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sur 370 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Petit roman inachevé d'une centaine pages, paru en 1949, Casse-pipe n'en est pas moins très intéressant car il fait la jonction, dans l'oeuvre de Céline, entre Mort à crédit et le début du Voyage au bout de la nuit. Entrepris dès 1936, après Mort à crédit, il sera malheureusement délaissé au profit des pamphlets politiques et de Guignol's Band.

A la fin de Mort à crédit, l'oncle tente de dissuader Ferdinand de s'engager dans l'armée : « Mais le régiment mon petit pote !... mais c'est pas comme tu t'imagines !... C'est plus dur encore qu'un boulot !... Tu peux pas te rendre compte !... Surtout à ton âge !... Les autres, ils ont vingt et une piges ! c'est déjà un avantage. T'aurais pas la force de tenir… On te ramasserait à la cuiller… ». En vain, car Ferdinand – devenu Bardamu dans Voyage au bout de la nuit – s'est bel et bien engagé. Dès le début, pourtant, Bardamu regrette et voudrait bien s'en aller, « mais trop tard ! Ils avaient refermé la porte en douce derrière nous les civils. On était faits comme des rats ».

Casse-pipe raconte, de manière incomplète, l'engagement de Ferdinand dans un régiment de cavalerie (ici, le 17e cuirassiers), son incorporation et ses premiers pas dans cet univers à part, où les hommes évoquent des bêtes (« Les hommes tout autour, ils reniflent… Ils sont là en tas comme des bêtes… Ils attendent l'orage… ») et les chevaux des créatures effrayantes. S'ensuivent quelques scènes pathétiques et comiques, d'une escouade incapable de relever le soldat de faction à la poudrière, et qui attend dans l'écurie gardée par l'improbable et truculent soldat L'Arcille, le retour son chef le Meheu, qui a dû retourner au poste chercher le « boniment », l'indispensable mot de passe bêtement oublié.

En vrai, Louis-Ferdinand Destouches s'était engagé à 18 ans, en 1912, au 12e cuirassiers de Rambouillet. Pour trois ans. Casse-pipe est ainsi suivi du Carnet du cuirassier Destouches, qui rassemble cinq pages de notes intimes qu'il a jetées sur le papier en novembre et décembre 1913. On y découvre sa peine à s'acclimater à la vie militaire, sa tristesse « qui prend des proportions énormes », sa « mélancolie profonde », sa peur des chevaux et ses idées noires qui le poussent même à envisager l'extrême : « la désertion qui devenait la seule échappatoire de ce calvaire ». Fort heureusement, il n'a pas commis l'irréparable et il trouvera même en lui, par la suite, les ressources nécessaires pour devenir Maréchal des logis.

Mais qu'est-ce qui a pu pousser Louis-Ferdinand dans cette galère, lui l'anarchiste, le réfractaire ? La question est posée dans Casse-pipe mais la réponse est vite éludée : « Alors qu'est-ce que tu viens foutre au 17e cavalerie lourde ? Hein ? », lui demande le Maréchal des logis Rancotte. « Tu sais pas toi-même, merveilleux ? Y a plus rien à manger chez toi ? le four a chu ? » qu'il ajoute. Ferdinand « voyait qu'il fallait rien répondre ». Dommage ! Ça nous aurait un peu décollé la pulpe, à nous autres, pauv' becs de moule de bouquineurs ignares ! En fait, l'engagement dans l'armée n'est pas si absurde si l'on garde à l'esprit qu'en 1912, Louis-Ferdinand n'est pas devenu Céline : il est encore jeune, n'a pas perdu toutes ses illusions et, surtout, pas encore vécu la première guerre mondiale. Dans son milieu petit bourgeois, et anti-dreyfusard, l'armée était une institution respectée. Louis-Ferdinand étouffait et aspirait à une autre vie. Il se cherchait et a tenté l'armée. La guerre l'a rattrapé, en le marquant à jamais. En 1914, il sera blessé au combat et évacué à l'arrière. La guerre s'enlisera vite dans les tranchées, mais ce n'était déjà plus sa guerre. « Depuis 14, moi, je vacille », écrit-il dans Normance. « A vingt ans, je n'avais déjà plus que du passé. Les jeux étaient faits » (Voyage au bout de la nuit). La voie était désormais pavée pour Céline…

Casse-pipe, c'est du Céline pur jus. Court, mais consistant. A la fois drôle et dramatique, vrai et délirant. Avec son fameux style « rendu émotif » façon « métro sur rails profilés » qui ne s'arrête jamais (cf. Entretiens avec le Professeur Y), ses légendaires trois points de suspension en traverses sur le ballast, et des « écrabouillures », de la « féérie d'embrouillamini », de la « carambouille sorcière des choses » ou de l'« infini foutoir aux canailles », tout ça, en-veux-tu, en-voilà… Alors ça fait 4 étoiles Babelio, recta ! Pas mégoter, mon colon ! A vous de vous pencher et de lire, maintenant…

Ceux qui s'intéresseraient au quotidien des soldats au début du 20e siècle, sans avoir à subir le prisme littéraire et déformant de Céline, pourront dans la même veine regarder du côté de Léon Werth, anarchiste lui aussi (par exemple, Caserne 1900 ou Clavel soldat).

Post-scriptum : les cadors de Folio-Gallimard, ils auraient quand même pu se fendre en fin de livre d'un petit lexique des mots d'argot, vu que le fretin d'aujourd'hui, du village global et de l'ère électronique, gavé d'angliche, de sigles et d'abréviations, il est plus du tout au parfum de l'argot parigot, ni de la jactance des bidasses d'il y a un siècle ! C'eût été, comme on dit, fort apprécié.
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Dans quel autre contexte que celui de la guerre, de la puanteur, de la vulgarité et de ce qu'il y a de plus répugnant chez l'homme, Céline pourrait le mieux s'exprimer ? Bien peu à mon avis, et c'est bien dans ce contexte que ce court roman prend place.

Rarement Céline aura été aussi à l'aise pour nous mettre mal à l'aise, l'on sent la puanteur, l'étroitesse de l'environnement, le langage confus des ivrognes, l'on entend les gradés nous beugler dessus ; Céline a vraiment l'art de nous propulser dans l'univers qu'il nous dépeint, et celui-ci est peut-être l'un de ceux qui lui permettent le mieux d'exprimer son talent, jetez simplement un oeil à la citation que j'ai ajouté, et comprenez pourquoi il fait parti de mes auteurs favoris, à l'instar de beaucoup.
Il faut l'aimer, cet auteur, pour aimer ce livre, son style, il y est extrêmement poussé, mais sans doute est-ce sa brièveté qui l'empêche d'en faire un chef-d'oeuvre comme peuvent l'être le Voyage ou Mort à crédit, toujours est-il qu'il reste ma foi fort sympathique de retrouver cette verve et cette haine, aussi court soit le moment de leur appréciation.
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Ce récit bref et hallucinant de vie militaire est un morceau de choix de l'oeuvre célinienne.
Autobiographique, c'est l'arrivée du jeune engagé volontaire Destouches, , dans son régiment de cavalerie lourde.
C'est bref, âpre, il pleut, ça gueule et ça jure... le bleu est reçu, et comme il se doit! c'est du vécu et c'est très drôle, truculent, enlevé au son obsédant du galop d'un cheval échappé et à la litanie du mot de passe oublié.
Un grand moment, dans un petit livre.
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Pour découvrir Céline, je voulais lire ce court "roman" qui me paraissait être plus accessible aux néophytes... Je me dis que finalement, j'ai bien fait de ne pas commencer par celui-là car je l'ai trouvé quand même assez difficile à lire avec des termes argotiques dans tous les sens et des phrases complètements éclatées...
Ce qui est marrant chez Céline, c'est la présence constante de la crasse et de la crotte (là, c'est une accumulation fantastique de bouse) dans ses écrits. J'ai l'impression que ce livre est un condensé de ce que fait Céline.

Même s'il n'est pas au même niveau que ces précédentes oeuvres, j'ai bien aimé la façon que Céline décrit la vie des engagés. Elle est pitoyable. Elle est montrée sous son aspect le plus cru, le plus sale, le plus immonde. le ton est d'ailleurs lancé dès le début :

"L'ordre de route je l'avais dans la main... L'heure était dessus, écrite. le factionnaire de guérite il avait poussé lui-même le portillon avec sa crosse. Il avait prévenu l'intérieur - Brigadier ! C'est l'engagé ! - Qu'il entre ce con là !"

Certains passages sont hilarants (encore faut-il être réceptif à l'humour "cracra", moi j'y suis complètement). Qu'est ce que j'ai pu me bidonner avec le pétomane "Le Croach Yves"...
Et d'autres sont magnifiques, surtout quand Céline parle des chevaux qui les frôlent dans la nuit. On y perçoit bien le respect et la terreur qu'inspire cet animal à Céline. On dirait des animaux tout droit sortis à la fois de l'Enfer et du Paradis. Ils paraissent à certains moments, irréels !

Un extrait que j'ai adoré (je crois bien qu'on ne peut pas parler de Céline sans y mettre un seul foutu passage) :

"Encore un cheval qui débouche au triple galop... Il fonce... il nous double ventre à terre... Un bolide... Tagadam ! Tagadam ! Tout blanc qu'il était celui -ci... à folle cadence poulopant... la queue toute raide, en comète, toute solide à la vitesse... Il a presque emporté le falot... soufflé au passage... Tagadam ! Tagadam ! Et que je te redouble..".

Le petit plus : le Carnet du Cuirassier Destouches (quelque peu prophétique...) à la fin du livre qui nous montre un Céline touchant, un Céline encore tout jeune, complètement dépassé par la guerre, en pleine désillusion.
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« Casse-pipe », dès le titre du livre, la notion de risque de mort et de guerre transparait. En effet, Céline nous entraîne, dans un roman ?, dans un document ? Il restera à chacun de se faire son opinion…

Engagé volontaire en septembre 1912, pour 3 ans, dans le 12e régiment de cuirassiers ; il en tirera ce livre, qui relate son arrivée et son incorporation dans ce régiment…

Dès l'incipit, Ferdinand arrive de nuit au poste de garde de son futur détachement. Et vont commencer les brimades verbales « Dis donc la bleusaille, c'est pas bon ça, le tour du chat noir ! Chat crevé ! Chat crevé ! Tu jouis pas des pompes ? Tu l'aimes pas le quartier la Trémouille ? » et physiques « On attendait nous que ça se termine, on se tenait bien raides sous la pluie. » …!

Suivi par quelques pages intimes du carnet du cuirassier Destouches, qui relatent, entre autres : « …façonné à la triste vie que nous menons,… », « …et je commençais sérieusement à envisager la désertion qui devenait la seule échappatoire de ce calvaire. » et bien sûr l'inadéquation des cuirassiers lourds contre les mitrailleuses…

Un moment de logorrhées que les anciens combattants ont pu connaître…Un style d'écriture où l'usage des points d'exclamation, de suspension et un florilège ininterrompu de mots d'argot. Un document truculent, moins bien connu que « Voyage au bout de la nuit », qui mérite un, « garde-à-vous, mes gaillards ! Non mais, lisez-moi !… »

Lien : https://bookslaurent.home.bl..
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Comme il l'avait déjà fait pour "Le voyage au bout de la nuit" et "Mort à crédit", Jacques Tardi illustre magnifiquement ce texte de Céline, c'est peu dire que le style de l'illustrateur s'accorde avec celui de l'écrivain : à chaque fois deux chefs d'oeuvre pour le prix d'un !
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Un fragment de la vie d'un bleu engagé volontaire dans la cavalerie lourde à l'aube de la guerre 14-18. Bien qu'un peu familier de l'oeuvre de Céline, le jargon militaire combiné à l'argot cher à l'auteur rend quelques demi-pages parfois difficilement intelligibles. Mais c'est bien du Céline, ça envoie et c'est bon, même si c'est très (trop) court.
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Son premier ouvrage, une oeuvre autobiographique où l'auteur décrit les premiers pas dans l'institution militaire que ceux qui l'ont fréquenté apprécieront dans le côté burlesque, les tâches de la vie de caserne, les premiers pas dans les godillots.
Etonnant parcours que celui de ce cuirassier aux multiples vocations. Qu'allait-il chercher sous l'uniforme en 1912 alors que l'ombre des sacrifiés de Reichshoffen hantait encore les esprits. Pensait-il qu'il fallait-être là en avance, juste avant ce qui allait se passer et auquel personne ne croyait si ce n'est la corporation des marchands de canons. Devancer l'appel comme on disait dans le temps, à l'époque de la conscription pour ne rien rater du massacre qui se préparait. Il voulait être aux premières loges de la « grande boucherie », celle qui laissa sur son passage des nuées de croix blanches ou noires.
Le style célinien en est à ses prémisses mais le réservoir de mots bizarres est déjà bien présent. Il les a en lui. Ils forment déjà la mine de ce qu'il conviendra d'appeler plus tard, un cas singulier dans la littérature car la mort ne voudra pas de lui et lui laissera le temps de marquer de sa jactance l'avenir.
Expressions loufoques en tous genres. Langage de racaille…plus tard. Ici, le choc culturel est brutal. Il confronte le cuirassier Destouches issu de la banlieue de Courbevoie aux paysans bretons ou d'autres pauvres bougres, enfants d'autres provinces reculées. C'est le langage de cette France qui ne tardera pas à ensanglanter nos sillons où plus rien ne pourra pousser durant des siècles. Casse-pipe, un titre prédestiné, l'amuse-gueule avant le repas pantagruélique sur le no man's land de nos illusions.
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Court, mais intense. Du grand Céline en pleine verve, toujours prêt à retranscrire les petits et les grands vices et parfois les quelques vertus de l'humanité.


Toute l'action se situe dans une caserne militaire, alors quiconque avec une opinion un tant soi peu antimilitariste se payera de bonnes tranches de rire. La lâcheté, la bêtise, le vin et l'autoritarisme risible sont présents de long en large. Céline laisse quelques places à des élans de solidarité, toutefois. Ils émanent d'une bande de trouffions que vient de rejoindre le narrateur, fraichement engagé de son état. Uniquement composé de bretons, dépeints comme des hommes bourrus et abattus par la vinasse ; mais au grand coeur, malgré leur petites lâchetés.


Tout le reste est une immense pantalonnade, un gros bras d'honneur dressé à l'encontre des institutions militaires par l'auteur. Mais il faudrait alors imaginer ce geste insultant exécuté de la manière la plus raffinée, la plus littéraire qui soit.
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