Je ne sais pas trop quoi penser de ce recueil de poèmes, Alphabet. Je l'ai pris à la bibliothèque parce Knausgaard le mentionne dans un de ses romans et semble porter une grande estime à son auteure, Inger Christensen, qu'il considère comme une grande poétesse. Intrigué, je suis allé le chercher à la bibliothèque.
L'idée de base est assez originale. le poème est construit selon un système rigoureux, basé à la fois sur l'alphabet et sur la suite de Fibonacci. Vous savez, cette série dont les chiffres s'additionnent (0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13…). Pas si facile ni évident. Moi, je n'aurais jamais pensé à mélanger quelque chose d'aussi scientifique, dépourvu d'émotion, avec la poésie qui est si subjective et imagée. Au début, beaucoup de phrases ne faisaient aucun sens pour moi. Surtout qu'un poème perd toujours un peu dans la traduction, même avec le meilleur traducteur qui trouvera l'équivalent avec la sonorité la plus proche. Heureusement, j'avais en main l'édition bilingue. En regardant à gauche, je voyais bien que beaucoup de mots s'écrivaient différemment et je pouvais lire et imaginer les sonorités telles que les entend un Danois.
Le thème de la bombe nucléaire a été long à entrer en moi. Il faut dire qu'il se dévoile tranquillement, ne prenant sa forme ultime qu'à la fin de l'alphabet (26…) et démêler la suite de Fibonacci pour que la révélation se concrétise pleinement. de plus, ce n'est pas le propos habituel des poèmes que je lis, j'y trouve quelque chose de violent et de froid à l'atomique. Mais bon, pourquoi pas. Je me suis laissé entrainer par Christensen puis, à la longue, je me suis fait des liens qui réunissaient ses différents éléments (mollécules, nature, vie, mort, renaissance, animaux, etc.) pour en faire ma propre signification. Un peu abracadabrant. Mais, peut-être aussi que je cherchais trop à comprendre au lieu de me laisser porter.
Au final, je ne peux pas dire que ça m'a enthousiasmé ni que ça m'a encouragé à me plonger dans d'autres oeuvres de cette auteure mais, dans tous les cas, ça a fait travailler mes méninges et mon imagination.
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et au cœur du paysage de la sagesse la lumière de glace,
la glace identique à la lumière, et au cœur
de la lumière de glace le néant, vivant, intense
comme ton regard parmi la pluie, cette pluie fine ruisselante
qui irise la vie où, tel un geste,
les quatorze réseaux du cristal existent, les sept
systèmes cristallins, ton regard dans le mien,
et Icare, Icare impuissant existe ;
Icare langé d’ailes de cire fondues
existe ; Icare pâle comme un cadavre
en civil existe, Icare tout au fond où
les pigeons existent; les rêveurs, les poupées
existent; les cheveux des rêveurs avec les touffes
cancéreuses arrachées, la peau des poupées
épinglée, le bois pourri des mystères; et les sourires
existent, les enfants d’Icare blancs comme agneaux
parmi la lumière grise, pour sûr existeront, pour sûr
nous existerons, et l’oxygène sur le crucifix de l’oxygène ;
comme givre nous existerons, comme vent,
comme l’iris de l’arc-en-ciel dans les pousses luisantes
du mésembryanthème, les chaumes de la toundra ; petits
nous existerons, aussi petits qu’un peu de pollen dans la tourbe,
comme un peu de virus dans les os, peut-être comme hélodide,
peut-être comme un peu de trèfle blanc, vesce, un peu de camomille
exilée au paradis reperdu; mais l’obscurité
est blanche disent les enfants; l’obscurité du paradis est blanche,
mais pas blanche comme un cercueil est blanc,
c’est-à-dire si les cercueils existent, et pas
blanche comme le lait est blanc,
c’est-à-dire si le lait existe ; blanc c’est blanc,
disent les enfants, l’obscurité est blanche, mais pas
blanche comme le blanc préexistant
aux fruitiers existant, leur floraison si blanche,
l’obscurité est plus blanche, les yeux fondent
les glaciations existent, les glaciations existent,/ la glace de l’océan glacial et la glace du martin-pêcheur;/ les cigales existent; la chicorée, le chrome/ et l’iris jaune de chrome, l’iris bleu; l’oxygène/ surtout; existent aussi les glaçons de l’océan glacial,/ l’ours blanc existe, matriculé comme fourrure/ il existe, condamné à sa vie ;/ et la minichute du martin-pêcheur dans les ruisseaux bleu gel/ de mars existe, si les ruisseaux existent;/ si l’oxygène dans les ruisseaux existe, l’oxygène/ surtout, existe surtout là ou les sons - i/ des cigales existent, surtout là où le ciel/ de la chicorée existe bleu d’outremer dissous dans/ l’eau, le soleil jaune de chrome, l’oxygène/ surtout; pour sûr il existera, pour sûr/ nous existerons, l’oxygène que nous respirons existe,/
œil de feu couronne de feu existent, et l’intérieur/ céleste du lac ; une anse enclose/ d’un peu de jonc existera, un ibis existe/ et les mouvements de l’âme insufflés dans les nuages/ existent, comme tourbillons d’oxygène au tréfonds du Styx/ et au cœur du paysage de la sagesse la lumière de glace,/ la glace identique à la lumière, et au cœur/ de la lumière de glace le néant, vivant, intense/ comme ton regard parmi la pluie, cette pluie fine ruisselante/ qui irise la vie où, tel un geste,/ les quatorze réseaux du cristal existent, les sept/ systèmes cristallins, ton regard dans le mien,/ et Icare, Icare impuissant existe ;/
Icare langé d’ailes de cire fondues/ existe ; Icare pâle comme un cadavre/ en civil existe, Icare tout au fond où/ les pigeons existent; les rêveurs, les poupées/ existent; les cheveux des rêveurs avec les touffes/ cancéreuses arrachées, la peau des poupées/
épinglée, le bois pourri des mystères; et les sourires/ existent, les enfants d’Icare blancs comme agneaux/ parmi la lumière grise, pour sûr existeront, pour sûr/ nous existerons, et l’oxygène sur le crucifix de l’oxygène ;/ comme givre nous existerons, comme vent,/ comme l’iris de l’arc-en-ciel dans les pousses luisantes/ du mésembryanthème, les chaumes de la toundra ; petits/ nous existerons, aussi petits qu’un peu de pollen dans la tourbe,/ comme un peu de virus dans les os, peut-être comme hélodide,/ peut-être comme un peu de trèfle blanc, vesce, un peu de camomille/ exilée au paradis reperdu; mais l’obscurité/ est blanche disent les enfants; l’obscurité du paradis est blanche,/ mais pas blanche comme un cercueil est blanc,/ c’est-à-dire si les cercueils existent, et pas/ blanche comme le lait est blanc,/ c’est-à-dire si le lait existe ; blanc c’est blanc,/ disent les enfants, l’obscurité est blanche, mais pas/ blanche comme le blanc préexistant/ aux fruitiers existant, leur floraison si blanche,/ l’obscurité est plus blanche, les yeux fondent
NEIGE DE JUIN
La neige
n’est pas du tout neige
quand elle neige
en juin
la neige n’est
pas du tout tombée
du ciel
en juin
la neige est
montée d’elle-même
et a fleuri
en juin
comme pommes
abricots
châtaignes
en juin
s'égarer
dans la vraie neige
qui est la neige en juin
avec germes et fleurs
quand jamais on ne meurt
11
l’amour existe, l’amour existe
ta main qui, blottie dans la mienne, s’oublie telle
un petit et la mort impossible à se souvenir
impossible à se souvenir comme une vie
inamissible, aussi légèrement comme par mouvement chimique
par-dessus crételles et bisets, tout,
se perd, disparaît, impossible à se souvenir que
des troupeaux d’hommes déracinés, de bêtes et de chiens
qui existent ça et là, disparaissent ;
les tomates, les olives, les femmes
brunes qui les récoltent, se flétrissent, disparaissent,
tandis que le sol poudroie de nausée, une poudre
de feuilles et de baies, et que les boutons du câprier
ne seront jamais récoltés, confits au sel
et mangés ; mais avant qu’ils ne disparaissent, avant que nous
ne disparaissions, un soir, attablés avec
un peu de pain, quelques poissons sans abcès et de l’eau
qui sagacement a été changée en eau, l’un des
mille sentiers de guerre historiques traverse tout
à coup la pièce, tu te lèves, les frontières,
les frontières existent, les rues, l’oubli
partout, mais ta cachette ne s’approche pas,
regarde, la lune est par trop éclairée et le Chariot de David
retourne aussi vide qu’il est venu ; les morts veulent
qu’on les porte, les malades veulent qu’on les porte, les pâles
soldats usés ressemblant à Narcisse veulent qu’on
les porte, tu te promènes si bizarrement éternel,
et seulement quand ils meurent tu t’arrêtes
dans un jardin de choux dont personne ne s’est occupé
depuis plusieurs siècles, trouves en écoutant une source
tarie quelque part en Carélie peut-être, et pendant
que tu songes à des mots comme chromosomes, chimères,
et à la croissance frustrée des fruits de la passion
tu enlèves d’un arbre un peu d’écorce et la manges.
le ciel est un antre
où les oiseaux fanés
pourrissent comme des fruits déchus
où les nuages étales
pulvérisent des cités
et les chassent, tourbillons gracieux,
comme sable à travers sable
comme eau à travers eau
même les visqueuses limaces
sont poreuses comme ces glaces
dont le reflet de l’homme s’est perdu
seule une tige d’ortie
contera défeuillée
comment en désespoir nous nous sommes crées
une terre sans fleurs
asexuée comme le chlore
regarde une pâle étoile matinale
étincelle comme un encéphale
qui est presque éteint et usé
trop diffus pour se rappeler
l’étreinte des êtres
dans un vol sans ailes
dans un pré parfumé
dans un chaud lit d’été
regarde la source claire
est tarie et petite
et remonte le rocher,
et les roses sans fond
se cachent dans des marais
du pollen inamissible mis de côté
dans l’éternité
la même écriture les y met au net
celle qui décrit la course des nuages
celle qu’Archéoptérix a gravée dans des pierres
en travers d’une pure et vertigineusement bleue
l’éternité
l’éternité
............................... (p.93)
"Alphabet" d'Inger Christensen : performance en français par Christiane Hommelsheim (sous-titres en italien)