"Nous ressemblons à une courte file de fourmis montant à l'assaut des montagnes, sages et ordonnés bien en ligne"
Mon amie Siabelle et moi même avons accompagné pour clôturer 2016 les six touristes européens du roman ayant remporté un voyage atypique en Albanie, à proximité de la vallée de Valbona et de la frontière avec le Monténégro.
Un trekking inédit dans les Alpes dinariques où, menés par le guide Vigan, Lou et ses cinq compagnons touristes graviront les pentes enneigées pour respirer le bon air pur, admirer la magnificence des paysages et même écouter la montagne chanter. L'altitude les rendra euphoriques, ils entreront en communion avec la nature, ils auront même l'impression de pouvoir toucher le ciel.
En parallèle de cette histoire racontée par Lou, toujours en Albanie, Mathias nous narre sa propre histoire et nous plonge dans un univers décalé de superstitions locales. A l'ère d'internet, les coutumes à l'oeuvre dans ces régions paraissent presque moyenâgeuses. Mathias est en effet un sacrificateur de chèvres.
Mais attention, rien à voir avec le caprin égorgé par des employés de Pakistan Airlines le 16 décembre 2016 pour conjurer le mauvais sort et les futurs crashs d'avion de la compagnie. Ni avec les sacrifices de milliers d'animaux au Népal au nom de la déesse de la puissance Gadhimai. Ici les chèvres sont minutieusement choisies à l'aide d'osselets, puis jetées dans le vide du haut d'une falaise pour calmer les appétits des démons vengeurs d'une montagne faisant figure de diable carnivore.
Ainsi, à chaque célébration locale, le rôle de Mathias est de préserver les festivités à venir en choisissant consciencieusement l'animal qu'il emmènera plonger dans l'abîme. Ceci en respectant scrupuleusement le rituel transmis par son grand-père, sous l'oeil approbateur du vieux Carche, qualifié de "semi-mafieux". Qui s'inquiète seulement de savoir que Mathias n'a ni famille ni descendant à qui transmettre son précieux don.
Quand et comment les deux intrigues vont elles se rejoindre ?
Pendant ce temps, Vigan, Lou et les autres touristes poursuivent leur périple, en alternance avec le récit de Mathias.
Et peu à peu, la montagne dévoile son aspect démoniaque, le voyage se mue en périple infernal, en lutte contre les forces naturelles déchaînées.
"J'ai la certitude que le mal est là, quelque part autour de nous à nous guetter et nous entendre, à sentir nos odeurs, à attendre son heure."
"A croire que rien ne repaît ce qui nous accompagne depuis le début dans cette montagne."
En dépit de leur culture, Lou et ses compagnons se mettront eux aussi à croire à une malédiction ancestrale quand la montagne les piégera un à un dans le froid, les avalanches, les tempêtes de neige, les crevasses, les bifurcations imprévues, la faim, la soif, la douleur et l'épuisement.
C'est l'un des tours de force de ce roman : arriver à rendre légitimes d'étranges croyances au fur et à mesure que la montagne, principale entité de ce roman, se dévoile tel un monstre assoiffé de sang.
Sandrine Collette parvient à nous faire ressentir les éléments déchaînés, la morsure du gel, le désespoir de ses protagonistes mais aussi leur courage puisqu'au cours de ce thriller dramatique ils devront se dépasser, puiser au fond de leurs forces, lutter contre leurs phobies pour pouvoir espérer survivre.
"J'ai toujours eu en tête l'exemple de cette mère qui, pour sauver sa fille, a soulevé une voiture sous laquelle elle était coincée"
Ses personnages sont au bord de la rupture, tant nerveuse que physique, en proie aux éléments déchaînés, guettés par la folie.
Son écriture est unique, et confirme le don de
Sandrine Collette pour nous faire visualiser et ressentir en économisant parfois ses mots à l'extrême.
Eprouvez le froid avec les aventuriers ( "j'ai l'impression que mes jambes, devenues de glace, vont se briser sous moi" )
Imaginez le sentiment d'abandon d'une personne qui pense "Où est Dieu à cet instant ? Quelle tâche le retient, pour qu'il nous oublie ainsi ?"
Et craignez pour leur vie en laissant leur désespoir vous envahir : "Une heure de plus à vivre me convient, juste une heure."
Un grand merci à Siabelle qui m'a fait découvrir
Sandrine Collette et m'a accompagné sur les pentes enneigées de cette montagne meurtrière.
Au début du chemin j'avais pris un peu d'avance mais nous nous sommes attendus systématiquement, à différents points de rendez-vous, le temps de se réchauffer et de partager nos impressions, d'évoquer notre attachement des personnages, essayant d'anticiper avec complémentarité la suite des évènements. A la fin du parcours, j'ai sans doute présumé de mes forces et j'ai fini largement distancé, moins habitué aux froides températures. L'hiver du Pas de Calais a beau être rigoureux, il ne peut rivaliser avec celui du Québec !
Ps : Je vous invite à lire également le ressenti de Siabelle, qui aborde d'autres aspects intéressants du livre.