Est-ce qu'il vous est déjà venu à l'esprit qu'on pouvait raconter le nazisme, la Shoah et la Seconde Guerre mondiale à travers les yeux d'un enfant qui a grandi avec les discours d'Hitler – convaincu de leur véracité ?
Moi non. Mais c'est pour ça que je n'écris pas de livre.
En réalité,
Max n'est pas le nom du protagoniste. Il se nomme Konrad von Kebnerson.
Max n'est le nom d'aucun des personnages de ce roman.
Max, c'est le prénom que la mère du narrateur souhaitait lui donner. Malheureusement, elle a signé pour faire partie du programme Lebensborn, qui consistait à faire naître autant de bébés aryens que possible. Ses enfants appartiennent au Reich, elle n'a aucun droit sur eux. Très vite, d'ailleurs, elle est séparée de son fils.
Et le petit Konrad grandit sans mère, sans amour et sans chaleur. Mais peu lui importe ! Konrad est persuadé de ne pas être un nourrisson comme les autres. Il n'a pas besoin d'amour pour grandir puisque – comprenez – il est le premier représentant d'une race supérieure. Sa volonté est d'acier, son corps est sans défaut : il sera un parfait petit soldat, l'Aryen au sens le plus strict – fierté de l'humanité. Il a donc une crainte terrible de voir ses yeux et ses cheveux se foncer avec l'âge, que son crâne dolichocéphale s'arrondisse et que ses sens de guerrier ne soient pas assez aiguisés. Il n'est jamais trop tôt pour s'entrainer, alors hop ! À quelques mois, le voilà à faire le cochon-pendu sur les barreaux de son lit, et quatre-cinq ans plus tard, il remplit des missions pour le Reich (ouais, ouais), se fait passer pour un petit Polonais pour recruter des enfants blonds, dénonce des mères de famille pour sa patrie… En d'autres termes : le petit Konrad est l'Enfant du Führer.
Ce livre est choquant et dérangeant. Pas seulement parce qu'il parle du nazisme en des termes élogieux, mais parce que c'est un BÉBÉ qui en parle avec une voix d'adulte. Konrad-
Max n'a pas peur d'utiliser des mots vulgaires, ni de parler de sexe, ni même de songer à la guerre avec grande impatience. Les chants patriotiques l'exaltent, son antisémitisme est sans fond, ses idées préconçues sont plus fausses les unes que les autres – mais elles servent d'excuse à sa vision du monde. Sa pensée est complètement formatée par les discours politiques.
Et ses actes sont encore plus terribles : il est parfaitement conscient de ce qu'il fait quand il envoie des parents à Auschwitz, mais c'est « pour le bien de l'humanité. » Car on lui a appris, à ce petit, qu'on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs. Alors s'il faut tuer quelques millions de personnes pour purifier l'humanité… pourquoi pas ?
En grandissant, en agissant, en observant, en rencontrant d'autres garçons,
Max va apprendre à réfléchir un peu plus comme un enfant de son âge. Parce que la mémoire est très faillible à cet âge-là, les mots d'Hitler qu'il a entendu dans le ventre de sa mère lui sortent de la tête et sa façon de voir le monde évolue. La réalité finit par le rattraper et il est contraint de constater que les choses ne sont pas si simples que le déclare le Führer. Il n'y a pas de noir, il n'y a pas de blanc. Pas de bon ou de mauvais peuple. Il n'y a que des nuances de gris – même les Juifs peuvent parfaitement correspondre aux critères de sélection des aryens.
Il ne se passe pas grand-chose dans ce roman – surtout dans les deux premières parties. Et pourtant c'était passionnant ! Voire même bouleversant. Je n'ai littéralement pas pu le lâcher avant d'avoir tourné la dernière page – Dieu sait que ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé !
Max-Konrad a une façon de raconter les choses (une vision cynique et mordante) qui ne m'a pas laissée indifférente. On s'attache à ce petit protagoniste, même s'il prouve à plusieurs reprises qu'il est une véritable ordure. Ou peut-être à cause de ça. Parce qu'il a beau se cuirasser et prétendre que l'amour est une faiblesse, parce qu'il a beau provoquer la mort de centaines de personnes (et j'exagère à peine !), il reste un enfant en mal d'affection.
Je regrette seulement que les êtres qui l'entourent soient à la fois proches de nous et distants, dans le sens où on s'attache rapidement à eux mais on est conscients qu'ils peuvent disparaître très rapidement.
Max-Konrad vit dans une gangue de solitude dans laquelle il se complait, ne s'attache à personne (à une exception près, mais je ne vous en dit pas plus) et ne regrette pas les êtres qu'il perd.
C'est un livre très déstabilisant qui m'a laissée songeuse quand je l'ai refermé.