Quand on évoque les précurseurs de la forme romanesque, le nom de
Cervantes fait à coup sûr partie des tout premiers. L'Espagne peut donc s'enorgueillir d'avoir donné naissance au premier romancier moderne.
Et pourtant, quand on regarde la liste des lauréats espagnols du prix Nobel de littérature, on trouve d'abord deux dramaturges (José de Echegaray en 1904 et
Jacinto Benavente en 1922), puis deux poètes (
Juan Ramon Jimenez en 1956 et
Vicente Aleixandre en 1977). C'est donc finalement
Camilo José Cela qui fut le premier (et le seul si on exclut le Péruvien naturalisé ensuite espagnol
Vargas Llosa) romancier espagnol honoré par le Nobel de littérature.
A travers Cela, c'est sans doute tout le tremendisme que l'
Académie a voulu honorer en récompensant son précurseur. le tremendisme, ce mouvement littéraire espagnol né des souffrances de la guerre civile et utilisant le sexe, la violence et le drame pour dépeindre la société espagnole, souvent par le prisme de personnages déficients ou issus des milieux les plus défavorisés. L'exagération de certaines scènes peut faire penser d'ailleurs à
Cervantes ou aux littératures sud-américaines modernes qui sont un peu filles de ce mouvement.
Ce roman est d'ailleurs le premier de Cela et coche bien toutes les cases du mouvement littéraire. On remarquera également l'astuce du récit apparemment récupéré par hasard, retranscrit tel quel sans ajout, comme s'il s'agissait d'une confession réelle d'un homme arrivé au bout de sa vie et cherchant l'absolution auprès d'un notable de son village.
En s'adressant au destinataire de son témoignage, le personnage principal de Duarte prend à parti le lecteur et l'invite dans son récit de vie. Il cherche à lui expliquer en quoi cette famille, ce terreau où il a grandi, n'a pu que le mener où il finit. Les portes de sortie que le narrateur ouvre ne sont là que pour confirmer le destin inéluctable: il aurait pu devenir plus sage, plus raisonnable... si les leçons que toute sa vie lui a appris lui avaient été données à la naissance. C'est donc bien le pardon que le personnage vient nous demander, conscient que la confrontation avec Dieu est proche et que la violence ne lui permettra pas de se sortir de cette rencontre là.
Malgré toute la noirceur bien évidemment présente dans le récit, on ne peut s'empêcher de sourire à de nombreux moments de la naiveté de Duarte. Elle est admirablement rendue dans des phrases simples mais fortes à l'image de "Je voulais me calmer, parce que je me connaissais et que, d'homme à homme, il n'est pas bon de se disputer un fusil à la main, quand l'autre n'en a pas". Quel fatalisme ironique se cache dans cette phrase si prémonitoire quand on connait la suite de l'histoire.
Une vraie belle découverte que ce Nobel pour lequel une lecture d'un deuxième opus ne sera pas une contrainte mais un réel plaisir.