Le 30 juin dernier, j'avais rencontré
Emmanuel Chastellière lors de sa dédicace organisée par la Librairie Omerveilles à Grenoble. Après avoir eu un coup de coeur pour le recueil de nouvelles
Célestopol mais beaucoup moins aimé le roman YA de
Poussière Fantôme, je finis l'année avec un troisième opus de l'auteur :
L'empire du léopard. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'année se termine en beauté car ce roman s'est révélé être un second coup de coeur!
En 1870, le Royaume de Coronado a colonisé une grande partie de la Lune d'Or, un territoire qui se trouve au-delà de la Grande Mer et qui promettait de grandes sources de richesse aux nouveaux venus. Malheureusement, déception et désillusion commencent rapidement à se faire sentir : en effet, les terres du littoral autour de la ville neuve Carthagène ne sont pas vraiment exploitables ; quant aux petits territoires récemment soumis, un mouvement de rébellion, le Condor crée un sentiment d'insécurité et d'instabilité parmi les colons. Et comme si cela ne suffisait pas, le pouvoir central au Royaume du Coronado se désintéresse peu à peu du sort de la nouvelle colonie.
Un seul royaume au-delà des montagnes,
l'Empire du léopard, reste encore hors de portée et cristallise les rêves de gloire et de grandeur. Lorsque le vice-roi de la Lune d'Or, Philomé, reçoit une proposition de mariage de la part de
l'Empire du léopard, il y voit là l'occasion non seulement de pacifier les relations entre colons et peuples de la Lune d'Or mais aussi d'asseoir l'autorité du Coronado. Avec le 22ème régiment dirigé par le colonel Orkatz surnommée la Salamandre et un groupe de mercenaires mené par le cousin du Roi du Coronado, Cortellan, il décide de traverser la jungle en train pour se rendre vers le mystérieux Empire du léopard.
Le moins que l'on puisse dire avec ce one–shot de plus de 600 pages, c'est que je suis sortie de mes sentiers battus et sa plus grande force réside dans un univers très développé, bien construit et original. En effet, selon les arguments de notre Dieu égyptien, le roman appartient au genre de la Gunpowder Fantasy, ce qui est une grande première pour moi. Imaginez donc un univers inspiré de la colonisation espagnole de l'Amérique du Sud au XVIème siècle avec lequel cohabiterait le développement technologique et sociétal du XIXème siècle de l'Amérique du Nord. Et ce qui est très drôle et surprenant, c'est la façon dont l'auteur a joué sur mes certitudes et mon imaginaire : au début du roman, je me figurais donc un contexte proche du XVIème siècle avec des Conquistadors, leurs armes, leur caravelle et leur caraque, etc… et ces certitudes ont été rapidement chamboulées par l'apparition d'éléments du XIXème siècle comme la présence de lignes de chemin de fer, d'appareils photographiques ou de bâteaux à vapeur comme on pourrait se l'imaginer en Amérique du Nord.
J'ai également pu lire à de nombreuses reprises dans la blogosphère que les deux premières parties étaient un peu trop émaillées de longueurs au goûts de certains lecteurs. Pour ma part, cela n'a pas du tout été le cas : peut-être, est-ce le fait que je m'y attendais, mais surtout, j'ai apprécié que l'auteur pose son récit en l'agrémentant de tous ces petits détails. Cela participe au développement de l'univers et la scène de la coiffure souvent citée en exemple m'a permis de m'immerger dans le récit de manière vivante.
Quant à
l'Empire du léopard,
Emmanuel Chastellière sait créer l'attente : comme les soldats du 22ème régiment, il me tardait de découvrir la mystérieuse capitale de Tichgu et d'arpenter ses rues, à la découverte de ses richesses architecturale et artistique. Là encore, l'auteur a fait preuve d'inventivité en ce qui concerne cette civilisation en mélangeant des éléments connus de notre monde. Ainsi,
l'Empire du léopard a emprunté à la civilisation mésopotamienne grâce à la présence de ziggourat (bâtiment religieux constitué de plusieurs terrasses surplombées par un temple), la civilisation égyptienne (l'imposition du culte du soleil par l'empereur qui fait référence au Pharaon Akhénaton ou les relations incestueuses entre frères et soeurs pour maintenir la « pureté » du sang) et la civilisation tibétaine avec une ville entourée de montagnes.
J'ai également beaucoup apprécié les personnages : si j'ai pu lire par ailleurs que les autres blogueurs ont eu un peu de mal à s'attacher immédiatement à Cérès Orkatz, cela n'a pas été le cas pour moi. Au contraire, elle est un personnage fort, compétent, sur qui on peut compter et qui sait ce qu'elle veut. Mes deux autres personnages préférés sont également le vice-roi Philomé (un idéaliste qui accepte la proposition de mariage par devoir mais surtout en vue d'améliorer la situation sur la Lune d'Or) et le petit-fils de l'alchimiste, Alario (curieux de nature, il m'a fait penser aux naturalistes du XIXème siècle qui s'embarquaient vers de lointaines contrées pour étudier comme
Charles Darwin).
Enfin, je terminerai sur la composition du récit : si
Emmanuel Chastellière prend le temps de poser ce dernier dans les deux premières parties en l'agrémentant de détails qui ont facilité l'immersion dans la lecture, la troisième reste ma préférée grâce à la présence d'un rythme plus soutenu, de rebondissements et de cliffhangers. En revanche, j'ai été déçue par la dernière partie. En effet, elle verse peu à peu dans la Dark Fantasy ce qui m'a décontenancé. Les détails crus et violents de scènes de torture ou de combat n'étaient pas vraiment pour moi. Quant à la scène finale au sommet de la ziggourat pour laquelle je ne peux développer sans spoiler était un peu trop stéréotypée à mon goût, notamment par la présence de dialogues de style « Je suis ta mort » (p. 598) ou « Retourne dans les ténèbres d'où tu viens » (p. 599). Cela ressemblait un peu trop au combat final de blockbusters américains. Dommage.
En conclusion, bien que j'ai été déçue par la fin de la quatrième partie, cela n'enlève rien au fait que j'ai eu un énorme coup de coeur pour
L'empire du léopard. Son univers construit et original, la psychologie travaillée des personnages, son écriture fluide et immersive et un récit haletant m'ont complètement convaincu.
L'Empire du léopard est donc l'une de mes lectures les plus marquantes de 2018. C'est donc avec une certaine impatience qu'il me tarde de découvrir la suite du recueil de nouvelles,
Célestopol à paraître en 2019.
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