Merci Babelio, Merci Masse Critique, Merci les Presses Universitaires du Midi !
Je me suis fait peur avec cet ouvrage : je pensais avoir un essai sur la protoindustrialisation, et le sous-titre luxe et arts décoratifs m'a fait penser qu'on allait se cantonner à l'Histoire de l'Art… Que nenni, et homme de peu foi que j'ai été : au fil des contributions on aborde bien le thème de la protoindustrialisation sous le triple éclairage du rôle et de l'intervention de l'Etat, de l'organisation et du fonctionnement des secteurs de production, de la création et de l'aménagement de oeuvres et des décors… Nous sommes dans un recueil édité à la suite d'un colloque, qui s'est heurté au double écueil des préjugés des ceux qui s'érigent en historiens alors qu'ils ne l'ont jamais été : d'après ces derniers il n'y a plus rien à dire sur l'Histoire de la période révolutionnaire en général, et l'Histoire économique de la période révolutionnaire n'a aucun intérêt en particulier car antérieure au règne de la doxa des thuriféraires du Veau d'Or…
Thomas le Roux, "La chimie, support du développement de l'industrie perfectionnée sous la Révolution et l'Empire"
La supériorité de l'Angleterre dans les sciences de la mécanique, qui se traduit par d'importants transferts de technologie vers le continent malgré la tourmente que constitue la période révolutionnaire, ne doit pas faire oublier que suite aux travaux de Lavoisier les progrès dans les sciences chimiques sont immenses et que Paris devient la capitale européenne donc mondiale de la chimie. On remplace les acides organiques par les acides chimiques et cela impactent un nombre considérable de processus de fabrication, et c'est avec stupéfaction que j'ai découvert des savants et des fabricants qui s'interroger grandement sur les conséquences de leurs innovations. C'est ainsi toute une législation qui est mise en place pour protéger les employés, les habitants et l'environnement… Avec autant de bonne volonté initiale comment en est-on arrivé au XXe siècle aux scandales sans nom du mercure, de l'amiante et de moult pesticides divers et variés ? J'accuse cette saloperie de Veau d'Or, assisté de ses complices modernes le capitalisme sauvage et le libéralisme à outrance qui ont tous grandement contribué à l'essor du darwinisme social donc à celui de la Bête Immonde ! Monde de Merde !!!
Christiane Demeulenaere-Douyère, "Le luxe sous l'empire, ou la question des matières premières « indigènes »"
Dans une économie de guerre se pose inéluctablement la question de l'approvisionnement en ressources, surtout quand celles-ci sont outremers. L'auteur nous décrit ainsi la naissance des soyers français, les alternatives à la canne à sucre et l'exemple bien connu de la betterave (non sans rappeler que les difficultés sont venues moins du blocus continental que la sécession de Saint-Domingue qui représentait 75% de la production mondial de sucre à l'époque, les dirigeants français ayant été assez cons pour rétablir l'esclavage après l'avoir rétabli pour des raisons « économiques »), mais aussi la quête désespérée d'un ersatz de café…
Camilla Murgia, "The Crafty Link : Fine Arts and Industrial Exhibitions under the Consulate and the Empire"
Décidément l'anglais est une langue universelle quand elle n'est pas parlée par les Anglo-saxons : je suis une buse en langue étrangère et ici j'ai tout capté !
A la fin du Directoire a eu lieu une exposition industrielle qui devait prolonger l'esprit des salons d'Ancien Régime, adapté aux nouvelles valeurs du Nouveau Régime. le succès est éclatant, et a été sans cesse confirmé par les éditions suivantes encadrées par les autorités tant était grand le bénéfice à en retirer du point de vue du nationalisme économique. le nombre d'exposants et de visiteurs aux expositions industrielles n'a cessé d'augmenter avant que le succès encore plus grand des expositions universelles ne permette à ces dernières de les faire oublier… le succès est tel que les catégories se multiplient : arts alimentaires, arts sanitaires, arts intellectuels et mathématiques, arts sensitifs et visuels… Les artisans sont à la fête car il sont enfin considérés au même niveau que les artistes, mais on sent lourdement l'opposition entre arts libéraux et arts mécaniques, entre beaux arts et arts vulgaires, entre désirs des gens d'en haut et besoins du peuple d'en bas, bref entre gros cons conservateurs élitistes et héros réformateurs démocratiques (parce qu'il en faut du courage pour s'opposer à la pesanteur du système élitiste qui n'a pour but que de conforter les gros cons suprématistes dans leurs insupportables préjugés)
Justin Beaugrand-Fortunel, "Le mobilier de champagne de Napoléon Ier : l'artisanat au service de l'Empereur"
Peut-être l'article la moins intéressant du recueil… A côtés des palais républicains et impériaux meublés et décorés par le pillage de Versailles, l'empereur conquérant a mobilisé une nouvelle industrie du luxe par alimenter son important mobilier de campagne. Entre tradition et modernité, il est à noter que les serruriers encouragés par le Nouveau Régime ont su tirer leur épingle du jeu en multipliant les innovations, et que face au conservatisme et aux vieilles habitudes le manufacturier Valette est en avance sur son temps (introduction des mules-jenny, mise en place d'un paternalisme patronal donc d'un système de protection sociale… oui, même en France il existe de bons patrons !).
Marie Agnès-Dequidt, "L'horlogerie parisienne pendant la Révolution et l'Empire : continuer à tourner dans un monde de bouleversement"
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Elodie Voillot, "Des canons aux statuettes : Les fabricants de bronze parisiens au début du XXe siècle"
L'auteur montre que durant la période révolutionnaire a connu des évolutions majeures… On passe de la fonte au moule à la fonte au sable, qui divise les coûts de fabrication par 4 ! La transition technologique est accélérée par l'économie de guerre mise en place par les différents gouvernements français, au point qu'une école nationale de bronzier est ouverte qui renforce la promotion sociale et le renouvellement des fabricants. Qui dit nouvelles techniques, nouveaux coûts et nouveaux fabricants dit nouveaux marchés : le marché du luxe se transforme en marché du demi-luxe et l'élargissement du nombre de consommateurs assure la prospérité du secteur… L'organisation en corporation a été balayée par la Révolution, mais c'est la conjonction entre la transformation de l'offre et celle de la demande qui a été déterminante… Mais l'appel d'air à son revers : le développement des charlatans, d'où la multiplication des contrefaçons !
David Celetti, "Filer le luxe. Travail domestiques, manufactures et usines dans la France révolutionnaire"
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Stéphane Piques, "L'organisation de la production dans l'industrie céramique sous la Révolution et l'Empire : la nébuleuse faïencière de Martres-Tolosane"
A partir d'une monographie, l'auteur essaye d'extrapoler sur l'ensemble de la filière… Avant 1789 la faïencerie française était en grande difficulté par rapport à la concurrence anglaise, et les producteurs français essayaient de l'égaler sur les plans techniques, artistiques et économiques… Après 1789 les producteurs, largement issus de dynasties d'Ancien Régime reprennent la main avec une division du travail qui aboutit à la constitution de nébuleuses céramiques. Les insurrections fédéralistes et royalistes, les désordres aléas financiers et monétaires, les fluctuations de l'économie agricole qui alimentent la paysannerie aisée grosse pourvoyeuse de clientèles, la main-d'oeuvre qualifié qui quitte les ateliers pour intégrer les armées, sont largement compensées par la mise sous cloche de la concurrence anglaise, l'effacement des dettes, la vente des biens du clergé qui permet d'acheter des bâtiments à bas prix (avec des couvents transformés en atelier), et la vente des bien de la noblesse qui permet de se procurer du combustible à bas prix (les forêts seigneuriales et communales étant désormais disponibles sur le marché). L'auteur termine par montrer que l'exemple qu'il a étudié n'est pas forcément une généralité sur tous les plans, car à Martres-Tolosane les techniques ont peu évolué, contrairement à ce qui a été observé à Toulouse et Saint-Gaudens…
Bernard Jacqué, "Les décors de luxe en papier peint pendant la Révolution française"
Presque inconnu en 1760, l'art du papier peint a connu un progrès faramineux parce moins dispendieux que l'art de la peinture il a su faire face à l'élargissement d'un public plus nombreux et moins exigent que les caciques de l'Ancien Régime… Dans l'urgence la famille royale s'installe aux Tuileries après les événements de 1789, et décore son nouveau pied à terre de papier peint ce qui lance immédiatement un nouvelle mode à travers toute l'Europe ! L'auteur développe ensuite son propos en se basant sur une monographie consacré à la République de Mulhouse confrontée à tous les affres de la période révolutionnaire, et montre que l'engagement des fabricants locaux avec l'aristocratie de Francfort, avec un bonne part de mauvaise volonté des deux côtés… Toujours est-il que la multiplication des types de papiers peints, on sent la différentiation croissante entre concepteurs et tapissier et la transition de la haute-couture au prêt-à-porter… Bref à la standardisation donc à la démocratisation des produits !
Valeria Mirra, "Labor omnia vincit. La manufacture Piranesi de vases et ornements en terre cuite de Mortefontaine"
Si l'oeuvre artistique des frères Piranèse est bien connue, leurs oeuvres économiques le sont beaucoup moins. Rapatriés à Paris par la famille Bonaparte lors de l'échec de la République de Rome, les frères Piranèse ont alors fondé l'entreprise de Mortefontaine qui visait à redonner vie aux oeuvres céramiques héritées de l'Antiquité. Evidemment tous les commissaires culturels bobos hipsters de l'époque ont hurlé au complot contre la pureté des Beaux Arts de mes couilles : comment créer une oeuvre digne de l'aristocratie élitiste (pléonasme) et suprématiste (pléonasme) avec un matériel aussi vulgaire que l'argile ? Allez vous faire foutre et vos descendants actuels qui ne manquent pas une occasion de gâcher le plaisir du commun des mortels parce qu'ils ont oubliés qu'on a aboli les classes et les privilèges en 1789 !
Iris Moon, "Immutable Décor : Post-Revolutionary Luxury in the Platimum Cabinet at Aranjuez"
Décidément, l'anglais écrit par des Anglo-saxons à destinations des Anglo-Saxons c'est quand même galère ! Alors si j'ai bien compris, le roi espagnol Charles IV a voulu redorer son blason par la création du Cabinet de Platine au sein du Palais d'Aranjuez. le platine est un métal précieux découvert en Colombie au XVIIIe, dont l'ex a été passé sous silence pour ne faire baisser le prix de l'or donc les revenus des classes rentières de l'époque (rentiers = danger, qu'on se le dise !). Plus solide et moins malléable que l'or et l'argent mais tout autant incorruptible que ces derniers, l'usage du platine a nécessité le recours aux meilleurs orfèvres français et il y eut rapidement embrouille entre l'employeur et les employés pour raisons autant techniques qu'artistiques…
Ludmilla Budrina, "Lapidaires parisiens au service de Nicolas Demidoff : la collection d'objets en bronze doré et malachite avec mosaïques en relief dures réalisés par Thomire"
Au début du XIXe siècle la malachite découverte en abondance dans l'Oural et le Sud de la Sibérie devient un nouveau matériau d'ornementation, et les producteurs et consommateurs russes font appel à des artistes parisiens pour la travailler. L'auteur nous montre que cette mode russe va devenir européenne puis mondiale, au point d'être le symbole du luxe en général et de la richesse croissante de la Russie en particulier. Mais il montre aussi que les collaborations franco-russes n'ont jamais cessé, même au plus fort de Campagne de Russie !
Hans Ottomeyer, "Innovation by Design as Strategy for Luxury Goods"
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Au final un ouvrage intellectuellement stimulant, et c'est dommage qu'un quart de son contenu soit consacré à l'appareil critique car avec l'essor du numérique tous ces appendices scientifiques pourrait être disponible sur le net. On voit une période entre rupture et continuité, où les nouveautés idéologiques et les aléas de la guerre perturbent la production mais la renouvellent aussi profondément avec les évolutions techniques et productiques d'un côté, mais aussi les formidables opportunités créées par l'économie de guerre d'un autre côté. Je suis quand même effaré au final de voir que plus les choses changent et plus elles sont les mêmes. Je constate qu'aujourd'hui continue de perdurer une caste antédiluvienne, une minorité de jean-foutre qui considèrent que le Beau doit être réservé à une minorité pour exister, et qui n'ont de cessent de cracher tout leur venin sur la démocratisation de la culture qu'ils jugent dégradée et corrompue dès lors qu'elle s'adresse au plus grand nombre… Marre des commissaires culturels de mes couilles qui font la distinction suprématistes entre vraie littérature et sous-littératures de genres, films d'auteurs et films populaires, romans graphiques et bandes dessinées, et ainsi de suite pour se sentir à l'aise dans leurs tours d'ivoire censément au-dessus du commun des mortels !
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Alors que l'apprentissage "sur le tas" prédominait dans les conceptions des hommes de la Révolution, les cours révolutionnaires élaborent un modèle d'enseignement qui perdurera au XIXe et XXe siècles. Mais surtout, ils entérinent l'idée qu'un formation est indispensable pour obtenir la qualification nécessaire à l'exécution d'une tâche. Ces compétences s'acquièrent grâce à un enseignement technique organisé, non plus par la corporation, mais par l’État.
Science, chimie et industrie doivent concourir à soutenir la compétition économique et compenser l'honneur patriotique en sursis ou flétri par les défaites, surtout face à la Grande-Bretagne. Aider la France à rattraper son retard technologique vis-à-vis de l'Angleterre continue, après les années révolutionnaires et même sous la Restauration, à être un devoir patriotique.
A partir des années 1770 notamment, la fabrication de produits chimiques bouleverse de nombreux domaines, les procédés industriels en eux-mêmes, mais aussi la relation que portent les sociétés européennes à leur environnement, tout comme ils portent parfois atteinte à la santé ouvrière.
Natacha Coquery : " Mode, luxe, innovation : Paris, capitale européenne du luxe au XVIIIe siècle"