Le pas de côté anthropologique désespéré d'un zombie nommé
Baudelaire.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/11/12/note-de-lecture-
le-revenant-eric-chauvier/
Éric Chauvier, né en 1971, docteur en
anthropologie, est avant tout connu aujourd'hui comme un scientifique inventif, contribuant par ses approches et son écriture à renouveler profondément le travail contemporain de l'ethnologie, tout particulièrement celle des marges, des frontières et des inframondes, mais aussi des espaces où l'industrie rencontre et agresse l'humain, comme l'illustrent remarquablement, par exemple, son «
Anthropologie » de 2006, son «
Contre Télérama » de 2011, son «
Somaland » de 2012 ou sa « Rocade bordelaise » de 2016.
Il produit aussi à l'occasion des textes beaucoup plus étranges, où l'
anthropologie, de simplement buissonnière, se fait carrément onirique et fantastique, avec une visée toutefois bien différente de celles décrites récemment, malicieusement, par son confrère
Pierre Déléage («
L'autremental : figures de l'anthropologue en écrivain de science-fiction », 2020).
Ce « Revenant », publié en 2018 chez Allia, c'est bien
Charles Baudelaire. Mais un
Charles Baudelaire réduit de facto à l'état de zombie de moins en moins apte à communiquer, en attendant peut-être de devenir la charogne dont
Clémentine Beauvais jouait récemment des facettes logiquement culpabilisantes pour le poète oublieux dans son «
Décomposée ».
Ici, Éric Chauvier a su trouver dès le début de ces 65 pages un ton mordant et tout d'ironie rentrée, qui lui permet de télescoper joliment l'histoire officielle depuis 1850 et la mise en perspective de notre 2018, en complicité potentielle avec les écritures alertes du
Pierre Bergounioux du « Récit absent » ou de l'Éric Vuillard de « La Bataille d'Occident ». Dans l'ombre subtile du monumental «
Baudelaire » de
Walter Benjamin (dont provient l'exergue de ce « Revenant »), il se joue un pas de côté décisif, l'un de ces détours analysés par
Georges Balandier en matière d'
anthropologie politique, et c'est aussi ainsi, en proposant une immersion brutale et décharnée dans une pop culture toute contemporaine, que la littérature sait assister et comme démultiplier l'impact de la science humaine et sociale – ce que nous prouve là avec brio Éric Chauvier, en ayant imaginé ce Persan ô combien radical, dérisoire et impuissant, malgré ses possibilité, et logiquement en voie de putréfaction avancée.
Lien :
https://charybde2.wordpress...