Comment expliquer à son fils de 15 ans ce que représente la condition de l'Homme noir aux Etats-Unis ? C'est dans ce brillant essai que
Ta-Nehisi Coates, journaliste, écrivain et intellectuel américain, expose sa « colère noire » en retraçant sa vie sous la forme d'une lettre à son fils.
Dès les premières pages, l'enjeu de ce texte est clair : expliquer à un jeune homme noir américain la colère d'un homme, son père, qui est aussi la colère de tout un peuple. Au travers de cette lettre à son fils,
Ta-Nehisi Coates reconstruit le récit de sa vie, de son parcours en le jalonnant d'éléments historiques et culturels. Il contextualise son propos, n'hésite pas à expliquer, à questionner, à exprimer ses doutes et ses incompréhensions même, dans une démarche d'une sincérité absolue. « Détruire le corps d'un noir était acceptable, à condition de le faire avec efficacité. » (p.136)
Il raconte ainsi à son fils sa vie avant qu'il ne vienne au monde, les expériences qui l'ont forgé, les rencontres qui ont marqué sa vie, les choix, les questionnements et les incertitudes qui ont été les siens. Il revient aussi sur les quinze années de vie que lui et son fils ont partagé, expliquant avec du recul ses décisions et reconnaissant aussi avec humilité ses erreurs. Il en découle un texte redoutable de clairvoyance à la fois sur tout ce que son auteur sait et comprend, mais également sur tout ce qui peut encore lui échapper. Sans basculer dans un processus victimaire sans but ni structure, sans mettre tout le monde dans le même sac et sans chercher à diviser, il expose avec justesse une réalité. « Ils ont fait de nous une race, nous avons fait de nous-mêmes un peuple. » (p.173)
Ce texte puissant est l'expression légitime d'une colère liée à la condition des noirs aux Etats-Unis, et au corps noir dans cet environnement qui lui est bien plus souvent hostile qu'on ne le pense. À la lecture des mots de
Ta-Nehisi Coates, même quand on est farouchement engagé contre le racisme et toute forme de discrimination, on prend conscience qu'il est très difficile de saisir l'ampleur de ce fléau pour les victimes tant qu'on n'y est pas brutalement confronté. Soit on en est victime, soit on reçoit un témoignage si fort qu'on le perçoit enfin dans toute sa mesure. Ici les mots de l'auteur sont choisis à la perfection, et son essai nous permet de prendre le violent impact du racisme comme si nous avions vécu ce qu'il raconte. Impossible dès lors de ne pas être encore plus révolté face aux violences, aux discriminations, aux injustices. Sans s'approprier une colère qui n'est pas la nôtre, on ne peut qu'y adhérer, la comprendre, la partager.
Dans la dernière partie, autour des années partagées entre l'auteur et son fils, on perçoit l'espoir qui vient de ce dernier et de cette nouvelle génération. Bien que celle-ci soit encore forgée par tous les enjeux et le poids de l'Histoire des parents, des aïeuls et des ancêtres, elle est aussi animée par une autre vision, d'autres questionnements, d'autres aspirations. Et c'est inspiré par cet espoir que l'auteur, sans perdre les enjeux de sa colère, enrichi son propos pour appeler son fils et toute une génération à concilier tout cela, pour en ressortir plus grande encore que toutes celles qui ont pavé la route pour elle.
Une colère noire est une lecture dont on ne ressort pas indemne, à la fois par la qualité de son écriture mais aussi par la puissance de son propos. Un texte qui nous marque, qui forge une plus grande aspiration à la tolérance et qu'on a envie de faire partager autour de soi. Et c'est probablement la meilleure chose à faire.