en société : petite bête
inoffensive qui rarement attaque l’homme.
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J'ai mis des chaussures appropriées pour supporter le choc de l'absence.
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Video de Luigi Carotenuto (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Luigi Carotenuto
Lecture d'extraits de "Krankenhaus suivi de Carnet hollandais et autres inédits", éditions du Cygne 2021, par le poète Luigi Carotenuto et la traductrice Irène Dubœuf.
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