Embarquons à Fécamp pour des mois et des mois de mer et de grande pêche au large de Terre-Neuve et du Groenland sur une de ces usines de mer que sont les chalutiers-saleurs des années cinquante. L'aventure est racontée au jour le jour par Anita Conti, alors âgée de 53 ans. Si vous avez aimé "Le grand marin", vous allez vous délecter !
On apprend non seulement les détails de la pêche au chalut et ceux du salage de plus mille tonnes de morues, mais aussi la recherche des fonds appropriés, le vocabulaire spécifique et les manoeuvres rendues si délicates quand on relève le chalut "plein la gueule" par grosse mer et froid arctique.
Anita Conti raconte fort bien et rend palpables les mouvements, les sons, les vibrations et jusqu'aux odeurs qui règnent à bord. Mais, avec son oeil de photographe, ses connaissances remarquables en océanographie, ses compétences et sa curiosité scientifiques, sa capacité à prendre du recul et à anticiper les conséquences d'une pêche quasi aveugle et industrielle, elle nous offre en permanence, en même temps que son récit, une analyse critique de ce qu'elle voit et vit. Alors que disparaît le temps des doris et de la pêche de la morue à la ligne, on voit poindre les techniques nouvelles, l'usage du radar et des sondes électroniques. L'heure du sonar tridimensionnel de pêche et du GPS n'a pas encore sonné, mais déjà Anita Conti devine qu'un jour, entre la surface mouvante et le fonds marin, on pourra repérer les bancs de poissons et les capturer entre deux eaux, ce qui évitera d'avoir à réparer si souvent le chalut et de rejeter à la mer les deux-tiers de ce qu'on lui arrache.
le personnage principal de ce récit peu commun, ce sont les marins qui tous, du capitaine au moussaillon, triment pendant cinq mois, subissent des horaires laissant peu de place au sommeil, naviguent entre les icebergs, ne reçoivent en guise de nouvelles que de très courts et très rares messages radio et s'offrent de temps à autre une fricassée de lançons extraits de l'estomac ... des morues.
le suivi permanent du cap et des aléas de la navigation combiné à l'utilisation du vocabulaire technique pourront rebuter ceux qui n'ont jamais navigué, mais, en contre-partie, ils comprendront un peu mieux la différence entre terre et mer... cet endroit où l'homme ne laisse aucune trace.
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année 1952:
L'océanographie est une science nouveau née qui n'a pu se développer qu'après toutes les autres puisqu'elle a recours à toutes les autres pour son outillage, mais l'océan ne peut plus se défendre, il tient 70% de notre surface planétaire et en altitude il remplit de ses fosses extrêmes plus de 10 Km d'épaisseur: pourtant dans le formidable volume de cet élément inhumain, quelques hommes sont entrés; ils ont suivis la lumière, son étrange modification à travers des couches d'eau qui sont comme autant de filtres et ils sont revenus à notre existence quotidienne avec des regards de songe et la nostalgie d'un corps déliée des lois aérienne de la pesanteur. Le Prieur, Jean Painlevé, Philippe Taillez, Jean-Yves Cousteau et tous les garçons et les filles qui les suivent...
La vie aime les masques, l'entêtement aveugle, les conventions, la tenue. Et moi aussi: je suis une brute correcte, savonnée, briquée, peignée! C'est un masque; sous le masque mon esprit est noyé d'incertitudes; il s'élance, se reprends, essaie de comprendre, s'avoue incapable. dessus, le masque tient bon.
ils ont suivi la lumière, son étrange modification à travers des couches d'eau qui sont comme autant de filtres, et ils sont revenus à notre existence quotidienne avec des regards de songe et la nostalgie d'un corps délié des lois aériennes de la pesanteur.
La reine, celle des jours et des nuits : la morue. (…) Et c’est là-dessous, sous cette eau morne que va s’ouvrir le Jeu ?
(…)
Avoir traversé l’Atlantique, passé le soleil, la brume, un coup de chien, (…) sans avoir cessé de penser à cette seconde, c’est, inévitablement, frémir. C’est la vie, enfin.
(…)
Les hommes commencent à vivre sous le ciel, bottes plongées dans la masse du poisson ou dans les tripes, manches gluantes de mucus (...) autour du bateau la nuit est une muraille noire.
"En prenant son poste chaque homme sent la nécessité d'un minimum de droiture, et progressivement il s'initie à l'orgueil d'une servitude qui est une obligation vitale : ne faire que du bon travail, ou alors accepter le risque de crever comme un animal incapable jeté à l'eau. Il n'y a guère de demi-mesure en océan... on flotte, ou bien on ne flotte pas ! C'est tout."
Anita Conti pionnière de l'océanographie.