Ce roman «
Crépuscule », à l'allure de conte, nous emmène dans des contrées et à une époque lointaines, pour mieux aborder des thématiques actuelles, comme pour nous signifier un éternel recommencement où les turpitudes et les comportements les plus abjects se perpétuent en dépit de la modernité de notre monde, qui se croit plus civilisé que naguère…D'ailleurs la série de questions qu'on trouve au début du chapitre 12 donne le ton de l'ouvrage : » A quel signe comprend-on dans l'Histoire des hommes qu'il est trop tard ? Quel indice, quelle marque, quelle faille, quel mince événement permet d'alerter les esprits et de solliciter leur vigilance ? Quel infime changement, quel déraillement discret peut intriguer quelques veilleurs attentifs afin qu'ils donnent l'alerte qui éviterait la plongée dans le chaos ? Mais au fond, cela servirait-il à quelque chose ? Quelque part, et sur une certaine horloge, n'est-il pas toujours trop tard ?
On retrouve ce style cinématographique chez
Philippe CLAUDEL, où les descriptions minutieuses, à renfort d'adjectifs rendent très vivante la narration, grâce à l'usage de phrases courtes et percutantes !
Fort heureusement, même si des personnages comme Nourio le Capitaine de police et ses obsessions libidinales, les élus et autres notables semblant relever au mieux de l'oligophrénie, au pire du machiavélisme sadique nous répugnent, certains gagnent en sympathie et suscitent notre émotion tel Baraj l'adjoint du capitaine et la jeune orpheline de mère Lémia, mais aussi celui dont on ne connaitra le prénom qu'à la fin du livre, Martha, l'épouse du capitaine.
Pour illustrer mon propos, permettez-moi quelques citations de portraits : « Egor le maire, qui était un magnifique imbécile de l'espèce des dindons… » ; le vieil évêque « C'était une toute petite chose enrubannée de soieries précieuses et de broderies, inoffensive et débile, pour laquelle le policier ne savait pas s'il fallait éprouver de la pitié ou du dédain » ; et le plus maléfique d'entre tous, Maijre sorte de mercenaire sanguinaire, dont un autre soldat dira en le voyant « Pourquoi le Diable prend-il toujours plaisir à revenir sur terre ? ».
Dans cette bourgade d'une province reculée, où vivent chrétiens et musulmans en bonne entente, du moins en apparence, un meurtre sera prétexte à mettre le feu aux poudres ! Et l'auteur ne manque pas de nous rappeler à quel point religion et pouvoir ont, de tout temps, alimenté la haine de l'autre, de celui qui croit différemment… Que celui qui pense autrement nous est inférieur voire hostile se retrouve aussi dans le duo que forme le Capitaine de police et son Adjoint. Tout les oppose, tant leur physique que leur façon d'appréhender le monde. D'un côté, le mépris vaniteux de Nourio à l'égard de Baraj qui de son côté, y répond par une forme de servilité tranquille.
Sans rien dévoiler de l'intrigue car il s'agit bien d'une enquête policière, c'est aussi l'analyse que fait l'auteur des rapports humains qui fait l'intérêt de cet ouvrage.
On ne peut qu'être ému par ce doux colosse qu'est Baraj. Après avoir connu une enfance privée d'amour et de tout ce qui permet à un enfant de s'épanouir, il prendra en tout, le contrepied de tant d'adversités, ce qui laisse à penser que l'auteur réfute la thèse du déterminisme, point de vue que je partage. D'ailleurs, ce n'est pas le seul domaine dans lequel
Philippe Claudel égratigne les lieux communs !…
Crépuscule gagne indéniablement à être lu, mais peut-être pas si vous avez le bourdon et qu'en plus, la météo affiche triste mine !
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