Emmanuel Chastellière est un auteur français pour qui j'ai une affection toute particulière de par son parcours. Alors quand il a annoncé une fantasy dans l'univers antique de la famille Barca où l'on suivrait non pas le célèbre Hannibal mais sa femme
Himilce, le projet m'a de suite intéressée et je me suis jetée sur le roman à sa sortie chez Argyll en juin.
Pour qui aime la fantasy historique, à la Gemmell ou à la
Guy Gavriel Kay, Emmanuel se pose en digne successeur ici. Ayant fourni un travail de documentation solide et pertinent, il fait totalement revivre la Carthage de 200 ans avant notre ère à travers le récit d'une femme éprise de liberté qu'on a essayé d'enchaîner et qui a tout fait pour en réchapper.
Avant même de commencer ma lecture, grâce aux petits réels imaginés par Emmanuel (lien) pour nous initier à la Carthage antique, j'avais déjà commencé à m'imprégner avec bonheur de l'époque, me rappelant ainsi avec délice mes cours de fac. Ainsi dès les premières pages, la plongée en 218 avant notre ère fut totale. Il faut dire que l'auteur a une plume à la fois simple et riche qui permet de totalement saisir et englober une époque pour la faire revivre devant nos yeux et nous y immerger comme si on y était. L'air de rien, au fil de son récit, sans que cela face "lâchage d'informations", il insère dans celui-ci énormément d'éléments du contexte de la vie de tous les jours du peuple carthaginois d'autrefois, notamment de ses croyances, ce qui est passionnant !
Emmanuel s'est en plus totalement glissé dans le courant actuel qui vise à faire revivre les femmes oubliées de notre Histoire. Il aurait pu, comme nombre de ses prédécesseurs, utiliser la figure connue et épique d'Hannibal,
Mihachi Kagano l'a fait dans le manga Ad Astra il y a quelques années. Mais non, lui, a fait le choix plus courageux pour moi d'invoquer la figure méconnue de sa femme
Himilce et ainsi de nous conter ce qu'il se passait à l'arrière tandis que la guerre contre Rome faisait rage. J'ai trouvé cela bien plus passionnant, car une nouvelle fois, très peu conté auparavant.
Ainsi même si nous ne sommes pas dans de la fantasy historique épique à la Gemmell, même si nous ne sommes pas dans de la fantasy historique à se faire de noeuds au cerveau comme avec Gavriel Kay, j'ai trouvé que l'auteur empruntait merveilleusement aux deux. J'ai retrouvé du Gemmell, je venais de lire Troie quelques jours plus tôt, dans sa façon non de nous conter la guerre mais la vie complexe à Carthage qui se déroulait en parallèle, l'auteur faisant le même pas de côté dans Troie. J'ai retrouvé du Gavriel Kay dans sa manière, certes plus simple mais quand même, de dépeindre les relations entre membres de la famille Barca et élite de Carthage et des environs, pour tisser une toile explosive.
Le ton manque parfois peut-être de dynamisme, nous somme sur une narrative plutôt tranquille, avec de rares moments de tension et d'accélération, mais ce qui rend la lecture si immersive et entêtante, je trouve. On est dans une sorte d'ambiance pesante, parfois poisseuse, où on sent que la moindre étincelle pourrait mettre le feu aux poudres. Je pense que cela clivera le lectorat car tout le monde n'aimera pas, certains cherchant peut-être une histoire plus explosive, mais moi j'ai beaucoup aimé cette tension constante.
De plus, le fait de faire porter le récit par
Himilce, princesse Ibère, étrangère à Carthage permet d'avoir un regard extérieur sur cette civilisation fort intrigante.
Himilce, c'est nous, mais ce n'est pas un personnage badass anachronique, juste une femme de cette époque, une femme pleine de nuances. Elle découvre ce monde, ses coutumes, ses moeurs, ses rouages et elle s'ébroue tel une jument rétive malgré le joug qu'on essaie de lui passer. J'ai beaucoup aimé la force tranquille de cette femme, ses combats, ses convictions, ses avancées, emportées de luttes âpres. La première action qu'elle commet (un avortement) est quelque chose très puissant et l'auteur le raconte de manière intime et touchante. Elle ne s'arrête jamais dans ses combats, cherchant sa place au milieu des méandres politiques de la famille Barca, ignorant ceux-ci dès qu'elle peut, pour proposer ses propres projets, comme cette école que j'aurais aimé voir fonctionner.
Himilce est une femme de combats, non politiques, mais humains et c'est ce que j'ai aimé chez elle. Elle choisira elle-même la trace qu'elle veut laisser.
Emmanuel Chastellière a vraiment su écrire un beau portrait de femme dans l'ensemble de ses nuances et ses facettes, de ses aspirations à ses déceptions, de ses sentiments perdus à ses sentiments retrouvés. Les rapports qu'il décrit avec sa belle-famille sont typiques d'alors et pourtant universels, son rapport au mariage et au couple également avec ses multiples nuances dues à ce mariage politique, ce mariage forcé et l'amour qu'elle trouvera ailleurs, autrement. Ainsi même la romance tragique qu'il lui réserve a quelque chose d'universel et shakespearien à la fois qui m'a totalement emportée et a failli prendre un bout de mon coeur lorsqu'elle s'est dénouée.
Véritable roman historique,
Himilce m'a encore fait découvrir une nouvelle facette de la riche production d'Emmanuel. Entre récit de femme et récit du peuple, il permet de participer à cette nouvelle écriture de l'Histoire qui ne favorise pas que les grands hommes et les grands moments, mais fait revivre également une époque et ses habitants. Soigneusement documenté, soigneusement écrit et mis en scène, c'est une nouvelle histoire comme celles de Boudicca, de Circé, des femmes de Troie chez
Pat Barker, des Culottées où on redonne leur place à des femmes dans
L Histoire et la littérature avec des récits tragiques et profondément humains. Merci Emmanuel pour ce nouvel apport.
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