Embarquer dans le
Voyage au bout de la nuit est une expérience unique. Immense roman de l'indicible et qui pourtant dit tout. Exploration du fond de l'âme qui nous renvoie au visage nos déséspoirs, nos lâchetés, nos abandons. Manifeste pessimiste, abysse de solitude qui fascine grâce au talent et à la clairvoyance de son auteur. Et puis c'est drôle, ça grince, et puis on aime nous les Français la regarder en face la terrible condition humaine.
Accrochés aux souliers de Bardamu comme on entre en galère, on traverse les continents sans bien savoir si on court après une illusion perdue ou si l'on fuit un désastre.
La
guerre est une peste qui infiltre les esprits et marque au fer rouge le pauvre Ferdinand. Lui ne demande qu'à être un lâche, bien vivant. Il vomit l'héroïsme ambiant, abandon stupide au front et aveuglement abjecte à l'arrière. Ensuite, elle le pourchasse la
guerre, toujours.
L'Afrique est un abime, une fièvre qui s'étale dans la crasse et la moiteur. Sans compassion, en quelques paragraphes, on abat le colonialisme, les rêves de fortune et la dignité.
Puis c'est l'Amérique, le monde moderne, l'avenir, la richesse à fleur de trottoirs, “la ville debout”. Et là encore la solitude et la misère. Mais en pire, parce s'y ajoute le mépris et l'indifférence. Après le colonialisme c'est le capitalisme qui nous écrase de sa lourdeur impitoyable.
On revient en France. Pourquoi continuer à ramper ailleurs que chez soi ? Bardamu il devient médecin, comme Céline, sans qu'on sache trop ce qui lui a pris. Il s'installe en Banlieue et après le monde c'est le cerveau des humains qu'il se met à disséquer. Et c'est pas beau ce qu'il en sort. Comptables de l'ennui, monstre égoïstes, assassins rongés par leurs désirs, partout de grands lâches qui s'accrochent à leur toute petites planches de survie.
Pourquoi est-on partagé entre le dégout et cette drôle de sensation que Céline nous révèle ce qu'il y a au fond de nous sans que l'on ose y regarder ?
Et puis il ya ce regard de côté, on est à la bonne distance. Dans la poisse et au dessus la mêlée. L'invention de cette langue qui empoigne son lecteur et l'accompagne quand il referme le livre. On serre les dents, on imagine, on pense et on sourit, souvent.