Je remercie très sincèrement Babelio Masse Critique, Nicolas et les éditions Flammarion pour m'avoir permis de lire et de critiquer "
Pas ce soir ».
Et je mets cinq étoiles pour ce roman !
En poussant un peu le trait, je me dis qu'il pourrait être déclaré « d'Utilité Générale ». On pourrait le distribuer aux jeunes couples, puis le redistribuer vers trente-cinq ans (l'époque des premiers enfants), puis vers cinquante ans (les changements hormonaux, la lassitude, l'usure du couple).
Il serait salutaire que femmes et hommes le lisent et le relisent pour se rappeler que nous sont très différents, en particulier en ce qui concerne la sexualité, mais que la parole devrait permettre de se comprendre et d'éviter les tempêtes intérieures et conflit larvés au sein du couple.
Le « héros » de ce roman est… « ce désir » qui ne lâche pas la plupart des hommes durant toute leur vie. Et nous allons partager les frustrations d'un homme que sa femme, Isa, délaisse tant au niveau sexuel que sensuelle (plus de petits gestes tendres, ils ne se touchent plus, ni pour faire l'amour, ni même pour se prendre la main ou s'embrasser).
Comme dans toute histoire, on peut aimer ou détester, ou être indifférents aux protagonistes.
Détester cet homme qui compte le nombre de jours depuis qu'il n'ont pas fait l'amour, comme si tout cela pouvait se résumer à de l'arithmétique. Détester cette femme enfermé dans un schéma « sans tendresse », sans réussir à en parler.
Trouver que leurs problèmes sont bien insignifiants et ridicules.
Je comprends que certains lecteurs ne se sentent pas concernés par ce sujet et n'aient pas trouvé d'intérêt à cette lecture. Si on le lit à sens unique, ce roman peut en effet sembler mono-centré sur un problème typiquement masculin.
Pour ma part j'ai vu une dimension plus ambitieuse, car l'ensemble adresse des problématiques beaucoup plus large. En appréhendant entre autres : l'homme dans son son couple, mais aussi dans sa solitude parfois au sein du couple, dans ses amitiés masculines , la femme (au premier abord plus complexe que l'homme dans son approche des sentiments), dans la gestion du temps qui passe, du regard des autres, dans sa plus grande sensibilité aux variations du désir. Ce roman aborde aussi les liens entre amour-sexualité- tendresse, les enfants qui grandissent, les amis, les amies, etc…
J'ai vraiment aimé l'idée que l'auteure se glisse dans la peau d'un homme et j'imagine que Mme Cordonnier a fait sa « petite enquête » pour savoir ce que ressent et vit un homme, car le résultat est plutôt crédible (sans vouloir généraliser, mais avec ce que j'entends en tant qu'homme autour de moi). Je ne sais pas si elle a pu parler de tout ceci avec son mari (bravo dans ce cas… mais je n'ai cherché d'informations sur Internet sur son statut marital), mais en tout cas je lui tire mon chapeau, elle a réussi à brosser un portrait touchant de cette solitude que peut ressentir un homme ainsi abandonné.
Elle nous propose ainsi un monologue (de l'homme) et un 360° de cette problématique du désir sexuel.
Bien sûr tout serait si simple si on réduisait le tout à une histoire de « tirer un coup »… Ta queue, ta queue, ta queue comme le dit Isa à un moment, « il n'y en que pour ta queue ! ».
La queue, c'est la partie concrète et physique de l'histoire… et
Amélie Cordonnier fait parler l'homme pour tenter d'expliquer ce qu'il y a justement derrière cet organe. Pour ne pas réduire l'ensemble à satisfaire un besoin physique (ce serait beaucoup trop simple).
Du côté d'Isa, j'ai aimé ses interventions à la hache. Pas de dialogues à proprement parler dans ce roman (pas de petits tirets pour nous dire qui parle), mais plutôt des monologues de l'homme, qui tourne en rond sur son sujet, puis, soudain, comme si la coupe était pleine : une avalanche de mots de la part d'Isa… des reproches… qui sortent d'un coup, sans qu'une discussion soit possible. Un jeu de cache-cache en fait, car l'un et l'autre doivent bien savoir que l'autre souffre.
En ne voulant pas considérer que bien évidement la situation est bien plus complexe que « tirer un coup », Isa enferme son homme dans un schéma réducteur qui le dévalue et le réduit à une simple bête de sexe.
En manquant de clairvoyance sur le sujet, en ne cherchant pas à comprendre Isa… cet homme, en manque de tendresse aussi, fait des erreurs, laissant penser à sa femme que ce dont il a besoin c'est juste « de faire l'amour ».
Se prendre la main, s'embrasser, se toucher, serait pourtant déjà beaucoup fait lui.
Et si on lit entre les lignes, on comprend bien sûr qu'Isa voit toujours poindre derrière ses marques de tendresse, le désir de son homme. Alors on imagine son manque d'entrain à garder de la tendresse pour lui : s'ils se prennent main, s'embrassent tendrement, elle sait que tout se finira au lit… et elle se dit qu'il en voudra toujours plus. Alors on imagine que pour couper court à tout cela, elle a pris ses distances. Et tout comme IL va éviter durant une partie du livre tout ce qui va pouvoir déclencher une envie, ELLE va supprimer toute marque d'attention envers son lui.
La spirale infernale est amorcée.
Notre homme va organiser un week-end en amoureux avec Isa, il est honnête avec lui-même, sa volonté est de refaire l'amour avec elle… mais il est touchant de voir qu'il se satisfait aussi de gestes simples.
Car il faut comprendre que le désir pour un homme est une constante durant sa vie et que chez une personne « frustrée » comme l'est notre « homme », tout autour de lui va éveiller le désir.
Si je me place du côté masculin.
J'ai trouvé assez injuste qu'Isa reproche à son homme de ne penser qu'à cela, de lui reprocher de penser qu'on ne peut pas aimer si on ne baise pas. Qui réduit donc son désir à la seule action physique de « faire «l'amour ». Elle serait plus honnête si justement, elle continuait à jouer la carte de la tendresse, peut-être que ce besoin impérieux de l'homme ce serait transformé en un besoin plus gérable au niveau du couple (tendresse, baisers, et de temps en temps, partie de jambes en l'air).
Si je me place du côté féminin.
Je comprends qu'elle est confrontée à cet homme qui lui en demande toujours plus alors que son désir à elle s'est fait la malle.
On aborde un autre sujet avec les essais de cet homme pour aller voir ailleurs et trouver une partenaire.
Dans « faire l'amour » il y a le mot « amour »… la question est posée : « peut-on faire l'amour sans aimer ? », une réponse est proposée dans ce roman : « non »… en témoigne cet homme incapable de faire l'amour à une autre femme et pourtant tellement en manque.
La découverte de ses propres limites est amusante, certains extrêmes le rebutant (ce qui est rassurant). Là aussi j'ai aimé, le contraste entre ce qui fait fantasmer une personne, et ce qu'il est capable d'accepter. Car il est facile de reporter sur l'autre une incapacité à se lâcher sexuellement, encore faut-il savoir connaître ses propres limites.
En fait cette petite sexualité pépère du couple, lui conviendrait bien. Si elle ne s'était pas étiolée au fil du temps.
Je conseille donc vraiment ce roman, en acceptant comme postulat de base que c'est l'histoire d'un homme qui souffre de ce manque d'attention de sa femme.
Partant de là, c'est un roman qui ne laisse pas indifférent ! Et c'est une très grande qualité pour une fiction contemporraine.
Allez ! Après avoir posté cette critique, je vais de ce pas roucouler auprès ma femme… peut-être me dira-t-elle «
Pas ce soir ». Alors je lui prendrais la main, déposerais un tendre et délicat baiser sur sa bouche, et je lui glisserais ce roman en lui susurrant « Tu sais, s'il y a quelque chose qui ne va pas, on peut en parler » 😊.