La nuit de Céline est une insomnie. Elle est longue comme la guerre, froide comme la peur et brulante comme l'exploitation, dans les colonies ou à l'usine. Elle est sale comme un amour tarifé, elle se brise comme une mauvaise amitié. On la traverse, au milieu des autres ou du chaos, mais toujours seul. Elle pose son ombre partout, sur les murs de gratte-ciels astiqués comme au milieu de la brousse ravagée, dans les bordels, les ateliers et les sous-sols des universités. La nuit de Céline est une fausse vie : qu'on y joue ou qu'on y bosse, qu'on y rit, pleure, jouisse, nul n'y rencontre jamais le bonheur authentique, nul n'y trouve la réponse au sens de l'existence. La nuit de Céline est hantée d'êtres hypnotisés qui confondent les rêves qu'on leur sert, à boire ou à manger, à lire autant qu'à visionner, avec la réalité : tout devient fumée… de cigarettes… de cheminées. La nuit de Céline est un cauchemar, qu'on nous éclaire par quelques veilleuses de néons grossiers, rythmé par des contes à dormir debout. On s'y perd, plus qu'on s'y trouve. Mille dangers guettent les éveillés : des pièges savamment posés pour ceux qui refusent de se coucher. Pour les autres, les somnambules, la nuit de Céline est un errement sans fin… jusqu'au trépas. Suicidé, assassiné, décédé, égaré à tout jamais… la belle affaire : cette nuit n'était qu'absurdité, inutilité… folie organisée.
La nuit de Céline n'a pas d'aurore, elle a tout pour déprimer. Et pourtant : Céline y jette une pluie d'étoiles en mots de toutes beautés, qui l'éclaire d'un feu brillant, stupéfiant ; qui à lui seul, nous redonnerait presque l'espoir. (D)écrire le
voyage au bout de la nuit fut un combat, oui, mais aussi un appel à la fraternité, à une réelle humanité : « tout devient plaisir dès que l'on a pour but d'être seulement bien ensemble, parce qu'alors on dirait qu'on est enfin libres. On oublie sa vie, c'est-à-dire les choses du pognon. »