ISBN : 9782262006549
C'est le tome le plus dur, le tome de l'agonie qui commence. Une agonie lente que, croyant ou pas, on ne peut que rapprocher des fameuses "stations" du chemin de Croix accompli par le Christ.
Louis XVI, on y pense trop rarement, mourut à l'âge de trente-huit ans, ce qui, même au dix-huitième siècle, n'était pas précisément un âge canonique ... Si certains pouvaient l'accuser - et l'accusent encore de nos jours - de ne pas avoir toujours vécu comme l'eût fait, par exemple, son irremplaçable aïeul de Roi-Soleil, il est indéniable qu'il mourut en roi, avec toute la dignité et le courage qui s'imposaient. Un seul sursaut devant l'échafaud, non pas provoqué par la vision de la lame de la Veuve mais par l'usage qui voulait que les bourreaux lui liassent les mains derrière le dos. L'intervention de l'abbé de Firmont, prêtre insermenté qui avait accepté de l'accompagner jusqu'au bout, lui rappelant les humiliations infligées au Christ, fit taire cette ultime révolte.
Reconnaissons-le sans nous voiler la face, nous qui le suivons depuis maintenant trois épais volumes : Louis, qui avait conscience de ne plus régner sur le temporel - la Constituante d'abord mais plus encore la terrible Convention, sans oublier, sous le couvert de ses "bonnes intentions", cet étourneau ambitieux et arriviste
De La Fayette, l'avaient dépouillé de tous ses pouvoirs de souverain effectif - s'était tourné vers la seule issue qui restait à sa disposition : le spirituel. Certes, encouragé par des clercs désireux de se faire bien voir de l'Assemblée et du peuple, et espérant toujours - ah ! cet optimisme incurable qui allait le porter jusqu'à l'échafaud ! cette manie de croire que, puisqu'il était loyal, les autres l'étaient aussi ! - il approuva la Constitution civile du clergé mais sa signature n'avait pas eu le temps de sécher, qu'il avait compris son erreur. Cependant, ni Marat, du plus profond des souffrances qui lui brûlaient littéralement la peau et le rendaient à moitié fou ; ni Hébert, toujours tiré à quatre épingles mais infâme prosateur du "Père Duchesne" ; ni Danton, ce Mirabeau au petit pied qui ne connaissait que la grandeur des corruptions en tous genres ; ni
Robespierre enfin, dont il convient de rappeler ici que, dans ses débuts, il était un ennemi acharné de la peine de mort, ne pouvaient arracher à Louis ce qui, chez lui, faisait l'homme. S'ils visaient à vaincre non le monarque - on ne saurait dire sans faire preuve de malhonnêteté, fût-ce du redoutable
Saint-Just, qu'il haïssait
Louis XVI en tant qu'ennemi personnel - mais la royauté que, même dans le donjon du Temple, le prince déchu continuait à symboliser, ils ne pouvaient abattre ce qu'ils auraient probablement appelé, faute de mieux, "le simple citoyen." Tous le savaient, tous le sentaient et, si l'on excepte Marat - que ses souffrances privaient de tout bon sens - Hébert - qui s'acharnera de la manière ignoble que l'on sait sur Marie-Antoinette - et quelques hyènes miteuses dont on a oublié les noms, toujours prêtes à se partager les dépouilles, ce serait mentir de prétendre que les Conventionnels ont jamais poursuivi ce but.
La question, bien sûr, prend une autre tournure lorsque l'on évoque Philippe-Egalité, ex-Philippe, duc d'Orléans, propre cousin de
Louis XVI et père du futur Louis-Philippe Ier (lequel acceptera d'être non pas "roi de France" mais "roi des Français"). Comment ce descendant en droite ligne du frère de
Louis XIV - dont la fidélité au Soleil ne connut aucune trahison - et du Régent - qui tint son rôle sans jamais chercher à spolier le jeune Louis XV - comment a-t-il pu voter la mort du Roi ? Certes, on perçoit bien l'arrière-pensée : "Si Louis meurt, le trône me reviendra tôt ou tard ou, à tout le moins, je deviendrai régent et, à partir de là ..." A la limite, on peut comprendre qu'il l'ait eue. Mais derrière le vote abominable, dénaturé de l'ancien duc d'Orléans - le seul Conventionnel qui, du propre aveu de
Robespierre, se devait de voter contre la mort du Roi - on perçoit aussi une haine plus personnelle, une haine sans excuse parce que sans motif autre que l'envie la plus dégénérée.
Philippe dit "Egalité", de l'avis quasi général (aristocrates et révolutionnaires mêlés) ne brillait pas par son intelligence et les historiens les plus intègres, peu soucieux de déplaire à l'actuelle famille d'Orléans, insistent beaucoup sur sa mollesse et son bon caractère, comme si ceux-ci étaient des excuses à son intolérable lâcheté - laquelle ne lui épargna d'ailleurs pas l'échafaud. Quand on voit comment il traita son épouse et la déposséda de ses enfants pour les confier à sa maîtresse, Mme de Genlis, déjà, on peut avoir certains doutes sur l'"humanité" du personnage. Philippe pouvait bien sûr se montrer très généreux avec les dames qui lui plaisaient et les messieurs qui chantaient ses louanges, mais, pour notre part, on ne parviendra jamais à nous convaincre de son "sens de la famille." On le prétend par exemple "bon père" - mais il le fut "à éclipses" et ne se gêna guère pour élever ses enfants sinon dans la haine, en tous cas dans le mépris de leur mère. Que l'on pense ce qu'on veut de Marie-Adélaïde de Bourbon-Penthièvre, devenue duchesse de Chartres, puis duchesse d'Orléans et qui finit, dans son exil, par épouser morganatiquement l'ancien Conventionnel - non régicide - Rouzet, sa conduite d'épouse et de mère ne méritait pas pareille injustice qui la fit certainement beaucoup souffrir.
Quant à
Louis XVI, quand on lui apprit le vote de son cousin, il répondit, avec son bon sens et sa noblesse naturelles : "Je suis en peine pour mon cousin, M. d'Orléans. Que lui ai-je donc fait pour qu'il me poursuive ainsi ? Mais pourquoi lui en vouloir ? Il est plus à plaindre que moi. Ma position est triste mais le fût-elle encore davantage, non certainement, je ne voudrais pas la changer avec lui."
Paroles de roi, dira-t-on. Paroles d'homme bon, peut-on ajouter et aussi, paroles d'homme lucide - et certainement pas paroles de mollasson et d'imbécile !
Mieux qu'un autre - tant d'historiens sont si "amoureux" de Marie-Antoinette qu'ils refusent de voir en celui qui fut son époux autre chose qu'un faible et un imbécile, aussi peu fait pour régner sur la France que l'eût été le mythique "Bon Sauvage" de Rousseau -
Jean-François Chiappe a su, dans les deux volumes précédents, cerner au plus précis le caractère du roi, ne reculant pas devant certaines de ses contradictions. Dans ce troisième et dernier volet, si douloureux, si prenant, il peaufine son hommage à la mémoire d'un roi que l'Histoire de la République, pour des raisons politiques évidentes, se refusa si longtemps à connaître - de nos jours, les choses se sont un peu améliorées mais il reste encore beaucoup de travail à accomplir. Mais Chiappe double cet hommage, nécessaire parce que dicté par
L Histoire, de celui qu'il rend en parallèle à l'homme, à l'époux, au père que fut aussi Louis de France, seizième du nom. La Révolution qui l'a sacrifié sur son autel n'a-t-elle pas été la première à déclarer que "tous les hommes sont égaux en droits" ? Eh ! bien, si c'est vrai, il est temps de rétablir
Louis XVI avant tout dans sa dignité d'être humain. Bien sûr, il est comme vous, comme moi - comme nous et, après avoir lu cette trilogie, vous comprendrez combien cette simple phrase, s'il pouvait la lire, le comblerait de joie et d'émotion : c'est-à-dire qu'il a, lui aussi, ses petites bizarreries, ses coins de tristesse obscure et enfantine, ses timidités inexplicables, ses entêtements qui ne lui rendent pas toujours service, ses passions pour les nouveautés (la cartographie à son époque), ses détestations instinctives, ses enthousiasmes parfois naïfs, ses moments, rares mais francs, de mauvaise humeur et son droit indiscutable à l'erreur avec, parfois, le désir de tout laisser tomber et une tendance à déprimer parce que, autour de lui, on ne le comprend pas tandis que ceux qui auraient pu le faire sont morts depuis longtemps. Ces mille petites choses ajoutent à la vérité du personnage, à l'authenticité de cette figure aimable et bonhomme, à qui
Saint-Simon, mi-grondeur, mi-indulgent, eût sans doute reproché (non sans raison) sa "débonnaireté", à ce roi dont la seule erreur fut de se montrer trop humain lorsque, alors qu'il devait à sa couronne de faire tirer sur le peuple, il refusa de voir couler pour lui le sang français. ;o)