Dans ce livre très médiatisé de la rentrée littéraire 2020,
Emmanuel Carrère nous dévoile un morceau de sa vie et de son expérience méditative par le biais du
yoga, pratique qu'il exerce depuis une vingtaine d'années.
Faisant attention à sa respiration, il raconte pouvoir calmer ses vritti, de petits singes qui symbolisent notre agitation et notre épuisement en sautant perpétuellement de branche en branche. Ecoutant ce que réclame son corps, il nous parle aussi d'amour ou plutôt de sexe, assez crument d'ailleurs. Assis sur son zafu, ce fameux coussin japonais, spécialement conçu pour favoriser l'assise et la verticalité dans la méditation, il semble relativement serein. Il nous parle de spiritualité, de sagesse orientale, cite de nombreuses personnalités qui accompagnent sa réflexion comme son ami
Hervé Clerc sur le bouddhisme, l'essayiste
Matthieu Ricard devenu moine bouddhiste tibétain, ou encore le vieux maître birman S.N Goenka. Il relate son stage au centre de méditation Vipassana dans le Morvan. Il tente de répondre aux codes du lieu mais ne se prive pas d'un regard parfois critique. Il s'amuse des adeptes du mouvement, le professeur de lycée campeur, le naturiste, le végétarien, le jeune mec à dreadlocks et bonnet péruvien. Il avoue n'avoir jamais été « transporté », « rien qui soit de l'ordre de l'arrêt des pensées, de l'expérience du vide, de l'illumination ou de son pressentiment, de la lumière au fond du tunnel ».
Il vit sa propre expérience d'apprenti et non de maître. Il nous délivre ses propres définitions de la méditation et se demande si, durant ces dix jours de stage, cela sera « le méditant qui va observer l'écrivain ou l'écrivain qui va observer le méditant ? ». Et finalement il confesse, son problème à lui, n'est-ce pas celui d'un « nanti », n'est-ce-pas celui de son « égo encombrant et despotique dont il aspire à restreindre l'emprise » ?
Mais, le livre dévoile que les choses ne sont pas si simples et apaisées. A partir de sa deuxième partie, le roman va surtout devenir le réceptacle de la forte crise existentielle qui perturbe l'auteur.
Il couche alors sur le papier sa souffrance psychologique face à plusieurs événements tragiques de sa vie, face au diagnostic tardif des médecins quant à sa bipolarité. le roman devient presque insoutenable voire impudique lorsqu'il se remémore l'histoire tragique d'
un enfant totalement paralysé, emmuré dans son propre corps, histoire dont il a pris connaissance dans les journaux mais qui l'a profondément marqué. Il nous fait partager son très grand chagrin lorsqu'il relate les circonstances de la mort de son ami
Bernard Maris, tué dans le cadre de l'attentat de
Charlie Hebdo le 5 janvier 2015. Il décrit crument le corps ensanglanté. Il ne se remet pas non plus de la mort de son ami et éditeur depuis 35 ans, Paul Otchakovsky-Laurens, mort dans un accident de voiture. Ami qui s'était amusé de découvrir qu'
Emmanuel Carrère tapait à la machine avec un doigt et qui lui avait, du coup, conseillé une méthode dactylographique.
L'auteur se met à nu, partage sa dépression sévère, son internement de 4 mois dans un hôpital psychiatrique. On est loin du livre de développement personnel !
A la sortie de l'hôpital, il poursuit sa narration et raconte son choix de partir plusieurs mois sur l'ile de Leros en Grèce
où il décide de se mettre au service des migrants. Il y fera notamment la connaissance de Federica, « la bénévole idéale qui noie son chagrin d'amour dans l'altruisme » et qui écoute sans cesse la Polonaise héroïque de Chopin. Il rencontrera « les garçons », Hamid, Atiq, Hussein et Mohammed, de jeunes réfugiés que Federica a pris sous son aile. A ce moment là de sa vie, sa vision de la méditation est loin, très loin de la douce méditation du début « Si je devais n'en choisir qu'une de ces définitions, ce serait laquelle ? Aujourd'hui en ce début d'automne 2016 où je m'attarde à Leros sans plus de raison de partir que de rester, ma préférence va à : la méditation, c'est pisser quand on pisse et chier quand on chie ». Finie la subtilité…
Le livre oscille donc entre ténèbres et espoir avec une construction curieuse, une chronologie particulière. Ce roman est une autofiction et depuis sa parution l'on a appris que l'ex femme d'
Emmanuel Carrère aurait demandé à ce que des passages du roman soient retirés de la version définitive.
Dans ce double balancement, il fait un constat cinglant « L'essentiel qui est l'amour, m'aura manqué. J'ai été aimé,
oui, mais je n'ai pas su aimer – ou pas pu, c'est pareil ». Mais l'espoir revient dans les toutes dernières pages. A Majorque, l'histoire raconte qu'il rencontre une jeune femme, qui pratique non pas du
yoga solennel ou méditatif mais un
yoga pour faire de la gymnastique. Il tombe sous le charme et finit par dire qu'il est pleinement heureux d'être vivant.
Au final, c'est une appréciation en demi-teinte que je garde ce livre. Je reste un peu sur ma fin, même parfois presque dérangé par ce livre. Je n'ai pas été « télétransporté » pour reprendre un terme emprunté à la méditation. Pas de nirvana non plus, mais je garde la certitude qu'
Emmanuel Carrère est un vrai écrivain et que son univers et ses références sont très riches.
En terme de références, je finirai par celle de
Thomas Bernhard, ironique je trouve, qu'il cite vers la fin du livre « Ce n'est pas très compliqué d'écrire, il suffit d'incliner la tête et de laisser tomber tout ce qu'il y a dedans sur une feuille de papier ».
Mais ce n'est pas facile d'écrire, surtout quand il s'agit de « l'acte le plus important de sa vie ». C'est pourquoi
Emmanuel Carrère nous rappelle combien de fois il s'est identifié au héros de Shining qui dans le film de Kubrick répète à l'infini et jusqu'à la folie les mêmes mots sur sa machine à écrire.
Il nous dit alors « J'ai commencé à recopier et mettre bout à bout les fichiers à première vue disparates qui allaient composer ce livre que vous lisez ». Alors, narcissisme ou humilité ? A vous de le découvrir !