Depuis quelques années, je lis systématiquement, à leur sortie, les livres d'
Emmanuel Carrère. Sur n'importe quel thème, il réussit à m'embarquer. J'aime sa façon de créer une intimité avec le lecteur. Quand il parle des autres, il n'est jamais bien loin, intervenant pour donner son point de vue ou raconter une anecdote sur sa propre vie. "
Le royaume" ne fait pas exception et si j'ai quelques réserves, elles n'ont pas gâché mon plaisir de lecture.
J'ai passé quinze jours sur ce pavé de plus de 600 pages. Je ne vous dirai pas que cela a été une lecture facile. le sujet est ardu. Parfois, il me fallait reposer l'ouvrage pour "digérer" ce que je venais de lire. Je n'ai pas une très grande culture religieuse et j'ai dû faire quelques recherches pour éclairer certains points qui me semblaient obscurs. Certains le restent encore. Pour bien faire, il faudrait que je le relise en entier, à la lumière que ce que j'ai appris depuis mais je ne m'en sens pas le courage. Si une version audio venait à sortir, en revanche, je me précipiterais pour l'écouter car je suis persuadée qu'une deuxième lecture m'apporterait autant que la première.
La première partie est totalement consacrée à un épisode qui a fortement marqué la vie d'
Emmanuel Carrère : les trois années durant lesquelles il a été un fervent adepte du christianisme. Et quand je dis fervent, je n'exagère pas. Il allait tous les jours à la messe et consacrait au moins une heure par jour à commenter les évangiles. Il évoque l'importance, dans son cheminement, de sa marraine, très croyante, qui lui a fait rencontrer celui qui est devenu son meilleur ami et avec lequel il a pu échanger longuement sur sa foi. Il s'interroge aujourd'hui sur ce qui l'a amené à la croyance : la dépression, le besoin de trouver refuge ? Il s'interroge sur ce qui porte des personnes à l'esprit cartésien à croire à quelque chose d'aussi invraisemblable que la résurrection, par exemple.
Cette première partie est la plus facile à lire. On est dans le ton des précédents ouvrages de Carrère avec les petites touches d'humour et d'autodérision qui le caractérisent. Un exemple : "Tout peut arriver, y compris que l'égocentrique et moqueur
Emmanuel Carrère se mette à parler de Jésus, avec cette bouche en cul-de-poule qu'on est obligé de faire pour émettre la seconde syllabe (essayez de dire zu autrement), et qui, même au temps de ma plus grande dévotion, m'a toujours rendu ce nom vaguement obscène à prononcer." Les passages où il illustre sa volonté de se conduire en chrétien, envers et contre tout, sont assez truculents. Je pense à l'épisode de la baby-sitter, pour ceux qui ont lu l'ouvrage.
Les trois autres parties sont consacrées aux débuts du christianisme. Je ne vais pas vous résumer les plus de six cent pages de l'ouvrage, c'est impossible et j'en serai bien incapable. Je vais tenter de vous livrer succinctement ce que j'en ai retenu. J'espère ne pas faire d'erreurs car je n'ai pas pris de notes durant ma lecture.
Dans la deuxième partie,
Emmanuel Carrère évoque longuement la communauté créée par l'apôtre Paul de Tarse. Paul ne faisait pas partie des premiers compagnons de Jésus. Ce dernier lui est apparu après sa résurrection, sur le chemin de Damas. Paul avait la particularité de convertir les "gentils"(non juifs) alors que, jusqu'ici, les apôtres ne s'adressaient qu'aux juifs. Paul disait à ses convertis que la fin du monde était imminente, que Jésus Christ reviendrait sur terre pour le jugement dernier, que tous y assisteraient. Les gens ont commencé à mourir autour de lui sans le que Christ ne réapparaisse mais les gens n'ont pas perdu leur foi pour autant. L'histoire du christianisme était en marche...
Dans la troisième partie nous est contée la vie de Luc, compagnon de route de Paul et l'un des plus grands évangélistes du nouveau testament. On sent qu'
Emmanuel Carrère a une certaine affection pour Luc, on pourrait même dire qu'il se montre assez complaisant vis-à-vis de lui, lui pardonnant ses petits arrangements avec l'histoire. Il le présente comme un romancier, plus que comme un croyant.
Dans la quatrième partie appelée l'enquête,
Emmanuel Carrère compare les différents évangiles, tente de se faire une idée de la personnalité de Jésus et surtout de ses disciples. Il tente de démêler le vraisemblable et ce qui ne l'est pas. J'ai trouvé sa démarche passionnante même si de temps en temps, il m'a perdu en route.
Tout au long de son roman,
Emmanuel Carrère réfléchit aux valeurs du Christianisme, à l'inversion des valeurs proposée par cette religion. Il cite notamment cette phrase : les premiers (sur terre) seront les derniers (devant dieu). Cette inversion des valeurs est parfois poussée à l'extrême. Il prend comme exemple la très injuste parabole du fils prodigue. L'écrivain réfléchit aussi à ce que serait un monde où l'on appliquerait à la lettre le message de Jésus. Il en conclut qu'un tel monde ne pourrait pas fonctionner mais il pense toutefois qu'il y a quelque chose à tirer de cette religion, un code de conduite toujours valable aujourd'hui. Sans être croyant, il adhère, d'une certaine façon à ce "royaume" évoqué par Jésus.
Ce qui m'a passionnée également, c'est le contexte historique, relaté par
Emmanuel Carrère avec une pédagogie un peu farfelue, parfois. Je dois avouer que certaines comparaisons avec notre époque m'ont agacée. Emmanuel n'est pas à un anachronisme près dans ce livre. Je vous ai dit au début de mon billet que j'avais quelques bémols à émettre. Je viens de vous en citer un mais celui que je placerai en tout premier concerne l'épisode érotique glissé par Emmanuel son récit et dont il aurait franchement pu se passer. Mais bon, je lui pardonne cet égarement .
Désolée pour la longueur de ce billet mais il y a tant à dire sur "
Le royaume".
Coup de coeur ou pas ? je ne n'en suis pas loin, assurément.
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