« A l'intérieur des murs et au-dehors des haies
Le printemps déchainé ne nous protège plus.
Au fin fond de la terre en exil, nos mains nues
Font sortir de l'oubli toutes nos roseraies »
(FC «
Enfin le royaume » p.12)
François Cheng confie dans cette oeuvre «
de l'âme » être transporté par la Beauté de certaines oeuvres de musique classique.
Il est de fait que le lecteur peut éprouver au fil de la parution des livres de cet auteur (en particulier «
Cinq méditations sur la Beauté », « Cinq méditations sur la Mort » et «
Oeil ouvert et coeur battant : Comment envisager et dévisager la beauté ») une sensation proche de celle que l'on ressent à l'écoute de certaines suites pour instrument de J. S. Bach, des variations identiques déclinées mais qui, dans leur nouvel écrin de beauté et de pureté, malgré tout surprennent, charment et subjuguent.
On retrouve en particulier cette étonnante synthèse entre le taoïsme et le message christique, l'eau et le feu en une alchimie (p.152 et 153 septième lettre)
Pour la forme, le texte se veut épistolaire, des lettres à une amie très chère, retrouvée incidemment et qui l'interpelle sur la nature
de l'âme. Un peu comme pour
Sénèque et ses « lettres à Lucilius », ces lettres unilatérales semblent être mises en scène dans un vrai faux dialogue, mais cela ne retire rien à leurs qualités.
Notre académicien disserte par conséquent sur l'âme en la distinguant de l'esprit. L'esprit est le centre névralgique qui régule la pensée, la raison (p.40 à 42 troisième lettre) tandis que l'âme est désir de vie, désir de beau (p.16 seconde lettre), élan pour s'élever même au plus profond de la nuit, de la souffrance (p.26 et 27 seconde lettre, p.96 et 97 cinquième lettre). L'âme est révélation suprême, de la Vie, de la Voie, la vibration originelle AUM (p.149 septième lettre)
L'homme « moderne » ne sait plus accéder à la voix, la voie
de l'âme, asservi par sa quête infinie de puissance matérielle, de pouvoir de l'ego (p. 130 et 131 sixième lettre).
Quelle que soit la singularité de
François Cheng, difficile de ne pas avoir présent à l'esprit d'autres oeuvres comme « L'âme et la vie » de Jung, « Ecoute petit homme » de Reich, plus récemment «
Les irremplaçables » de
Cynthia Fleury. de même, le concept
de l'âme comme source privilégiée d'accès à l'intériorité (p. 115 cinquième lettre) n'est pas sans rappeler
Platon et son mythe de la réminiscence.
Le rythme du livre renvoie aussi aux
méditations métaphysiques de
Descartes, séquencées en six essais qui permettent au philosophe de conclure en l'existence d'un Dieu (parfait). La septième lettre de l'académicien rassemble tous ses éléments de réflexion et les consolide dans cette foi vibrante.
Mais dans cet essai, l'auteur exprime aussi à petites touches de pinceau avec pudeur mais non sans une émotion sismique intense, des séquences très personnelles des souffrances vécues dans sa vie, en particulier lors de son enfance dans la tourmente de la guerre sino japonaise que peut-être un jour l'histoire officielle occidentale reconnaitra comme événement majeur de la guerre mondiale qui a ensanglanté le monde entre 1914 et 1945. le Mal absolu existe,
François Cheng l'a éprouvé dans son corps et son âme, mais en dépit de cela il ne retient que les élans de vie, élans vers la Beauté.
La Voie universelle.
Dans cette sensibilité il consacre des développements vibrants à
Simone Weil notamment à son « Enracinement ».
Un livre magnifique, un livre de
François Cheng
« Des mots projetés dans la nuit
Pour traverser à gué la Voie.
Pour retrouver, jadis entrevue
Depuis longtemps perdue, l'Etoile »
(«
Enfin le royaume » p.42)