Pour son nouveau roman,
Emmanuel Chastellière a choisi de réinvestir et d'étoffer l'univers créé dans l'un de ses précédents ouvrages, sorti il y a maintenant deux ans. Nous sommes ici vingt cinq ans après les événements relatés dans «
L'empire du léopard », dont l'action se situait dans la péninsule de la Lune d'or, un territoire découvert et conquis il y a peu par le lointain royaume du Coronado. Les combats opposant les nouveaux arrivants aux autochtones se sont soldés par la défaite de ces derniers, désormais plus divisés que jamais et disséminés sur tout le territoire sur lequel se sont implantés de nombreux colons venus du Coronado pour tenter leur chance et faire fortune. Car même si la péninsule ne regorge pas des richesses promises, son étendue permet au moins aux plus ambitieux ou au plus aventuriers de se tailler une part du lion grâce à l'octroi de terres, spoliées aux indigènes et reconverties en grands domaines consacrés, entre autre, à l'élevage de licornes. Les autochtones, eux, se voient bien souvent réduits à l'état de servitude et se retrouvent même dépouillés de leur culture, leurs croyances et leurs mythes, moqués voire interdits par les nouveaux maîtres des lieux. Si la « question indigène » semble réglée, l'apparition d'un mystérieux leader charismatique fait toutefois peser sur les autorités locales la menace d'une révolte. Une menace sérieuse mais qui inquiète cela dit bien moins le vice-roi de Carthagène que la montée de la grogne des propriétaires terriens du nord, qui sont de plus en plus nombreux à critiquer le mépris de la capitale à leur égard ainsi que, plus grave encore, l'ingérence de la couronne du Coronado dans leurs affaires. Qui dit nouvelle époque, dit nouvelle ambiance. Tandis que «
L'empire du léopard » s'inspirait librement de la conquête de l'Amérique du sud par les conquistadors, ce nouveau « one shot » est pour sa part davantage influencé par les prémices de la guerre d'indépendance américaine, et emprunte donc beaucoup à l'imaginaire du farwest.
C'est dans ce contexte qu'on va suivre plusieurs personnages. le premier d'entre eux, Azel, est un chasseur de primes, fils métis d'un propriétaire terrien et d'une indigène, qui cherche à venger le meurtre de ses proches, victimes d'une troupe de mercenaires. le roman s'attache également aux pas du général Artémis Cortellan, un personnage déjà croisé dans «
L'empire du léopard », et qui ne semble pas avoir renoncé à son ambition ni à ses manigances. le récit met également en scène une indigène officiant comme espionne, un journaliste désireux de couvrir la guerre qui couve en donnant le point de vue des deux camps, ou encore le Loup Gris, chef rebelle fédérant autour de lui tous les autochtones désireux de prendre les armes. C'est avec plaisir que l'on renoue avec l'univers du précédent roman qui s'inscrit dans le registre de la « flintlock fantasy », un sous-genre dans lequel le degré de technologie des civilisations mises en scène est plus proche de nos XVIIIe ou XIXe siècles que du Moyen âge, ce qui se traduit notamment par l'utilisation de la poudre et donc des armes à feu. Un degré de technologie qui se prête bien à l'ambiance western du roman que l'auteur brosse par petites touches : ici une mention faite aux grandes plaines désertiques, là un mot sur l'installation du chemin de fer, là encore l'évocation de confrontations entre tribus amérindiennes et colons… le cadre dépeint ne manque pas de charme, et le surnaturel y est finalement assez peu présent, à l'exception de deux scènes majeures et de la mention (presque anecdotique) de créatures issues du folklore classique de la fantasy (licorne et fée). Comme dans «
L'empire du léopard », je suis assez réservée sur cet aspect du roman qui me paraît trop peu exploité, si bien que certains rebondissement impliquant de la « magie » tombent un peu comme un cheveu sur la soupe.
L'auteur parvient sans mal à capter l'intérêt et, si l'histoire souffre de petits problèmes de rythme, ceux-ci sont beaucoup moins importants que dans le précédent ouvrage qui, bien que de bonne facture sur l'ensemble, mettait un peu trop de temps à se mettre en place. Ici le récit démarre sur les chapeaux de roues et, en dépit de quelques longueurs, est constamment redynamisé par un rebondissement inattendu ou une révélation importante. C'est d'ailleurs à ce jeu là que l'auteur se fait le plus habile puisqu'il parvient à surprendre et déstabiliser complètement le lecteur à plusieurs reprises, au plus grand plaisir de ce dernier. On peut notamment saluer la construction du récit, sur laquelle je ne m'attarderais pas pour ne pas risquer de gâcher la surprise des lecteurs, mais qui se révèle fort habile, de même que les stratégies élaborées par certains personnages, à commencer par le retors Artémis. La noirceur du roman participe également au trouble du lecteur, surtout au début de l'histoire, le lecteur ne s'attendant pas à ce que les personnages soient aussi rudement mis à mal. Ces derniers sont bien campés même si, comme dans le roman précédent, j'ai éprouvé quelques difficultés à éprouver de l'empathie pour certains. Azel est en tout cas un héros à la personnalité intéressante car torturée : le jeune homme occupe une position inconfortable, avec à la fois un pied dans chaque monde tout en n'appartenant vraiment à aucun. Artémis Cortellan, lui, est un véritable salaud, mais du genre de ceux qu'on ne peut s'empêcher d'admirer pour leur panache, à défaut de leur sens moral. le personnage du journaliste m'a, pour sa part, laissée plutôt indifférente, mais c'est loin d'être le cas de la combative Zuhaitza, des frères d'Azel ou encore de sa touchante belle-mère, Ombeline.
Emmanuel Chastellière continue d'explorer l'univers élaboré dans «
L'empire du léopard » avec un nouveau roman qui se révèle encore une fois de qualité. En dépit de quelques bémols, le texte se lit avec plaisir, tant pour l'imprévisibilité de l'intrigue que pour l'intérêt que l'on porte aux personnages.
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