Emmanuel Carrère revient ici sur la vie de Jean-Claude Romand, cet homme qui prétendait être médecin et travailler à l'OMS, et qui a tué femme, enfants et parents, un week-end de janvier 1993. Ce drame, à l'époque, m'avait profondément touchée et interpellée. Très vite, des dizaines de questions surgissaient : comment peut-on tuer ses enfants, ses parents ? comment en arriver à cet acte ultime ? comment réussir à jouer double-jeu aussi longtemps ? comment l'entourage, voisins, amis, famille, a-t-il été à ce point trompé, aveuglé, berné ? Toutes ces questions donnent le tournis …
Dans ce monde où chacun fait semblant, quoi de plus tentant de prétendre être celui qu'il n'est pas … Partout il faut tricher, je crois, pour séduire la personne désirée, pour décrocher le job tant convoité, pour convaincre un client potentiel d'acheter, pour se faire des amis. Partout on se présente sous son meilleur jour, moyennant quelques petits arrangements avec la vérité, n'est-ce pas ? Et malheur à celui ou celle qui ne joue pas le jeu … Comme sa vie parait triste, pauvre, peu enviable, comme sa compagnie est pénible …
Dans ce monde où tout le monde fait confiance aux apparences, parfois de façon aveugle. Cela me rappelle un épisode de ma vie : je sortais d'un salon pour l'emploi et je croise un ami, oenologue, à l'entrée du salon professionnel des Grands Vins de Bordeaux qui se tenait dans un bâtiment tout proche. L'ami m'invite à le suivre, je refuse, lui avouant que je n'y connais rien en vin. Il insiste et finalement je me laisse convaincre. Je me suis retrouvée entourée de « spécialistes », oenologues, sommeliers, journalistes, conseillers, formateurs, restaurateurs, acheteurs, bref de toute une foule très sûre d'elle, … et personne ne m'a demandé ce que je pensais des vins qu'on goûtait (ouf …), ni où j'avais étudié l'oenologie, où je travaillais … Non tout était dans l'apparence. Il suffisait d'être bien habillé, soigné et de sourire. Il suffisait de paraître. C'est dingue quand même …
Certes la confiance est la base de toute relation sociale, car qu'en est-il de l'amitié, de l'amour, du commerce si on ne peut plus avoir confiance ? Qu'en est-il même de notre humanité ? Et je me mets à la place des amis de Romand, comment ne pas se sentir trahi ? comment encore construire une amitié après ça ? comment ne pas devenir parano ?
L'écriture d'
Emmanuel Carrère est journalistique, et c'est exactement l'approche appropriée, le ton juste selon moi. L'auteur relate les faits sans emphase, sans émotion, sans jugement. Libre à nous de nous faire notre propre opinion sur l'affaire, sur la personnalité de Romand. L'auteur lui ne donnera pas la sienne. de temps à autre, il met en parallèle sa vie d'auteur, de père de famille, avec celle de Romand, et cela donne le vertige, bien sûr. Carrère évoque aussi, en bon chrétien qu'il est, de pardon, de rédemption, de repentir, mais jamais il ne cherche des explications. D'ailleurs jusqu'au bout Romand reste une énigme … et c'est tant mieux, je pense.