Dès que l'on parle de la seconde guerre mondiale, on pense évidemment à l'abomination des camps.
Mais ce n'est, hélas, pas la seule horreur de cette période.
Il y a aussi le Lebensborn, cette association créée dans les années trente à l'initiative d'
Heinrich Himmler, dans le but de faire naître plein de beaux enfants "aryens", pour faire de l'Allemagne un pays à la population la plus pure possible.
Et pour cela, tous les moyens sont bons. Enfin, "bons", c'est une façon de parler...
Des jeunes femmes considérées comme "aryennes" étaient poussées à concevoir des enfants avec des SS qu'elles ne connaissaient pas et qu'elles ne voyaient que pour la reproduction. Les enfants étaient abandonnés à la naissance, élevés dans des établissements spécialement créés, puis donné en adoption à des familles triées sur le volet. On motivait les femmes en leur disant qu'elles faisaient ainsi un cadeau à leur pays, ou, encore mieux : au Führer lui-même !
Et comme cela ne suffit pas, comme il faut le plus possible d'enfants, eh bien, on va tout simplement en voler.
Oui, vous avez bien lu. Voler des enfants. En Pologne principalement.
Des religieuses-infirmières spécialement formées sont chargées de repérer des bébés ou des enfants blonds aux yeux bleus, présentant tous les "bons" critères physiques ; des enfants que l'on qualifie de "germanisables". Ceux-ci sont kidnappés dans la rue ou chez eux, arrachés à leur famille puis regroupés dans des foyers dans lesquels on leur fait commencer une nouvelle vie. Abandon de leur langue, et apprentissage forcé de l'allemand. En fait, abandon complet de leur identité : un nouveau nom leur est donné, ainsi que de nouveaux papiers. Toute trace de leur vie antérieure est détruite et extirpée de leur mémoire, à coups de dressage et de punitions sévères pour ceux qui se rebellent.
Entre 200 000 et 300 000 enfants polonais ont subi ce sort, et l'immense majorité d'entre eux n'ont pas retrouvé leur famille après la guerre.
Penser que l'on ait pu imaginer et mettre en place un tel programme, à si grande échelle, ça fait froid dans le dos, non ?
Sarah Cohen-Scali a bâti son roman sur ce thème nauséabond. Elle a mis ses mains dans la fange pour, sous couvert de fiction, dénoncer et faire réfléchir.
Et elle a terriblement bien fait.
J'avais eu la chance, grâce à Babelio, de la rencontrer pour son livre
Orphelins 88. J'avais été impressionnée par la quantité et la qualité des recherches qu'elle avait effectuées pour composer ses personnages et écrire cet ouvrage.
Max a bénéficié du même traitement, sa lecture n'en est que plus glaçante.
C'est une fiction, certes, mais fondée sur tellement de faits réels !
Sarah Cohen-Scali va loin, très loin dans l'horreur, mais ce n'est absolument pas pour un plaisir malsain. Si cela avait été le cas, j'aurais refermé ce livre très rapidement.
Il faut cette dose d'horreurs pour suffisamment bousculer le lecteur, pour qu'il accepte que l'inacceptable est bel et bien vrai, pour qu'il prenne conscience du degré d'abomination de ce programme "Lebensborn".
Lebensborn, un nom bien trompeur ! Formé des mots allemands "Leben" qui signifie "vie" et "Born" qui voulait dire fontaine en langue ancienne.
Fontaine de vie ! Quelle ironie dans ce nom, alors que je ne vois dans ce programme que la négation de la vie. La négation de la diversité de l'espèce humaine. La négation de la cohabitation de différentes cultures.
Fontaine de vie ! Quand on apprend que les enfants nés de ce programme qui ne présentaient pas les bons critères physiques (les "produits défectueux") étaient purement et simplement exterminés.
À travers ce roman glaçant, l'auteur jette un pont entre le passé et le futur.
Elle rend hommage aux victimes de cette barbarie, et secoue le lecteur, déclenchant forcément une prise de conscience. Pour que cela ne se reproduise plus.
Elle a créé le personnage de
Max, un bébé du Lebensborn. C'est lui qui raconte, et à travers son histoire, c'est l'histoire de tous ces enfants qui nous est révélée.
Le procédé est très habile et donne une énorme force au récit.
Sarah Cohen-Scali expose à merveille l'embrigadement dont les jeunes enfants peuvent être victimes, l'endoctrinement qui peut s'exercer sur de jeunes cerveaux et le Mal absolu qui peut résulter d'une enfance volée, sacrifiée au nom d'une idéologie.
De l'histoire, je ne vous raconterai rien. Ce n'est pas le lieu, une "critique" n'est pas faite pour ça.
Lisez
Max, et faites lire
Max autour de vous ! Il est édité en collection "jeunesse", mais attention, le lecteur doit avoir une certaine maturité pour affronter ce texte, et être accompagné dans sa lecture qui ne manquera pas de générer des tas de questions.
Pour finir, je reprends ce que j'ai déjà écrit à plusieurs reprises.
C'est un fait maintenant bien connu : la lecture de romans, mettant en scène des situations et des personnages variés, permet au jeune enfant de développer de l'empathie. En se mettant dans la peau du héros, de la victime, du peureux, du lâche, du solitaire, du riche, du pauvre, du timide, etc. le jeune lecteur vit plusieurs vies, est confronté à des expériences diverses et en arrive à comprendre ce que ressentent les autres. Il comprend que les êtres humains sont variés, et il arrive à se mettre à leur place.
Bref, il développe cette empathie si précieuse et qui fait de plus en plus cruellement défaut dans notre société.
Cette empathie qui me rend totalement incapable d'aller égorger mon voisin même si je ne l'apprécie pas du tout !